Toriko, c’est une ode à la démesure. Partant d’un concept qui fait hausser le sourcil, de premiers chapitres relativement plats et classiques, le manga gagne ses galons à mesure que l’histoire progresse. Pourquoi cela ?
Eh bien, à première vue, l’œuvre nous présente les aventures du Bishokuya Toriko, l’un des quatre rois de ces maîtres chasseurs, autant dire : une brute, une légende, un personnage qui paraît tellement puissant que cela en devient vaguement anecdotique, puis dépourvu d’intérêt. Je veux dire, suivre le récit d’un guerrier capable de mater tous ses ennemis en deux-trois coups de cuiller à pot, ça manquerait sacrément de piquant. Heureusement, ce n’est pas ainsi que l’histoire est traitée. La puissance de Toriko sert à mettre en exergue l’immensité et le merveilleux du monde qui l’entoure, de cette Ere des Gourmets dans laquelle il évolue.
Paraissant incroyablement robuste dans les premiers chapitres, le manga aura tôt fait de nous prendre à contrepied et de nous faire découvrir à quel point le fantastique Toriko est insignifiant face aux vraies légendes et réels dangers de l’univers de Shimabukuro Mitsutoshi. La marge de progression du personnage est énorme, et l’auteur n’hésite pas à toujours repousser davantage ses limites dans des affrontements sanglants et dévastateurs qui n’ont rien à envier à du Hokuto no Ken, ou en le confrontant aux forces d’une nature toujours plus rocambolesque. Les combats sont très réussis et réellement palpitants.
La mécanique de l’œuvre est relativement classique. Toriko part à la recherche d’un ingrédient, accompagné ou non, affronte les multiples dangers semés sur sa route, et s’il obtient ce qu’il est venu chercher, décide de s’il l’intègre à son « Menu Spécial ». L’autre objectif évident sera très vite de se renforcer physiquement, afin de pouvoir effectuer un périlleux voyage vers le « Monde des Gourmets », pour lequel notre héros n’est pas encore prêt. Cela ne casse pas des briques, mais c’est suffisamment bien exécuté pour ne pas lasser le lecteur.
Néanmoins, il est vrai que l’œuvre met un peu de temps à démarrer. Les premiers chapitres font vaguement office de divertissement, à peine sympathiques, et il en faudra quelques dizaines pour s’immerger dans cet univers détonnant. Je pense que Toriko est un manga qui demande un réel temps d’adaptation. Il faut s’habituer aux personnages, accepter leurs motivations et le caractère loufoque (et finalement un peu ridicule) de leur monde pour pouvoir apprécier la suite à sa juste valeur.
Les personnages secondaires, de primes abords un peu repoussants, sinon fades ou clichés, gagneront également leurs lettres de noblesse au fil de l’histoire. Ainsi le petit cuistot faiblard, aux narines surdimensionnées, deviendra subtilement de plus en plus attachant et utile, l’androgyne horripilant aux penchants esthétiques excessifs et dérangeants saura lui-même se montrer digne d’intérêt, et il en est de même pour chaque partenaire de Toriko, que le manga interchangera judicieusement au fil des arcs.
L’humour est agréable et très présent, les têtes que tirent les protagonistes après avoir consommé un mets de choix sont littéralement délirantes. Et comme nous l’aura appris Yakitate !! Japan et autres mangas culinaires, s’attarder sur la préparation d’ingrédients et nous montrer le résultat final aura toujours le don de mettre l’eau à la bouche du lecteur. On éprouvera toujours une petite pointe de jalousie au moment de voir les protagonistes s’empiffrer, et leur expression de pur ravissement m’aura de nombreuses fois poussé à aller taper dans le frigidaire.
Toriko, donc ! C’est un joyeux cocktail humour/bouffe/baston, qui monte en puissance de manière fulgurante. L’intrigue, qui paraît relativement molle dans les premiers tomes, finit par esquisser de nombreuses promesses, bien qu’il soit encore un peu tôt pour voir si l’auteur parviendra à les tenir.