On a rarement vu un manga afficher aussi haut et fort sa débilité profonde : dès les premières pages l'univers heroic fantasy, très bien rendu, est discrédité par des héros ayant les noms les plus absurdes qu'on ait pu voir à ce jour : Carotte, Tiramisu (alias "Tira"), etc. sans oublier les accolytes de choc tels Gâteau ou encore Daughter (qui n'est autre que la protégée de sa reine... Mother). Inutile de dire que l'ignoble Zaher est un méchant d'opérette dont on se moque éperdument.
Le concept est quant à lui absolument génial : chacun des personnages possède un capacité spécifique, et tout semble tourner autour du plus consternant d'entre eux, le bien nommé Carotte. Moche, faible, inapte à toute forme d'action, paresseux et coureur de jupons, il possède pourtant la propriété d'absorber la magie, c'est-à-dire que tout sorcier qui lui lance un sort réveille en lui une bête gigantesque et aux allures de Minotaure, qui n'est rien de moins que le Dieu de la Destruction.
Cependant, à personnage débile pouvoir absurde, une fois changé en cette espèce de taureau géant, Carotte ne peut plus se contrôler et détruis tout sur son passage. Pour le calmer, ce sont deux soeurs, Tira et Chocolat, toutes deux éperdument amoureuses de cette lavette, qui doivent intervenir. Pour ce faire, elles abandonnent leur imperméable pour exiber des tenues SM et changer de personnalité, fouettant Carotte avec un plaisir effarant, jusqu'à ce que ce dernier retrouve sa forme normale : cela donne des saynètes hilarantes, où tous les stéréotypes sont convoqués pour nous faire rire.
Hélas, ce concept génial n'est pas assez employé, et très souvent le manga est en sous-régime. Le scénario ne se suffit pas à lui-même, ce sont les gags qui font tourner la boutique, et parfois ils ne sont pas tous à la hauteur.
Le dessin est quant à lui ciblé, et Ray Omishi possède un talent des plus sélectifs : ayant trop de planches à faire, il réussit la prouesse de dessiner à la va-vite les personnages masculins, et de se focaliser sur les héroïnes : c'est une forme très plaisante de ecchi, typique des années 90, lorsque le fan service le plus outrancier parvenait malgré tout à ne pas sombrer dans l'obscène. Ici, Chocolat et Tiramisu sont dessinées avec amour, Omishi se perd dans les détails, mais jamais il ne favorise les gros plan complaisants et les gags ultra gras, préférant dessiner les personnages en pied, et se contentant d'un érotisme évasif et d'une certaine élégance dans les cadrages. Une réussite sur ce plan-là.
Mais revenons au point fort : l'abdurdité du manga. Comme je l'ai déjà dit, c'est un condensé de clichés que nous offrent les auteurs : deux soeurs timides et SM, un héros ridicule affublé d'un frère transparent, auxquels viennent s'ajouter occasionnellement deux compères hauts en couleur : un travesti surpuissant et un bodybuilder hédoniste vouant un culte à la beauté des corps, exhibant ses muscles pour le plaisir des yeux, et adorant particulièrement défiler en string sur la plage afin de se faire admirer. Les séquences anthologiques sont légions, et les auteurs ont de plus le bon goût de varier les plaisirs, c'est-à-dire que des personnages tels que Gâteau (le bodybuilder) n'arrivent que pour les besoins (pas vraiment essentiels) de l'intrigue.
Le délire est contagieux, et très souvent on ne parvient pas à croire ce que l'on voit : une caricature de maître Yoda, un concours de cuisine, tout est prétexte à l'absurdité totale. Il faut enfin évoquer cette scène invraisemblable où le comte Patate, ayant créé une potion pour être la star de l'été, donne son liquide à boire à tout les héros, qui se transforment en héros de dessins animés tels que "Jeu, set et match" ou "Olive et Tom". La star de l'été devient en fait star de télé (jeu de mot des plus douteux, probablement traduit n'importe comment). Tous les genres y passent...
Un manga brouillon, pas toujours maîtrisé, scénarisé par un manche à balai possédant un humour à toute épreuve, et qui, pour une somme extrêmement modique (12 euros le coffret de 4 volumes), promet au moins de passer un moment vraiment agréable sans avoir à se taper la tête contre les murs.
Une valeur incontournable de débilité totale.