Difficile d'imaginer meilleure lecture après la récente annonce du studio d'animation Ghibli exposant son souhait d'arrêter la production de longs-métrages. Sans prétention aucune, c'est avec une approche originale et intéressante que les auteurs de Hayao Miyazaki, Cartographie d’un Univers nous plongent dans le processus de création de l'un des artistes japonais les plus adulés au monde.
L'ouvrage, plutôt volumineux (environ 360 pages), ne fait au premier coup d'œil pas vraiment dans l'originalité. Scindé en deux parties respectivement nommées Chronologie et Cartographie, le livre brille par son approche cohérente et riche en informations pour quiconque n'ayant pas une connaissance approfondie de la carrière d'Hayao Miyazaki. Dans l'éventualité où le lecteur serait un passionné, bien que la première des deux parties perde évidemment en intérêt puisque réécrire l'Histoire semble être une idée peu judicieuse ; l'ensemble demeure néanmoins captivant sans jamais tomber dans l'historique bête et méchant.

I. Chronologie.

La carrière de l'artiste est ici présentée d'une manière, semble-t-il, peu courante. En effet, plutôt qu'une exposition temporelle classique des évènements marquants de la vie professionnelle de Hayao Miyazaki, les auteurs ont choisi une approche segmentaire découpée non pas par faits notables plus ou moins notoires, mais par cycles dont la durée peut varier du simple au double.
Ainsi, cette première partie comporte une demi-douzaine de chapitres représentants chacun un cycle. Des années passées à la Tôei au pré-Ghibli en passant par les réalisations pour le studio A-Pro, c'est lorsque sont abordés les premiers films du studio Ghibli que cette chronologie devient réellement intéressante.
Sont à partir de là présentées par paires chronologiques les différentes œuvres de Hayao Miyazaki dont les thèmes principaux sont mis en exergue (les mondes magiques pour Kiki la Petite Sorcière et Mon Voisin Totoro, la société pour Porco Rosso et Princesse Mononoké, etc, jusqu'à Ponyo sur la Falaise).
Si le titre de l'ouvrage ne faisait jusqu'alors pas vraiment sens, dès lors que les premières œuvres de H. Miyazaki pour le studio Ghibli sont évoquées, se met en place la réelle cartographie. Chaque film/manga se voit doter d'un résumé - parfois plutôt long - sur lequel est appliqué une transversalité des principaux thèmes "miyazakiens" régie par un schéma directeur fixe.
Les auteurs insistent donc particulièrement sur la notion de couple, de voyage initiatique, le triptyque société/civilisation/nature ainsi que le passage résultant sur un espace fermé (l'île sur laquelle habite Porco, le jardin secret de Nausicaä, etc).

Si l'on est donc bien en présence d'une chronologie, elle a malgré tout l'agréable particularité d'être décomposée de manière enrichissante. Certaines parties s'avèrent toutefois plutôt longues - voire carrément ennuyeuses - si le film traité ne nous est pas totalement inconnu comme il n'est généralement pas bien compliqué de rapidement comprendre où l'auteur [du livre] veut en venir.

II. Cartographie.

Cette seconde partie est quant à elle plus libre, personnelle, mais aussi plus fouillis. Pas tant d'un point de vue de la présentation des différents thèmes et catégories eux-mêmes, mais dans son argumentation dont la part d'interprétation ne semble pas toujours très claire. Chaque lecteur appréhendera cette partie à l'aune de ses convictions et gardera en mémoire une fraction plus ou moins importante de ce qui est écrit ; se laissant ainsi le choix d'une interprétation peut-être légèrement différente de celle des auteurs.
S'il n'est jamais question de travestir les propos de Hayao Miyazaki et bien que l'ensemble soit d'un intérêt certain, il m'a semblé important de garder en mémoire qu'il s'agissait de propos, aussi persuasifs soient-ils, propres aux personnes à l'origine de ce livre. Le réalisateur le dit d'ailleurs lui-même :

"Les enfants sont sans doute ceux qui comprennent le mieux mes films"

Malgré tout, la plupart des thèmes et propos sont explicités avec une certaine réussite et se justifient parfaitement. On retrouve ainsi une fois de plus plusieurs chapitres incluant des thèmes composites présents dans l'œuvre de Miyazaki étalés avec une cohérence exemplaire. Si le propos peut lui-même parfois sembler confus (notamment un parallèle fait avec le shintoïsme), les analogies résultants d'un même motif sont quant à elles réfléchies et plutôt bien amenées. Les trois chapitres dédiés à la société, la civilisation et la nature dans l'univers de Miyazaki sont par exemple particulièrement intéressants.
Le schéma directeur se fait tout à coup logiquement plus présent puisque les différents concepts relatifs à cette cartographie (parcours initiatique, passage, etc) se voient accorder des chapitres indépendamment les uns des autres, pour un total là aussi d'une demi-douzaine environ.

A considérer dans son ensemble Hayao Miyazaki, Cartographie d’un Univers est une réussite dans une optique de découverte. Elle l'est aussi en tant qu'analyse mais dont on peut çà et là ergoter relativement à certaines choses. Là où, en revanche, il est réellement question de reproches purs et simples, relève du fait que la plupart des illustrations sont vierges de toute légende et font écho, majoritairement là aussi, à des versions étrangères (types italiennes, espagnoles, etc) quand présenter les versions originales et / ou françaises relèverait d'une démarche plus rationnelle.
Surtout lorsque l'on sait que cette seconde édition se justifie par l'apparition des couleurs sur lesdites illustrations...
Également et en guise de conclusion ; relativement aux films, le livre favorise très largement le rôle de réalisateur qu'incarne Hayao Miyazaki délaissant ainsi certaines œuvres dont son implication s'est vue limitée au scénario. Si Tu Tends L'Oreille à titre d'exemple n'est qu'à peine citée, déception personnelle plutôt grande comme il s'agit de l'une des mes favorites du studio...