Qu'entends-je? "Pfff encore une niaiserie", "raah, ça suffit les midinettes qui tombent en pâmoison sur les hommes tendres et virils! Et puis les histoires de biberons, non merci".
Halte là malheureux! "Un drôle de père" est bien loin d'être un hybride de "J'élève mon enfant" et "Tensai Family Company". Que nenni! Bien au contraire, la jeune Unita Yumi nous propose une oeuvre très riche et d'une extraordinaire finesse psychologique.
L'histoire en elle-même est simple: Daikichi devient le tuteur de Rin, et le manga raconte leur nouvelle relation, leurs rencontres, leur vie quotidienne et normale. Mais l'intérêt principal de ce manga, c'est de montrer ce que sont l'amitié, la famille, l'amour, le travail, la pression sociale... En effet, Daikichi, ancien célibataire égocentrique, ouvre les yeux sur le monde qui l'entoure et sur la responsabilité immense qui incombe à un parent, sur tous les sacrifices que cela exige. Et pourtant, le manga ne prend jamais des airs de manuel pédagogique, toutes les interrogations de Daikichi sont naturelles et évidentes, et les lecteurs, qu'ils soient parents ou non, partagent ses doutes et ses observations: les enfants sont des êtres sensibles, que faire si mon enfant est malade, comment s'organiser pour la garderie sans avoir des problèmes au travail...
La mangaka explore de nombreux modèles familiaux, traditionnels ou plus modernes, mais à chaque fois, elle reste dans la nuance, sans juger ni condamner: les mères, en particulier, sont très réussies, aussi différentes soient-elles: trop jeunes, trop immatures, résignées, sacrificielles, aimantes, dévouées... Même les mères "indignes" sont traitées tout en délicatesse. De plus, la pression de la société autour des mères qui travaillent est bien illustrée, d'autant plus qu'au Japon elle est une douloureuse réalité: difficile pour une mère célibataire de se dévouer à son entreprise tout en devant s'occuper d'un jeune enfant! Ainsi, certaines choisissent de quitter leur emploi, ne pouvant se battre sur deux fronts.
Plus concrètement, ce manga est agréable à lire, avec un graphisme moderne et assez joli une fois qu'on s'y est habitué, très clair. Le rythme est posé, très doux, mais le temps passe imperceptiblement: à la fin du tome 3, presque un an s'est écoulé sans que le lecteur ne s'en soit rendu compte. Le quotidien de la petite famille de Daikichi entraîne ses lecteurs petit à petit, un moment de douceur bienvenu, qui donne un point de vue éclairant, mais jamais moralisateur, sur ce qu'est la famille aujourd'hui.
Est-ce un manga pour jeunes filles? Certes, un fan hardcore de Naruto ne va pas y trouver son compte. Mais ce manga se destine aussi bien aux célibataires endurcies ou aux adolescentes, qu'aux futures mamans/ déjà mamans, voire même à certains hommes. Il ne s'agit pas que d'histoires de chiffons et de hurlements de ce que Daikichi appelait des "chiards" - je n'ai parlé que des mères, mais les pères et les enfants sont aussi réussis, sans mièvrerie poisseuse-; être parent ce n'est pas naturel, ce n'est pas merveilleux tout de suite. C'est difficile, terrifiant, et magnifique à la fois, d'être face à un enfant qui grandit, à un adolescent, à un enfant devenu adulte.
Le lecteur suit Daikichi et Rin dans ce numéro d'équilibriste, entre les peurs et les récompenses, et si certains peuvent être rebutés par la lenteur et le côté anecdotique du manga, celui-ci possède un charme indéniable et de grandes qualités sous la plume d'une mangaka à surveiller.