Kaléidoscope
Qu’y a-t-il de commun entre une plante verte, à la croissance inquiétante, un shampooing au citron, un téléviseur à demi enfoui dans le sable, un masque de chien, un aileron de requin, une coupe de cheveux, une planète lointaine et un poisson rouge au fond d’un verre d’eau ?
Absolument rien, sinon ces deux garçons prénommés l’un Martin et l’autre John. Mais la convergence est trompeuse : Martin et John est un recueil d’histoires indépendantes les unes des autres, certaines très courtes, de l’ordre de deux ou trois pages, parfois sans paroles ; d’autres plus longues, l’une d’elles couvrant l’équivalent de deux volumes.
A chacune de ces histoires son binôme, son propre Martin et son propre John. Ce qu’elles ont en commun, ce ne sont pas deux personnes, mais bel et bien deux prénoms, accolés l’un a l’autre. Le procédé en a dérouté plus d’un.
Inutile, donc, de trop s’attacher à la construction narrative : Martin et John est avant tout un manhwa d’atmosphère, sensuel parce que sensible, où les émotions vous étreignent sans que leur ressort soit parfaitement élucidé. La première histoire où Martin et Mari, respectivement l’ex et la veuve de John, conviennent de se rencontrer dans l’espoir de combler le vide laissé par l’absent, est juste bouleversante.
Impossible, pour autant, de crier à l’œuvre d’art. Martin et John reste prisonnier des codes qui tirent le manhwa vers le bas : des poses ridicules de mannequins en fashion week et un style parfois déclamatoire qui caramélise certaines scènes dans un mélo roboratif.
Le dessin, toutefois, reste léché, d’une joliesse indéniable. Et certaines scènes, à défaut de sonner juste, ont une réelle profondeur, parvenant, par exemple à nous faire ressentir l’intimité des deux protagonistes dans une coupe de cheveux ou le partage d’un bonbon acidulé. L’humour n’est pas absent et les déconvenues rencontrées par John Hatch dans la garde de son petit frère Martin font mouche. Certaines histoires ont un arrière-goût de Nouvelle Vague.
Martin et John est plutôt considéré comme un shônen-ai. Pas la peine de finasser : c’est en grande partie le cas. Mais Park Hee-Jung ne se cantonne pas aux limites du genre. Elle fait mieux : elle en déconstruit les contours jusqu’à en rendre vaine l'existence. Ses personnages sont gays ou non, androgynes voire hermaphrodites et, au fond, peu importe, d’autant que ses histoires baignent dans l’atmosphère assourdie des songes…
Malgré ses atouts, Martin et John n’a pas trouvé son public et les parutions ont cessé au cinquième volume. Il y a moyen de s’en accommoder : la dernière histoire n’est pas laissée en suspens. Mais on reste frustré, devant le champ de possibilités ouvertes, de ne pas en savoir plus sur les histoires ultérieures. Peut-être, aussi, avons-nous lu le meilleur : le volume 5 était déjà un ton au-dessous des précédents. A priori, aucune version dans une autre langue européenne n’est disponible.
(Pour la note, je partais sur un 7,5, mais je dois pouvoir pousser jusqu'au 8. Dont acte).