Bokura ga Ita est un incontournable pour tout lecteur avide de comédies romantiques ou de drames, mais pas seulement. L’œuvre ne s’adresse pas uniquement aux habitués du genre mais un peu à tout le monde, à condition d’avoir le cœur bien accroché. c’est la définition même de ce qu’est le « tranche de vie » en nous racontant une histoire à laquelle on peut se lier, et qui peut titiller notre sensibilité pour autant qu’on ne soit pas obtus à la romance. « C’était nous » est un condensé d’émotions brutes qui nous envahit, on se dématérialise et on pénètre dans les pages, on n’est plus soi, nous sommes eux.
Néanmoins, ce titre ne peut être unanimement apprécié, certains pouvant être dérangés par cet amour destructeur emportant dans son sillage le bonheur de plusieurs personnes (*murmure : Take~). Même que ceux qui suivaient mensuellement –pauvres d’eux, une minute de silence pour leurs petits cœurs mis à rude épreuve- pourraient ne pas avoir un avis aussi positif tant l’attente devait être insoutenable entre les chapitres, durant les volumes où la dépression est injectée dans l’âme. Les personnages ainsi que leurs choix pouvant être frustrants mais sincères et propres à eux, l’histoire ne se prétend pas donneuse de bonne leçon mais titube entre les personnages qui restent jusqu’au bout fidèles à leurs sentiments et résignés à leurs peines, ça vous fait mal ? Peu leur importe, vous n’existez pas pour eux.
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Les autres pensent que j’ai souffert, que c’était dur. Quand on est passionnément amoureux;
on perd toute objectivité et on se fie seulement à ses sensations et envies.
Exactement comme un enfant absorbé.
Je pense qu’on ne peut pas parler de bonheur ou de malheur,
cela se juge avec sa tête et un enfant ne se demande pas s’il est heureux.
C’est comme si on n’existait qu’au moment présent…
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C’est un peu délicat de vous convaincre que ce titre brille d’originalité avec son début assez mitigé où on retrouve le cliché de la jeune adolescente naïve (Takahashi) qui tombe facilement amoureuse, au bout d’un sourire et d’un bye-bye du délinquant populaire (Yano). Il faut un peu s’accrocher avant que la direction que choisit de prendre l’auteure ne commence à se dessiner. On peut même finir par trouver un charme à la niaiserie des débuts tant elle tranche avec la suite, beaucoup plus sombre, presque glauque avec le passé qui n’arrête pas de s’imposer et regorger de révélations tragiques. Le courant de l’histoire devient alors imprévisible, sinueux, et au fur et à mesure qu’il s’éloigne du début rose-bonbon, s’amuse à sinuer en ouvrant différentes portes et développant différents personnages. Les personnages, principaux ET secondaires, sont d’ailleurs l’un des points forts du titre, mais on reviendra là-dessus plus loin.
L’histoire s’étend sur dix ans et se divise en deux parties : Les premiers volumes, du 1er au 8ème, (ceux à être adaptés dignement sous la direction du talentueux Daichi Akitaro en anime en 2006, pour ceux qui préféreraient découvrir l’œuvre par le biais de ce format.) se déroulent au lycée avec leur lot de drames adolescents et circonstances tragiques, alors que du 9ème au 16ème volume, on se concentre sur leurs vies d’adultes quatre ans après les événements du 8ème volume, tout en révélant avec une narration remarquable ce qu’ont traversé les personnages durant l’ellipse. Des sauts temporels entre le présent, le passé proche où on a perdu les personnages de vue, mais également des extraits de ce passé lointain que deviennent les 8 premiers volumes qui furent notre présent à un moment de la lecture et dont la nostalgie amère nous berce et nous attache aux personnages dont on a suivi le parcours. On grandit avec eux, on compatit à leurs peines, on apprend à les connaitre, à les comprendre, à les aimer, à les soutenir et à pleurer quand ils souffrent.
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Le printemps, j’ai marché avec lui le long d’un chemin infini bordé de fleurs blanches.
L’été, j’ai compté avec lui des pluies et des pluies d’étoiles.
L’automne, nous nous sommes embrassés dans les champs dorés sous le ciel embrasé.
L’hiver, nous nous sommes courus après à n’en plus finir, sous d’épais flocons de neige.
