Spirou - L'espoir malgré tout (Emile BRAVO):
1939, alors que la guerre se rapproche peu à peu de Bruxelles, le jeune Spirou continue sa vie de groom, alors que son ami Fantasio a été mobilisé sous les drapeaux, et rêve d'actes héroïques dans lesquels il repousse l'armée Allemande.
Finalement la capitale Belge est envahie et un nouveau quotidien commence pour les 2 amis qui apprennent à vivre sous le joug des autorités Nazies et de la collaboration. Malgré tout chacun des 2 essaie d'aider à sa manière, en rêvant d'un retour aux jours meilleurs.Le projet derrière cette série en 4 tomes (plus un préquel que je n'ai pas encore acheté) était de revenir aux origines du célèbre groom, à sa genèse. Comprendre ce qui a fait de Spirou... eh bien Spirou: ce jeune homme idéaliste et un peu naïf, toujours prêt à aider les autres et à se dresser contre les injustices qu'il croise, son amitié indéfectible avec le fantasque Fantasio, mais également sa grande timidité et ses difficultés à aborder la gent féminine (de Seccotine à Luna en passant par Ororéa et quelques autres).
Le pari était osé et il fallait vraiment un projet solide et un auteur talentueux pour que la maison DUPUIS accepte l'idée pour son personnage phare (sa marque la plus célèbre?).
Le récit commence donc vers la fin 1939, alors que Spirou n'a que 16 ans et Fantasio 18 (d'où sa mobilisation) et se termine en 1945, juste avant le début de l'aventure
Un sorcier à Champignac. Ce récit est donc officiellement canon et validé, et l'éditeur n'a pas lésiné pour sortir une édition cartonnée de très belle facture qui enrichira à coup sûr n'importe quelle bibliothèque (tel un ouvrage de collection).
Ces 4 tomes sont édités depuis 2018, sachant que le préquel était paru en 2008 et avait alors reçu de nombreux prix dont la sélection du Festival d'Angoulême 2009 (où il a été cité parmi une liste des "cinq albums essentiels" de l'année). Ce succès a probablement motivé EB pour raconter la suite de l'histoire et tenter de convaincre la maison mère détentrice des droits, une tâche pas si facile puisqu'il a quand même fallu attendre près d'une décennie.
Mais du coup, est-ce que cette "série" vaut vraiment le coup d’œil? Au vu des critiques trouvées sur le net, la réponse semble évidente, mais essayons de voir un peu plus loin les raisons d'un tel succès.
Tout d'abord, notons le trait très propre et détaillé du dessinateur. Certains argueront peut-être qu'on reconnait moins les personnages et que le trait fait davantage penser à Tintin qu'aux précédentes aventures du jeune groom. Ils trouveront peut-être également à redire qu'on place le récit dans le contexte plus réaliste de la ville de Bruxelles et sa campagne proche (oubliez l'habituel village de Champignac), mais c'est un choix des plus logique si on accepte l'idée que tout le récit commence des années avant la première aventure et les standards bâtis par Franquin.
Maintenant l'histoire: peut-on réellement raconter une aventure de Spirou et Fantasio dans un contexte aussi dramatique que celui de la seconde guerre mondiale, qui plus est en partant de l'idée que malgré tout, ces 4(5) tomes continuent à s'adresser à un public jeune? Ne risque-t-on pas de se retrouver avec un récit caricatural et édulcoré, ou au contraire bien trop sombre et violent qui le réserve à un public mature? Rappelons que Franquin avait déjà abordé le sujet des dictatures dans son album
Le dictateur et le champignon, de même que Fournier avec
Kodo le tyran. Cependant, les 2 tomes (excellents au demeurant) conservaient une ambiance légère pour ne pas dire comique. Ici c'est loin d'être le cas.
Pour résumer au mieux l'ambiance générale, citons directement un des personnages: "C'est pas l'aventure, c'est la guerre!". Et effectivement, on a moins l'impression de suivre une véritable aventure menée tambour battant que le quotidien difficile des habitants de Bruxelles sous l'occupation (avec le regard encore jeune de Spirou, Jean-Baptiste de son vrai nom). Si le récit jette un voile pudique sur les facettes les plus terribles de la guerre (aucune séance de torture ou d'exécution, ni même de combats), celles-ci sont néanmoins clairement abordés dans les dialogues. C'est là tout la subtilité et la force du récit: toutes les horreurs du conflits sont abordées, mais de telle manière qu'un jeune lecteur comprendra simplement que quelque chose de grave a eu lieu, tandis qu'un lecteur plus mature saura de quoi on parle. Ainsi aucun sujet n'est laissé de côté, de la collaboration (plus ou moins volontaire) des autorités, de l'église ou de la population civile (notamment les "jeunesses hitlériennes" de Belgique) en passant par la résistance, avec la faim et le rationnement des ressources, sans oublier la shoah et la traque des juifs et communistes. Le récit ne donne pas non plus dans l’évangélisme facile puisqu'il n'oublie pas de rappeler le bombardement des villes par les forteresses volantes américaines, le fait que sur la fin de la guerre, certains soldats de la Wermacht étaient à peine plus âgés que Spirou, Fantasio ou certains de leurs camarades, et les résistants (collaborateurs?) des derniers jours qui essaient de se refaire une image lors de la débâcle des forces du Reich.
Tout cela donne un récit dense aux images terribles (notamment si l'on comprend les sous-entendus qui ne sont jamais montrés), mais que le regard des jeunes protagonistes parvient à rendre supportable. Même si ça fait mal et que chaque perte est un coup terrible au moral de Spirou (et à sa confiance en l'être humain), jamais il ne dévie de son code de conduite et continue à faire de son mieux pour croire en un avenir meilleur. Quant à Fantasio, il reste ce benêt au grand cœur qui semble toujours à l'ouest et préfère agir avant de réfléchir, mais ses interventions sont généralement un vrai rayon de soleil dans l'ambiance morose générale (quant ses gaffes ne mènent pas au bord d'une nouvelle catastrophe bien entendu). Du coup on est vraiment très proche des personnages des toutes premières aventures (le grand cœur et le gaffeur), ce qui est bien entendu l'effet recherché.
Pour conclure, que dire sinon que l'on tient ici une très grande réussite de la BD Franco-Belge. Parvenir à livrer un récit sur un tel sujet tout en l'adressant aussi bien au jeune public qu'aux adultes (grâce à différents niveaux de lecture), avec en plus l'obligation de respecter l'une des licences les plus connues du média, c'était un pari osé et difficile (pour ne pas dire casse-gueule), et il a été relevé de main de maître par l'auteur/dessinateur Emile BRAVO. Je lui tire mon chapeau et j'espère que son récit continuera à être apprécié du public, de par sa justesse et (c'est triste à dire) un certain écho avec l'actualité.