ou est-ce le public qui est devenu trop impatient dans ses habitudes de lecture pour permettre autre chose que des méthodes immédiates et effectives, typiques finalement de son mode de consommation qui pousse au tout instantané?
Tu poses ici une question aussi passionnante que complexe. Nous manquons de beaucoup de recul pour la traiter bien, mais nous disposons de quelques éléments dont certains amènent des semblants de réponse.
D'abord, il existe toute une littérature scientifique très convaincante au sujet de l'abandon du merveilleux ; j'entends ici le merveilleux au sens large et noble. Car le merveilleux, comme le terme lui-même, a subi une resémantisation l'infantilisant et qui lui prête un sens borné à sa seule valeur positive et naïve.
Outre ce glissement sémantique, on note une volonté de se réapproprier le réel. Non pas sous un jour métaphorique comme le faisait le XIXe siècle, en multipliant les détails chacun signifiants, mais en proposant une image de la réalité brute. Les mouvements qui abondent dans ce sens sont nombreux, le plus connu est peut-être la nouvelle vague, au cinéma. On trouve cependant beaucoup d'équivalents occidentaux à cette pensée dans d'autres media ou d'autres teintes. Le renouveau de la mimesis, de sa valeur particulière, a réorganisé l'approche du réel.
On pourrait opposer que le Japon est une toute autre ère culturelle. Cela n'est pas vrai. La porosité entre la France et le Japon, au tournant de mai 68, est extrêmement appuyée. Le gekiga montre déjà des influences françaises, le shoujo des années 1970 encore davantage. A cette époque s'élabore une tonalité particulière, qui deviendra, entre d'autres influences, ce ton grave, dramatique qui possède encore une part de la production ; malheureusement sans en avoir bien souvent conservé la richesse.
Ajoutons à ceci des données essentielles liées à la globalisation et aux avancées scientifiques et nous avons peu de mal à comprendre la rationalisation excessive qui touche tous les arts.
Peut-on alors blâmer des adaptations, comme celle de
Dororo, qui embrassent ces courants ? A mon sens, ce serait très difficile. Je n'y vois que très mal une intention populaire ou commerciale, mais je crois qu'il s'agit d'une influence plus profonde et plus grande, à laquelle les artistes adhèrent presque inconsciemment. Le merveilleux se trouve d'autres codes, ce n'est pas un mal en soi. C'est un mal seulement lorsque cette réappropriation du merveilleux en aplatit les différentes strates.
Les revendications pour un retour du merveilleux symbolisant et signifiant sont assez récentes. Bien entendu, et heureusement, il a toujours resté des niches dans lesquelles le merveilleux a conservé la multiplicité de ses sens. Mais les manifestes, les intentions groupées ne font que péniblement surgir ces dernières années. Notamment dans le cinéma où il s'élève (enfin !) une voix forte et prétentieuse contre le naturalisme ; et je veux là parler, en France, de Mandico et ceux qui, de près ou de loin, le suivent.
Aussi je ne prétends pas répondre à la question que tu soulèves ; je le répète encore, nous manquons de matière. Mais je crois sincèrement qu'il s'agit ici de quelques éléments, parmi beaucoup d'autres, qui pourraient expliquer ce penchant.