Dis-moi, miroir, de quelle couleur sont mes rêves? Je ne peux décider s’ils brillent de pureté où s’ils sont semblables aux cauchemars. Où que j’aille dans la torpeur du soir, tes pas finissent toujours par me reconduire vers la froideur humaine et ses plus terribles hasards. J’ai l’impression d’être une bulle de pureté frôlant les étoiles, un flocon diaphane rejeté au fond d’une mer noire.
Miroir, mon beau miroir. Aujourd’hui j’ai lu une histoire, celle de deux enfants qui ensemble ont nagé contre les vagues. Ils étaient pareils à mes rêves, sans teinte, juste animés par l’espoir.
Moins l’on connaît et plus la découverte est belle. C’est d’autant plus crucial pour les «one-shot», c’est-à-dire des oeuvres de très court format. «Kamisama ga uso wo tsuku»(«Dieu nous ment» on va dire) ne comporte que 5 chapitres(+- 300 pages), et se lit en un peu moins d’une heure. C’est pourquoi même si cette critique ne comporte aucun spoil, le mieux serait de vous arrêter à ce paragraphe si vous ne l'avez pas encore lu et de faire confiance aux avis globalement très positifs. Essayez, il y a peu de chances de le regretter.
Parler de «Kamisama ga uso wo tsuku» comme d’un chef d’oeuvre serait un tantinet exagéré. Mais s’il reste très brut au niveau de son drama, il faut souligner la capacité de son auteur, Kaori Ozaki, d’avoir su retranscrire son inspiration à merveille: ce petit manga nous offre une expérience engageante, de l’émotion bien dosée et assez de justesse pour nous maintenir envoûtés.
Sa structure très concise a également été parfaitement utilisée: l’histoire sait dès le départ où se diriger, le rythme est efficace et atteint dès la fin de l’introduction sa vitesse de croisière pour ne plus jamais retomber.
Les qualités à dénombrer sont multiples: bons dialogues, personnages très réussis, belle romance,... mais là où l’auteur se démarque, selon moi, c’est dans sa capacité à jongler entre différents tons, entre réalisme et vision idéaliste, entre noirceur et espoir.
«Dieu nous ment» est le récit de deux enfants, Natsuru, un jeune garçon passionné par le football, et Rio, une fille sérieuse et incroyablement grande pour son âge. Ils arrivent à la fin de leur primaire, leur cadre est d’un contemporain banal. Leur quotidien défile, le poids de leurs malheurs nous parle. Difficile de ne pas s’attacher à eux tant ils nous paraissent humains. Natsuru notamment a une personnalité joliment retranscrite: à la fois brave et lâche, gentil et parfois peu tempéré.
La première partie du récit est l’occasion d’introduire les différents personnages et développe surtout la rencontre de Natsuru avec la mystérieuse Rio et son petit frère. L’ensemble respire la magie de nos juvéniles fantaisies où, par des circonstances bien commodes, le garçon rencontre la fille. On se prend à observer avec tendresse les échanges encore innocents et la joie presque familiale qui se dégage, ce malgré une réalité presque étouffante.
Vient alors la deuxième partie où celle-ci reprend ses droits. Elle frappe autant les regards que nous consumons les pages. Tout fout le camp mais la fascination perdure avec d'autant plus de force que la brisure n’est pas totale: la construction du premier acte prend ici tout son effet et il n’y a pas de volte-face direction Désespoir: si les secrets de «Dieu nous ment» sont déracinés, ce n’est jamais le cas de son profond optimisme.
Un optimisme qui ne cède pas à la facilité cependant. Il n’y a pas de mise à l’épreuve dont les héros doivent triompher. Natsuru et Rio, malgré toute leur maturité, n’ont pas de réponse et c’est bien là toute la poésie de leur aventure et la mélancolie de leur errance.
Si peu de temps, et pourtant à l’arrivée «Kamisama ga uso wo tsuku» ne laissera pas ses lecteurs indifférents. Au risque de me répéter, je recommande cette histoire: la lire, c’est vivre la beauté de l’évasion et le magnétisme d’un monde cruel.