Plus les souvenirs sont beaux, plus ils font mal. Tu me manques tellement…
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Différentes difficultés tutoyant notre réalité impitoyable se dressent entre les deux personnages, dont l’amour est d’une force imparable, j’en ai lu des shojos, oh que oui j’en ai lu et vu, mais jamais la force des sentiments n’aura été aussi frappante, communicative et violente que dans Bokura ga Ita. Même si on pouvait quelque fois douter des sentiments de Yano au départ, qui étaient certes sincères mais partagés avec son premier amour dont il ne pouvait se détacher et qui rivalisait avec celui qu’il nourrissait pour Nanami du fait qu’il n’avait pas connu de « conclusion » lui permettant d’avancer, par la suite, ces sentiments naissants se développent, prennent de la force, étouffent, crèvent les yeux et le cœur. Un amour à la fois unique et remarquablement mis en scène, avec une sensibilité propre à l’auteure. Même en étant emprunt de mélancolie et d’amertume, cet amour apprend aux deux jeunes gens la confiance et la communication de sa force à l’autre. Même en étant séparés, aux moments les plus difficiles et incertains, un amour qui ne faiblira pas. C’est cet amour dont toi, moi, nous, l’humain rêve dans cette solitude inhérente à sa condition. Cet amour où la conviction que l’autre vit quelque part sous le même ciel, suffit pour aider à avancer et continuer de vivre.
On réapprend avec cette lecture les différentes définitions de ces bases relationnelles que sont la confiance, la patience et les souvenirs. Alors même qu’on aborde un nouveau chapitre de leur vie avec ce thème déchirant qu’est « l’abandon » , l’auteure met en place une situation douloureuse (qui aura été à l’origine de mon propre abandon du manga il y a quelques années de ça, tant l’attente était invivable, « C’était nous » c’est vraiment le genre de titre à lire d’une seule traite pour s’imprégner au mieux et ne pas se laisser agoniser par la frustration et la dépression injectées en intraveineuse) et soulève en nous des questions sans proposer des réponses claires sur ce qui est « bien » ou « mal », sur ce qu’on peut pardonner ou pas. C’est remarquablement nuancé, et la narration ne se prétend en aucun cas moralisatrice même si lourde de sens, ce ne sont pas juste des extraits ou des citations qui marquent mais l’ensemble de l’histoire qui glisse entre les différents points de vue des personnages, avec Aki comme angle de vue le plus pertinent et extérieur. Alors même que la situation semble sans issue et qu’on est rongé par le désespoir, il existe toujours cette infime touche d’espoir que sont les doux souvenirs auxquels s’accrochent les protagonistes et qui font leur force. La mangaka arrive à intégrer ces souvenirs immuables à l’histoire sans pour autant faire des personnages des êtres bloqués dans le passé qui n’arrivent pas à aller de l’avant. Car aller de l’avant, ce n’est pas se défaire du passé mais apprendre à vivre avec, en tirer sa force.
Les personnages jouissent d’un développement substantiel et de personnalités bien distinctes qui font l’intérêt et la complexité de la trame psychologique. Ils se heurtent les uns aux autres dans un tourbillon sans fin d’incompréhension, de secrets, de sentiments intenses et de naïves promesses. De l’enfance insoucieuse, l’adolescence à la fois naïve mais faisant face aux prémices de la réalité à cet âge adulte où la réalité finit par les frapper de plein fouet, un à un, sans épargner personne. Une belle tranche de la vie telle qu’est, n’épargnant personne de grandir. On se concentre sur différents aspects de leurs existences qui se croisent, se séparent puis s’enchevêtrent. Chacun d’entre eux a un réel impact sur l’autre et les différentes interactions entre eux influencent le courant de l’histoire et les différentes décisions avec subtilité, certains choix étant remis en question, rediscutés par la suite, soulignant ce lien invisible qui se crée au fil du temps au terme de conversations pouvant paraître anodines mais qui peuvent s’avérer cruciales. Comme cette discussion naïve où Nanami en faisant passer ce qu’elle jugeait être dans l’intérêt de Yano avant ses sentiments à elle, s’est avérée être l’échange ayant défini les 5 années suivantes. Yuuki-sensei joue beaucoup sur les « choix » des personnages, à se demander quel est le meilleur choix à faire, une question qu’on se pose soi-même mais elle ne nous propose aucune solution, et ça reste ouvert à la libre interprétation de chacun.
