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Sleeping Beauty Boy – Sieste au musée

» Critique du manga Sleeping Beauty Boy par Minuit le
21 Mai 2019

S’il y a un genre que le yaoi moderne a tout à fait oublié, c’est le drame réaliste. Alors qu’il était omniprésent dans les années 1980, il a peu à peu disparu au début des années 1990, complètement submergé par la nouvelle génération de mélodrame expressionniste, dont fait notamment partie Zetsuai. Imaginez ce que donne le gekiga, ce genre de manga plus mature qui est né pour s’opposer au travail de Tezuka, à la sauce yaoi : c’est sans doute assez représentatif de ce à quoi ressemble le drame réaliste homosexuel dans les années 1980.

L’exemple qui vient en premier pour illustrer cette période est sans doute le manga Banana Fish, publié en 1986. Mais on trouve avant lui d’autres œuvres qui posent les jalons de ce que va devenir cette nouvelle esthétique, à la fois du point de la vue de la narration et du point de vue de la composition. Sleeping Beauty Boy est l’une d’elles.

Le manga raconte l’histoire de Tomoi. Le cadre de la narration reprend tout ce que l’on attend d’un manga du début des années 1980. La logique post-1968 a été particulièrement intégrée par les auteurs — et souvent davantage les autrices, d’ailleurs — de manga, aussi nous retrouvons au départ de l’intrigue le même rejet de la société traditionnelle japonaise, usé jusqu’à la corde depuis une dizaine d’années déjà. Tomoi décide, pour fuir l’atmosphère familiale oppressante, de partir pour les Etats-Unis où il peut enfin vivre son orientation sexuelle.

Ce serait mentir de dire que l’histoire est intéressante. En fait, quiconque connaît mes goûts sait très bien que je suis plus de l’autre école, et que le réalisme me fait, tout au plus, lever les sourcils en soupirant. Je tenais cependant à mettre en lumière cette autre esthétique qui se développe : car si je ne l’apprécie pas pour elle-même, elle est loin d’être sans intérêt.

Le manga est très court. Il n’occupe qu’un volume, pour quatre chapitres. C’est donc, avec sa suite qui est un peu l’aboutissement de ces engagements stylistiques, une excellente porte d’entrée pour qui s’intéresse, ou par affinité, ou par simple curiosité, à cette époque au niveau de la production de mangas.

Sleeping Beauty Boy est avant tout un drame, et un drame qui n’épargne pas ses personnages. Là où la branche expressionniste a tendance à se prendre d’affection pour presque tous les personnages, on peine ici à trouver dans le manga un seul personnage qui ne mérite pas notre mépris. A ce titre, le manga tire un constat sombre, cynique et sans apprêt de la société ; une sorte de portrait si brut qu’il en devient vulgaire, presque inadmissible. L’autrice se permet même, par la même occasion, de remettre à leur place par deux occasions les amatrices d’histoires homosexuelles ; et le ton est loin d’être tendre.

Il y a un fond excessivement déstabilisant à ce manga, qui est porté par une esthétique de l’efficacité. Elles sont loin les compositions brillantes, presque baroques, du cercle de l’an 24. Ici, le trait est froid, calculé, limpide. L’autrice, Akisato Wakuni, est connue pour ne pas aimer dessiner ; et cela explose à chaque page. Le dessin n’est jamais qu’un moyen de raconter une histoire, et car il n’est qu’un moyen, un intermédiaire gênant, il doit disparaître.

Cependant, si le manga est très intéressant et qu’il a, par ses prises de position, le bon goût d’une retenue presque involontaire, il reste absolument ancré dans son époque. Et par là, il ne s’agit pas de retenir l’omniprésence historique du sida ou les années disco ; mais bien de pointer du doigt l’aporie esthétique de ce manga volontairement dénué d’âme ; et qui sans âme, sans personnages, sans histoire à raconter, ne réussit ni à convaincre ni à toucher.

Sleeping Beauty Boy est un objet de musée, que le temps a dépouillé de tous ses attraits pour ne plus conserver que la carcasse morne, vide, abandonnée à la poussière de ce qui, un temps, fut une tentative audacieuse, mais qui ne paraît plus aujourd’hui, en son état, qu’une utopie un peu vaine. Et pourtant, c'est exactement pour cette raison qu'il est passionnant. Une note neutre donc, car on ne saurait noter un objet sans valeur, qui n'est plus beau que pour le souvenir de ce qu'il a été.

Verdict :5/10
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A propos de l'auteur

Minuit, inscrit depuis le 23/09/2017.
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