Samidare T1à5 – C’est ton destin
Pour une fois ma procrastination légendaire n’est pas en cause dans le retard de cet article. Échaudé par les récentes annulations de séries en cours et avec la crainte d’un nouvel éditeur, Ototo, entrant sur le marché, j’avais adopté l’attitude un peu lâche d’attendre la fin de la parution française pour garnir ma bibliothèque. Auto-flagellation en règle quand j’apprends que la série ne marche pas aussi bien que prévue. Ototo prend même la décision surprenante de proposer, avant même la fin de la série, une nouvelle édition baptisée NED. NED ne change rien au contenu mais outre un prix plancher accrocheur pour le premier tome (3€) Ototo a rajouté une nouvelle couverture qui diffère de l’originale japonaise. L’éditeur a pris des couvertures de chapitres qu’ils ont ensuite colorisées. Le travail a semble-t-il était validé par l’éditeur japonais. Ces nouvelles couvertures plus attrayantes (qualifiées de kikoo d4rk par un vil mécréant) dans les rayons doivent permettre à la série de sortir plus facilement du lot malgré une campagne publicitaire plus confidentielle, malheureusement logique de la part d’un nouvel éditeur.
Pour ma part ces nouvelles couvertures m’ont tapées dans l’œil et, à l’exception du premier tome, les deux couvertures sont disponibles l’une sur l’autre quand vous achetez la NED. Donc, à part le premier tome, aucun risque de dépareiller votre collection. Malheureusement les Moires se sont décidément acharnées sur ce manga puisque la NED n’arrive pas à être disponible chez le géant Amazon qui reste mon fournisseur attitré. Confusion informatique entre NED et édition standard ou bien réel souci d’approvisionnement ? L’absence chez le plus grand cybermarchand en France ne doit certainement pas aider. Ces soucis s’ajoutent au parcours difficile de Samidare, y compris au Japon. Sorti chez un petit éditeur, des soucis de droits avec The Pillows, que l’auteur voulait à la bande originale, ont empêché de peu son adaptation chez Gainax. Ah j’arrive enfin à vous faire tendre l’oreille? Bon vous allez peut-être ouvrir en grand les deux esgourdes si je vous dis que je range clairement Satoshi MIZUKAMI, l’auteur de Samidare, dans la même cour que Naoki URASAWA, au moins en tant que scénariste ?
Le dessin n’est malheureusement pas son point fort et si son style épuré garantit une grande expressivité des personnages, les décors manquent souvent de richesse (mais c’est un défaut courant en manga) et à quelques rares occasions l’action est peu lisible. Je grossis le trait pour ne pas me faire accuser de fanboyisme aveugle mais on est au pire devant un storyboard donc la qualité reste élevée. Au contraire on évite l’effet de combattants qui prennent la pose. Ici on cause certes mais tout en se tatanant la tronche, le manga est très dynamique. La structure des planches est en revanche souvent irréprochable quoiqu’assez classique.
J’entends les râleurs au fond de la salle qui murmurent : « auteur inconnu et dessins pas vraiment au dessus de la mêlée, c’est une arnaque ou bien ? » Je leur balance une craie sur le coin de la figure et je sors l’atout maître de ma manche. Comme tous les bonimenteurs j’ai gardé le meilleur pour la fin. Un manga ce n’est pas qu’une esthétique, c’est aussi une histoire, une narration. Et à ce jeu là, MIZUKAMI vole déjà parmi les plus grands. Le plus fort est qu’à force de relire Samidare, il ne fait pas tant étalage de génie (même s’il a indéniablement du talent) que d’une minutie rigoureuse à ce que toutes les pièces s’imbriquent plus étroitement que les pierres des murs incas. J’aimerai le voir donner des master class à nombre de ses collègues.
Pourtant, le pitch ne fait pas rêver. Yûji, un étudiant solitaire lambda, est réveillé un beau matin par un lézard qui parle. L’animal lui dit être un chevalier qui répond au nom de Noi Crezent. Il lui apprend également que Yûhi a été choisi pour devenir le chevalier du lézard, sauver la Terre d’une destruction imminente et protéger la princesse. Bref, un point de départ passablement éculé. Aussi Yûhi décide d’enfiler sa plus belle cape et… Ah bon non en fait, il essaye de foutre prompto le lézard dehors en lui expliquant qu’il n’a aucune envie de risquer sa mouille et que le lézard n’a que se démerder tout seul. En plus, on découvre rapidement que la princesse – Samidare, une lycéenne – n’a pas vraiment besoin de protection. Au lieu de faire des trucs de princesse comme illuminer de sa cosmo-énergie ses chevaliers ou se faire capturer par l’incantateur (le « méchant » du manga), elle a décidé de le combattre lui et ses minions, des marionnettes de boue (d’où son nom d’incantateur), toute seule avec ses petites mimines. Petites mimines mais grands pouvoirs qu’elle a acquis en devenant la princesse, et comme tout fout le camp ma brave dame, son pouvoir ne consiste pas à gagner des tours de poitrine à chaque tome mais en une force surhumaine. Imaginez Hulk mais sans le teint vert. Le contraste est saisissant avec Yûhi qui lui ne peut que faire léviter de petits objets pendant quelques secondes. Et n’étant pas un combattant inné comme tout héros qui se respecte, cette lopette se fait régulièrement sauver les miches par la princesse qui a oublié d’être frêle et fragile.