Nanami reste le personnage le plus accessible et en lequel on peut le plus aisément se reconnaître tant c’est une jeune fille assez quelconque, qui tombe sincèrement et profondément amoureuse de quelqu’un qui la complète, à vrai dire, mais qui a subi des tragédies auxquelles elle devra faire face. Elle est d’ailleurs intéressante par cette pureté avec laquelle elle aborde et accepte le passé de Yano, même qu’elle aide ce dernier à avoir une autre perspective et réussit à gagner sa confiance, de façon crédible et bien racontée.
D’ailleurs, même Yano malgré tous les drames (Je ne sais pas si j’admire ou maudis l’acharnement de l’auteure contre ce pauvre chou !) reste quelqu’un d’assez simple dans une situation compliquée, avec une personnalité qui se détraque, une âme qui se détruit mais qui se reconstruit et se cicatrice au contact de Nanami. L’écriture des personnages est tellement soignée, délicate qu’alors même qu’ils grandissent séparément et ont un développement individuel assez éloigné, le lien qui les unit reste là, très présent, ineffaçable et faisant la force de la romance sans pour autant se contenter d’une banale histoire d’amour mais en racontant d’autres choses à côté sur le passage à l’âge adulte, la reconstruction de soi…
Takeuchi, Akiko voire même Yuri, sont développés au même titre que le pairing principal, et essentiels à l’histoire.
Takeuchi est l’ami idéal dont rêve tout un chacun, il inspire un sentiment de sécurité et de profonde affection, c’est le personnage que Yuuki-sensei s’amuse à nuancer d’imperfections tout en faisant de lui la pierre angulaire du manga tant la relation entre Nanami et Yano repose sur sa maturité et son sacrifice, il ne tiendra à aucun moment le rôle de l’underdog relégué au second plan mais sera le pilier de son meilleur ami et de cette fille ayant conquis leurs cœurs par sa simplicité et sa sincérité.
Akiko arrive sur le tard mais s’impose comme l’un des personnages les mieux travaillés et plus intéressants du récit, alors qu’on peut être réticents lors de son apparition où tout un chapitre (et tout le volume qui suivra, d’ailleurs) est abordé du point de vue d’une illustre inconnue, on se prête rapidement au jeu et on apprécie cette nouvelle perspective. Là où un autre shojo classique aurait vite fait d’elle la rivale amoureuse lambda, c’est loin d’être le cas ici. Le regard qu’elle porte sur Yano et Nanami est un peu le même que le nôtre, y compris dans sa façon d’apprécier Yano et d’envier ce couple tout en l’idéalisant et l’aimant à la fois.
Yuri, antipathique et détestable au départ, saura également tirer son épingle des circonstances et s’affirmer comme un personnage loin d’être manichéen. Alors qu’elle semble tenir le rôle de « l’obstacle » quand le réel obstacle est la peur et les blessures de Yano, on apprendra également à la comprendre, se mettre dans ses baskets. Ses complexes, ses doutes, sa rancune, tous ces sentiments négatifs qui font d’elle cette personne détachée et asociale, la rendent l’un des personnages les plus douloureusement humains de l’histoire.
On sympathise avec eux alors qu’on les suit en train de se débattre dans cette vie qui continue de se dérouler malgré leurs larmes et leurs erreurs, alors qu’ils gagnent en maturité et en épaisseur. Au terme de leurs innombrables détours, notre attachement à leur égard participe à nous sublimer avec un dernier volume inoubliable, un masterpiece d’une magnificence qui fait qu’une seule lecture ne suffit pas, je pourrai le relire un million de fois pour le restant de mes jours, sans m’en lasser.
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« Je n'ai vécu que pour te rencontrer, Takahashi. » - Yano
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Graphiquement, vous pourrez me rire au visage et me traiter de charlatan. « Comment des dessins aussi rondouillets et mignons peuvent servir un propos aussi sombre et complexe ? », et pourtant, et pourtant ! Le trait simple mais unique à Yuuki Obata peut paraître inapproprié quand on n’a pas encore lu, mais on s’y habitue très vite, je dirai même que je n’aurai pu espérer mieux. Ce n’est pas parce qu’on traverse des drames et des tragédies qu’on a forcément des traits durs et tirés. Avoir une bouille mignonne ne nous épargne pas les malheurs. Même que les différents charadesign collent à la peau des personnages, comme notamment le babyface et les yeux ronds de Nanami soulignant son innocence, le sourire de Yano qui peut autant enchanter que crever le cœur.
