Ce recueil de nouvelles est difficile, il ne propose pas une initiation simple et n'est jamais clairement formulé, à tel point qu'il vaut mieux être très familier de l'univers d'Inoue pour ne pas décrocher. Très exigeantes pour le lecteur, ces historiettes souvent un peu sèches demandent une attention permanente qui n'est pas toujours nécessairement récompensée.
Il est inutile d'aborder le scénario car ce n'est pas le propos de ce recueil : chaque nouvelle a un nombre de pages plus ou moins élevé mais rarement conventionnel, et le but est avant tout pour Inoue de crédibiliser un univers où les gens vivent sur des Laputas, c'est-à-dire des rochers volants. Les lois de la physique normale n'ont pas cours sur Iblard, et tout le propos d'Inoue est souvent de nous expliquer les fondements d'une physique fantasmée pas toujours intéressante et souvent trop difficile à comprendre parce que pas assez clairement énoncée.
Le graphisme est extrêmement difficile à aborder, le noir et blanc ne le rehausse jamais, et le trait approximatif de l'auteur rend souvent pénible la lecture de ces cases réparties de façon anarchique. Inoue est un peintre du détail, il cultive à l'excès l'art des couleurs et aime décrire dans ses tableaux un univers qui oscille entre le pointillisme et un impressionnisme d'aquarelles pour touriste. Un tel style ne parvient pas à s'accommoder des exigences graphiques du manga : Inoue maîtrise très mal les techniques narratives de la bande dessinée, ses cases ne s'enchaînent pas naturellement et surtout elles rendent souvent le propos obscur.
Occasionnellement on tombe sur des cases de grande taille qui permettent à l'auteur de retrouver ses habitudes de peintre : elles sont superbes, témoignent d'un sens de la symétrie souvent exceptionnel, et d'une harmonie d'ensemble trop rarement présente dans les pages de ce manga.
Inoue ne parvient pas en fait à trouver le juste équilibre entre tableau et phylactère. Les traducteurs ont par ailleurs été confrontés à un problème très gênant pour le lecteur occidental : les bulles sont longilignes et très étroites, elles sont conçues pour un texte lu de haut en bas, et non pour un texte lu de gauche à droite, si bien que très souvent les mots sont coupés à chaque syllabe, transformant la case en calvaire pour l'oeil du lecteur qui réapprend au moins l'art de couper les mots au bon endroit...
Ces chroniques satisferont absolument les fanatiques d'Inoue et les fous du monde d'Iblard parce qu'elles fourmillent de détails techniques et de micro-explications, faisant de ce recueil un guide très exhaustif, une sorte de sketchbook rempli d'annotations anarchiques mais passionnantes pour qui parviendra à apprécier ce mariage souvent imparfait de la littérature de Tolkien et de l'esprit écologiste de Ghibli.
Un manga intéressant mais très difficile d'accès, qui s'adresse à des lecteurs exigeants amateurs d'explications poussées sur des détails techniques secondaires : ces Chroniques d'Iblard évoquent assez le manga de Nausicaä, mais dans une version terriblement torturée.
Ma notation n'a dès lors pas vraiment d'intérêt.