Shinobi no Kuni. Un manga que j'ai découvert avant les fameuses adaptations sur le même support des romans de ninjas de Yamada Futarou par Masaki Segawa (Basilisk, Y十M). Sans doute le manga le plus réaliste et le mieux construit que j'ai pu lire sur le sujet :
Premièrement, Shinobi no Kuni dessiné par Banno Mutsumi, est aussi une adaptation d'un roman, celui de Wada Ryou. Il est inspiré de faits réels : ceux de la guerre d'Iga lors de l'ère Tensho, au XVIème siècle. Ce conflit implique notamment le clan Oda, célèbre pour son chef Nobunaga mais aussi son fils Nobukatsu, désireux de faire ses preuves auprès d'un père exigeant et impitoyable. Bien sûr l'histoire est romancée et au début du manga un autre problème de taille se pose à Nobukatsu... Son clan vient tout juste de vaincre le clan Kitabatake et le jeune Oda se marie au sein du clan déchu pour pouvoir réclamer les terres d'Ise, voisines d'Iga. De l'autre côté des montagnes on nous présente les fameux ninjas d'Iga et j'ai tout de suite apprécié le portrait que leur dresse l'auteur : des mercenaires esclaves de l'argent, l'appât du gain est leur seule raison de vivre et la région est minée par les conflits internes. Si l'argent est la priorité, la guerre et les meurtres sont des plaisirs qu'ils consomment sans modération.
Malgré cette description bestiale, Iga n'en reste pas moins une société très organisée :
-Un conseil de douze ninjas prenant les décisions au nom d'Iga
-Ces douze ninjas représentent diverses familles de shinobi réparties dans la région
-Les genin, shinobi de base chargés d'exécuter les ordres
Puisque bien entendu ça n'est pas en se massacrant pour le plaisir qu'ils gagneront de l'argent, mais en faisant des missions à l'extérieur. En termes de combat, la panoplie est bien fournie et me semble très réaliste : shuriken, kunai, makibishi, ninjatô ou autres déboitement d'épaule pour se défaire des liens, les shinobi ne manquent pas de ressources. Autre chose qui m'a plu, c'est que malgré cet égoïsme primaire, Iga a tout de même une identité, un groupe prêt à défendre sa région en cas d'attaque. Etre un shinobi d'Iga c'est toute une mentalité : certes ils sont égoïstes et cruels, mais ils semblent imperméables à la souffrance et surtout très malins. Ce qui m'amène aux points les plus développés du manga : le fait d'être cupide, d'en vouloir toujours plus. L'égoïsme poussent les shinobi d'Iga toujours plus loin au niveau des stratégies : manipulations des sentiments, tactiques de guerre, mensonges... Pas de place pour l'humanité. Ici c'est moche mais ça rapporte et si certains n'arrivent pas à s'y faire ils mourront.
Cette mentalité là amène le débat dans le sens inverse : est-ce que ça vaut le coup de vivre ainsi ? Ce genre de question envahit inévitablement les esprits d'un bon nombre de protagonistes mais pas seulement : Nobukatsu a aussi ses propres problèmes et son développement est tout aussi intéressant que le cas de conscience de certains ninjas. Si l'aspect tactique de l'univers ninja est le gros point fort du manga pour moi, le traitement de ce thème l'est tout autant. Il n'est pas question de verser dans la niaiserie mais plutôt de peser le pour et le contre de chaque solution : vivre comme un animal sauvage pour garantir un confort fragile ou comme un humain en écoutant sa conscience malgré les souffrances.
Je trouve que c'est d'autant plus appréciable que SnK ne compte que vingt-deux chapitres, certes on va au-delà de la vingtaine de pages classiques, mais ça reste relativement court et pourtant même la romance superficielle évoquée plus haut gagne en crédibilité avec le développement humain. Enfin les dessins peuvent parfois paraitre brouillons mais j'adhère au style qui colle bien avec l'époque Sengoku et ses champs de batailles garnis.
Shinobi no Kuni est un shonen qui en plus d'avoir sa part de réalisme, tord le cou aux clichés concernant sa classification et propose un vrai esprit ninja tant dans le contenu des combats que dans la mentalité des personnages. Une réussite totale pour ma part.