D’ailleurs, je juge important de noter avoir beaucoup apprécié leurs styles vestimentaires, Yuuki-sensei y apporte beaucoup d’attention et de bon goût.
Par ailleurs, la palette d’expressions de l’auteure est tellement riche qu’elle continue à se renouveler et à nous offrir de magnifiques gros plans expressifs et nous véhiculer différentes émotions jusqu’à la fin.
Les backgrounds peuvent paraître torchés tant ils ne sont pas fouillés et beaucoup de scènes ne sont pas entièrement dessinées mais ce n’est par « flemme » (et même si ça l’est, ça n’empêche pas que l’effet que ça donne est réussi) mais parce qu’ils sont laissées à l’imagination de chacun. De même, il arrive qu’il manque une partie du visage ou un œil aux personnages, mais pour ma part, ça fait partie du style graphique de l’auteure, et ce n’est pas une gêne esthétique.
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La route que nous suivons est celle de nos choix. Je me suis parfois dit que j'avais raison, j'ai parfois pensé m'être trompée. J'ai toujours été fidèle à moi-même, comme toi, lui et tous les autres... C'est bien ainsi...
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Quelque part, ce qui empêche « C’était nous » d’être cliché ou pathos est la maturité et le réalisme de la plume Yuuki Obata, elle dirige son histoire d’une main de maître en sachant très bien où elle veut nous emmener, sans pour autant que ce soit manichéen ou prévisible. Aucun chapitre n’est de trop ou survolé comme une simple transition de remplissage ou de fanservice. L’auteure ne se limite pas à ce qu’attend d’elle l’audience mais se tient à son idée initiale quitte à nous torturer, nous pousser à bout. Chaque ligne, chaque dessin, ont un propos et participent à cette ambiance, cette aura propres au titre. Yuuki Obata réussit un tour de force en nous imprégnant de cette atmosphère onirique aiguisant nos sens et notre sentiment de nostalgie, de remise en question, où la fiction tutoie notre réalité et nos sens, nos propres regrets et blessures, notre propre passé et nos propres erreurs.
« C’était nous » est une aventure humaine, préparez-vous à rire, pleurer, vous enthousiasmer, vous frustrer… et passer par différentes émotions à n’en plus finir. Une histoire fictive mais des émotions bien réelles qui vous transpercent, avec ce sentiment nostalgique au terme de l’histoire de quitter des compagnons de route envers lesquels vous ressentez un sincère attachement. Un bel au-revoir où vous êtes candidement heureux de les avoir connus, d’avoir vécu toutes ces expériences avec eux et êtes reconnaissants de la générosité de l’auteure et de ces pans de sa propre sensibilité entre les lignes.
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Cette passion brûlante, ces impulsions aveugles,
cette naïveté attendrissante, ces sentiments purs et francs…
Dans mes souvenirs, nous étions sincères, francs, nous étions heureux.
Pour pouvoir un jour se retourner et y repenser avec nostalgie.
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Pour ceux ayant découvert ce titre « Bokura ga Ita » avec l’anime mais n’ont pas laissé sa chance à la suite, je vous comprends mais je vous encourage à continuer. La première partie peut être ennuyeuse de niaiserie mais vos sentiments envers les personnages évolueront en avançant dans l’histoire. Vous réaliserez que les événements de l’anime ne sont que l’introduction à la plus belle romance que vous lirez de votre vie. Il y a de faibles chances que vous le regrettiez, et vous réaliserez pourquoi ce shojo a remporté le « Shogakukan Manga Award » en 2005, et pourquoi il remporte le prix du meilleur shojo dans mon cœur et la note maximale de 10 dans cette critique.
Nanami et Yano sont des personnages marquants individuellement et en tant que couple. Ils sont ma définition de l’amour. L’amour peut nous blesser en nous laissant des cicatrices que même le temps ne peut guérir, nous détruire, nous terroriser et nous faire fuir mais ce même amour peut nous reconstruire, nous aider à respirer et à revivre, nous rassurer et nous faire revenir pour devenir des personnes meilleures.