Les Temps Retrouvés est un manga tout en finesse et en pudeur.
L'histoire se centre sur l'histoire d'amour entre deux retraités, tous deux veufs, qui se rencontrent dans un centre pour seniors. Sont abordés les premiers signes de séduction, les premiers instants passés en tête à tête, les difficultés à faire accepter cette nouvelle relation par l'entourage familial (à priori, ça a l'air plus compliqué au Japon que par chez nous).
Ce manga sort du lot au premier coup d’œil (au sens littéral):
Déjà, il est en couleur. L'effet rendu est à la fois doux et incisif (je parie sur l'aquarelle sur papier gros grain pour les aplats de couleur, et sur la plume pour les contours et les hachures d'ombrage):
Niveau charac design, on s'éloigne du dessin très épuré et stylisé commun à la majorité des mangas pour un rendu plus réaliste. Les deux personnages principaux étant des personnes âgées - tout comme une bonne partie des personnages secondaires d'ailleurs - il y naturellement un travail sur les rides, les signes de l'âge, et plus généralement les visages.
Personnellement, je suis sous le charme.
Pour ce qui est de la narration, le manga est merveilleusement peu verbeux (Dieu que ça repose après une overdose d'adaptation de light novels!): L'image est utilisé pleinement comme support de narration, que ce soit pour raconter les évènements, exposer les sentiments, ou encore montrer la complicité (ou les tensions) entre les personnages. Et l'auteur ne se sent pas obligé de rajouter des bulles et boites de texte à tout va pour expliciter tout et n'importe quoi. Les jeux sur le geste, le regard, la posture, permet un traitement des émotions tout en finesse et en pudeur.
D'un point de vue psychologique, les deux principaux protagonistes sont tous deux très crédibles et attachants. On a aussi une belle galerie de personnages secondaires, très distincts à la fois au niveau du physique et de la psychologie: le vieux blagueur truculent, le pote de longue date qui en a vu d'autres, la séductrice sur le retour un poil vulgaire, la jeune bénévole au grand cœur mais en proie au doute, l'ado attardé qui, à 40 ans, dépend encore de son père, le couple de quarantenaires carriéristes, la gamine éveillée et curieuse, et j'en passe...
L’œuvre aborde plusieurs thèmes assez profonds, toujours avec délicatesse: La vision nippone de la vie amoureuse des vieux, l'équilibre à trouver entre protection des personnes âgées et respect de leur volonté, les difficultés à reconstruire sa vie après un deuil (ou comment faire une place à ce nouveau compagnon/cette nouvelle compagne, quand on a passé presque toute sa vie avec un(e) autre?), la relation avec une personne diminuée (vieille ou handicapée), les incompréhensions et les moments d'échange entre générations...
Pour autant, malgré la gravité de ces problématiques, l’œuvre reste profondément positive et regorge de moments de légèreté et de poésie.
Bref, une histoire et des personnages qui oscillent en permanence entre gravité et légèreté, générosité et égoïsme, tendresse et mesquinerie, moments d'assurance et doute, pudeur et mise à nu.
Je recommande chaleureusement.