Pire encore, si la princesse veut sauver la Terre c’est pour pouvoir la détruire elle-même et que la planète lui appartienne à jamais ! Devant son exact contraire, Yûhi tombe immédiatement sous son charme et décide de la servir. Pour ceux qui ont peur de rater une marche, je vous rassure, on comprend rapidement plus en détail ce revirement mais j’aime autant vous laisser la surprise. On est donc rapidement dans un duel à la mexicaine entre Samidare/Yûhi, les autres chevaliers qui ignorent tout des intentions de la princesse et les incantateurs. Tout de suite, la configuration est beaucoup moins classique. Néanmoins, on ne tombe pas non plus dans le travers d’une simple copie carbone en négatif. Par exemple, la première utilisation que Yûhi fera de son pouvoir sera de soulever la jupe de sa jeune prof de fac pour voir sa culotte. Avouez messieurs qu’on ferait tous la même.
Samidare donne l’impression que MIZUKAMI a complètement absorbé la culture manga, l’a digéré pour en faire un objet propre. C’est une œuvre hyper-référencée mais complètement accessible aux néophytes. Classique mais toujours surprenante. Caricaturale mais réaliste. Drôle mais terriblement triste. C’est un travail d’équilibriste. Mai Hime n’est qu’un brouillon griffonné de ce que nous offre Samidare. Par exemple, outre l’incantateur et ses marionnettes, la Terre est menacée par le Biscuit Hammer. Un marteau gigantesque qui gravite en orbite et visible seulement par les chevaliers et la princesse. La référence au fer à repasser de FLCL est évidente mais au-delà de son aspect grotesque, cet objet est flippant comme jamais. La force que Samidare et ses compagnons doivent affronter est proprement démesurée. Le jeu est complètement déséquilibré.
Et c’est comme ça tout le temps. Cette série vous happe complètement par son incroyable densité. Rien n’est jamais gratuit. Les détails les plus insignifiants à première vue sont toujours porteurs de sens. Je pourrais essayer de prendre certains événements pour les mettre en valeur mais je serai bien incapable d’y arriver. La réussite de Samidare n’est pas seulement dans une association de moments que dans le fil interrompu qui les relie, qui relie les personnages entre eux et avec le monde. Les chevaliers n’auront pas forcément droit à plus d’un chapitre pour être présentés mais dès le début on peut cerner leurs motivations, ce qu’ils sont. Rendu au tome 5, le lecteur aura pu tous les rencontrer, du savant jusqu’à l’authentique super-héros. Les grandes batailles peuvent commencer mais l’incantateur lui-même n’aura fait que de brèves apparitions. Son rôle reste encore à être trouvé.
J’espère que Samidare saura rencontrer son public qui aurait bien tort de passer trop vite à côté de ce bijou mais pourrait facilement le faire malheureusement. J’espère également que Ototo pourra faire sa place sur un marché de l’édition manga qui a perdu sa dynamique passée et n’est certainement pas tendre avec les nouveaux venus.
Disponible aux éditions Ototo. Prix 7.59€
4 commentaires
Article très convaincant pour vendre ce manga, qui va peut-être enfin me faire bouger pour aller le lire après que tout le monde en ait vendu les mérites.
Le pitch est simple mais par la suite on se rend compte que celui-ci se révèle diablement efficace et même assez surprenant. Et ce qui m'a plu c'est que le manga démarre en trombe : on est de suite dans le vif du sujet (ça ne traîne pas). Sinon j'ai bien aimé cette phrase plus haut dans votre article : "Drôle mais terriblement triste". ;)
Quant au dessin, certes ils est épuré / dépouillé mais je l'apprécie aussi pour ça. D'ailleurs sur ce point on peut en dire ce que l'on veut mais l'auteur a sa propre patte. Je remarque juste que chez moi je n'ai pas un seul manga qui lui ressemble vraiment. Bref, et quant à l'aventure je suis calqué sur le rythme de parution française et j’accueille chaque tome comme un petit événement.
Jusque là tout s'était toujours bien passé... Sauf pour le tome 7 qui fut difficile a attraper (commande également annulée de mon coté). Au final j'ai fini par l'avoir mais cherchez l'erreur : mon libraire n'a reçu qu'une poignée d'exemplaires là où pour d'autres titres c'est le quadruple au minimum. M'enfin comme le souligne l'article, l'éditeur est assez jeune et j'espère qu'il va corriger le tir et poursuivre sa route avec succès. Quant à Mizukami, c'est clair, il est un auteur à suivre. Aussitôt Samidare terminé, j'irai me pencher sur son nouveau titre (Spirit Circle).