En parcourant les sorties shojo des prochains mois (activité très saine et très importante), mon chemin a croisé celui de la couverture du dixième volume de No Longer Heroine. Une couverture absolument splendide, j’ai tout de suite été captivée par l’expression désabusée de l’héroïne, avec un sourire mi-heureux mi-triste et une aura assez mature. Le résumé a ensuite achevé de titiller ma curiosité tant le concept avait également de quoi séduire.
Le shojo scolaire étant l’un des types les plus « codés » du manga, rares sont les titres qui s’aventurent à déstructurer le schéma traditionnel en s’éloignant du cadre de l’héroïne gentille et timide qui découvre ses premiers émois amoureux, avec cette douceur et cette naïveté maladroite qui participent à nous la rendre sympathique et attachante. Il est très risqué d’opter pour une narratrice antipathique et médisante, un risque qui peut tout aussi bien amuser le lecteur quand c’est bien fait, que le braquer quand c’est du potentiel gâché.
No Longer Heroine fait partie de ces titres ambitieux. Sauf qu’à trop vouloir se démarquer, il en oublie d’être intéressant. Conceptuellement, ça a tout pour plaire, ce n’est pas tous les jours qu’on narre le récit du point de vue de la « rivale », la biatch prête à tout pour séparer un couple et avoir son happy ending… mais le concept ne fait pas tout, le manque d’inspiration commence à se faire ressentir dès le second volume. Une fois le contexte et les personnages mis en place, l’auteure racle dans les fonds de tiroir pour nous servir des clichés médiocres, tout au long des dix volumes.
A se demander si Koda Momoko, dépassée par le succès inattendu de son manga, n’a pas su quoi raconter entre le début, soigné et riche en gags, et la fin qu’elle avait imaginé ; les trois quarts du titre sont complètement inutiles et ne réussissent qu’à nous rendre les personnages principaux insupportables.
Hatori, l’héroïne friendzonée, est d’entrée de jeu présentée comme superficielle, insolente et absorbée par des intérêts futiles. Le portrait honnête d’une adolescente japonaise, inoffensive en apparence, mais aux pensées médisantes et aux désirs égoïstes. Elle renvoie une image assez rude et bien loin de l’archétype shojo bien lisse, et même si on fait un peu la grimace à l’idée de nous « identifier » à elle, force est d’admettre qu’elle est assez cool. Même si elle n’est pas des plus charmantes, elle reste sympathique, notamment grâce à son potentiel comique, boosté par les expressions impayables que lui confère le trait de l’auteur. Là où les mangaka shojo s’évertuent habituellement à proposer des expressions adorables, ici, l’auteur s’éclate à enlaidir son héroïne avec une palette d’expressions les unes plus affreuses que les autres. Notamment lorsque Hatori pleure, sa figure est absolument abominable, c’en devient amusant, les larmes étant habituellement utilisées pour attendrir dans ce type de récit.
Sauf que cette description singulière ne correspond qu’au tout début, du statut de rivale, Hatori passe très vite au statut de la courtisée. La déception est cuisante, après qu’on nous ait fait miroiter l’espoir d’une héroïne avec du punch. A partir du moment où on abandonne l’intrigue de la rivalité, ses défauts s’amplifient, elle ne nous amuse plus, elle nous agace. On n’est plus mal à l’aise face à tout ce qu’elle se prend dans la tronche, mais abasourdi par ses réflexions les unes plus stupides que les autres et son succès sorti de nulle part. On pourrait penser que les vents qu’elle se prend, les peines de cœur qu’elle encaisse l’aideraient à gagner en maturité, à se remettre en question… et bien non, c’est même qu’elle régresse, toute sa hargne des débuts se transforme en niaiserie nauséabonde. Imaginez le tableau, la niaiserie et l’indécision des héroïnes shojo habituelles, mêlées aux défauts de la rivale arrogante, égoïste et hypocrite… ça vous parait explosif ? Même pas, ça n’a aucune saveur. On pourrait penser que tous ces défauts font d’elle quelqu’un d’authentique, reflétant la laideur humaine ou que sais-je, mais non, tous les défauts de Hatori tournent en orbite autour de Rita, son ami d'enfance et l'objet de son affection. Tout ce qu’elle fait, c’est penser à Rita, et quand elle ne pense pas à Rita, elle essaye de ne pas penser à Rita. Au final, ce n’est ni l’héroïne douce et apaisante, ni l’anti-héroïne connasse et acidulée, juste une minette perturbée et perturbante.
