Voilà bien le genre de manga qu'on trouve à 4 euros 50 chez Gibert parce que personne n'en veut. Il n'y a guère que Kankô pour avoir eu la folle idée - et la clairvoyance - d'éditer ça en version de luxe à couverture rigide et curieusement molletonnée. N'ayant pas eu le courage de payer le prix, j'avais laissé tombé l'idée d'acquérir cette chose étrange. Bref, merci aux exploiteurs d'étudiants de chez Gibert, et honte à tous ceux qui comme moi ont été radins...
On passe la première moitié du manga à soupçonner l'auteur de haïr l'humanité et de se venger d'elle en la faisant mourir de cent façons différentes. Encore un nihiliste... Et puis on voit cet arbre gigantesque, énorme, tellement grand que ses racines dévastent tout Tokyo. Alors on commence à soupçonner le mangaka de nous livrer encore une belle oeuvre écologiste au message fort et universel, dont la morale serait quelque chose comme : "voilà ce qui arrive quand on jette ses piles au lithium dans un étang", ou "les vaches qui pètent, oui ! les avions qui puent, non !" Rien qu'on ait déjà pu voir chez le vieux grincheux misanthrope de chez Ghibli.
Le manga semble par ailleurs affreusement mal dessiné, les visages surtout des personnages sont là pour nous conforter dans l'impression que nous aussi, nous pourrions faire des mangas. Bref, ça part mal, et ça se lit très vite : peu de bulles, beaucoup de dessins, énormément de planches s'attardant sur des morts diverses et variées. Jacaranda a tout du charnier graphique...
Pourtant, très rapidement, on perçoit que derrière la fausse maladresse des dessins se cache un sens du mouvement incroyable ; plus les humains disparaissent, plus le dessin se libère, jusqu'à atteindre dans les dernières planches un sommet de beauté. Le chaos provoqué par cet arbre gigantesque permet à l'artiste de livrer des planches flirtant avec l'art abstrait, tandis que la toute fin inaugure une nouvelle société dont on ne saura pas si elle est meilleure que la précédente. Entre mysticisme et absurde, Jacaranda mène le lecteur en bateau du début à la fin, et se révèle être une oeuvre passionnante, qui dépasse sa simple condition de manga.