A ses côtés, on retrouve Rita. Rita, oh Rita… Voyez-vous, j’ai pu vous paraître bien dure dans ma façon d’appréhender le personnage de Hatori, et pourtant, mon antipathie à l’égard de cette dernière est loin d’égaler l’aversion que j’ai pour Rita. J’ai failli abandonner la lecture à plusieurs reprises tant je n’arrivais plus à le supporter, c’en était presque douloureux de le voir minauder à longueur de temps.
Les enfoirés dans les shojo sont généralement des princes égocentriques, des garçons possessifs et dominateurs et/ou des raclures machistes. Rita est hors-catégorie, Rita c’est le top du top des enfoirés ! Eh ouais, il n’y a pas que l’héroïne qui soit atypique, le héros l’est tout autant. On peut apprécier l’ « originalité » du personnage dans ce contexte, mais dans mon cas, je l’ai trouvé gonflant tout du long. Rita, sous couvert d’immaturité et d’indécision, manipule et blesse les autres, envenime les situations et se pose constamment en victime. C’est surtout ce dernier point, la victimisation, qui me le rend très désagréable. Il bat le chaud et le froid, selon ses humeurs et ses désirs, sans jamais prendre en considération les sentiments des autres. A force de le voir jouer les martyres, puis l’amoureux transi prêt à tout encaisser, alors qu’en réalité il ne fait que flatter son petit égo en s’assurant d’être le centre de toutes les attentions, mon agacement a fini par atteindre un seuil critique.
Sur le papier, ce duo infernal a un gros potentiel, si leurs sales caractères avaient servi des thématiques plus variées que des rectangles amoureux. C’est assez frustrant.
C’est encore plus frustrant de reconnaître que même si mal exploitées, les idées sont là, et elles sont pour la plupart assez chouettes. Outre le fait de mettre en avant deux protagonistes principaux crispants, la mangaka continue à aller à contre-courant en présentant les archétypes héros/héroïne shojo habituels en tant que personnages secondaires, comme le voudrait, quelque part, le bon sens. La fille passive et gentillette se fait entuber, et le garçon populaire et tombeur peine à séduire la fille quelconque qui ne le calcule pas.
Avec un tel setting, les possibilités sont immenses. Et pourtant, No Longer Heroine échoue à proposer quelque chose d’innovant, en commettant l’erreur commune aux shojos qu’il est supposé tourner en dérision : Les personnages manquent de nuances. Si la nunuche agace dans les shojos, c’est surtout par son manichéisme, le fait qu’elle soit gentille n’est pas le problème, c’est le fait qu’elle ne soit que gentille. Transformer la nunuche stupide en pétasse stupide, c’est un peu cacher le soleil avec un tamis, on retrouve le même manichéisme irritant avec un personnage à une seule facette qui n’évolue pas, et nous fait sortir de nos gonds en continuant à tourner en rond et répéter sans cesse les mêmes sottises.
Mais vu qu’il existe toujours une oasis au milieu du désert, il y a Nakajima, la meilleure amie de l’héroïne. Side-kick bien cool, qui dit toujours les choses crûment. Nakajima, c’est un peu le lecteur qui se glisse dans le récit pour refiler des baffes aux personnages et les faire redescendre sur terre. Elle a toujours la réplique bien acerbe, et ne caresse jamais les autres dans le sens du poil. C’est le seul bol d’air frais, quand les autres s’adonnent à leurs caprices et hypocrisies. Si jamais l’auteur décide de créer un spin-off avec Nakajima comme héroïne, je sauterai dessus sans la moindre hésitation.
Au final, No Longer Heroine n’est pas une daube infâme que je déconseillerai avec virulence, mais plutôt un titre qui n’a pas su se montrer à la hauteur de ses ambitions, ce qui en fait un pétard mouillé. Si on va au-delà de la déception liée à l'histoire qui n'a strictement aucun enjeu à part le shipping final et voir si Hatori réussira à être l’héroïne de son histoire d’amour ou pas, le manga reste assez passable. C’est loin d’être transcendant, ça frôle avec le médiocre à plusieurs reprises avant de rebondir de façon bancale, mais l’humour, les personnages atypiques, l’excitation malsaine à l’approche du dénouement et certaines idées singulières, à défaut d’en faire un incontournable, le sauvent de la banalité.