Le Noir, la Blanche et le Monstre
Deux études sur Me and the Devil Blues, tome 3.
Call of Cthulhu
Notes à propos de la page 137.
Voilà une case spectaculaire où Hiramoto emprunte à la fois à la peinture et à la gravure : tout repose sur des tons sombres où les hachures et l’aspect inachevé du dessin se conjuguent pour donner une image spectrale dont l’élément saillant est le regard du vieillard. Le corps ressort sur un fond noir dont il ne se détache pas parfaitement, faisant de ce personnage une sorte de créature en train d’émerger d’un monde abyssal ; la peau et les habits sont traités pareillement, à coup de grandes hachures qui se croisent, ce qui donne un aspect granuleux à l’image, comme dans une gravure. Les traits anguleux, marqués à l’excès, transforment le vieillard en une sorte de statue maléfique dont les yeux seuls semblent vivants, ce qui est d’autant plus intrigant qu’il est aveugle. Ses pupilles décolorées semblent briller dans le noir. Ces aspects, très travaillés, sont mis en relief par le bord supérieur gauche de l’image, qui semble mal dégrossi, comme si le mangaka n’avait pas jugé bon d’achever son dessin. Cette forme grise mal définie appartient à une statue d’ange, et le vieillard est alors en train de passer sous l’une des ailes de cette statue. Le contour est mal défini volontairement, pour accentuer l’idée de pénombre.
Hiramoto maîtrise tous les styles, cela finit même par en devenir effrayant. Il a cependant le petit défaut d’apprécier un peu trop les distorsions… « Mais ceci est une autre histoire ».
Le Noir et la Blanche
Notes à propos de la page 134.
Ce n’est pas nécessairement la case la plus passionnante du manga mais elle possède tout de même un certain attrait, ne serait-ce que parce que le dessinateur modifie complètement son trait le temps d’une case.
Pour évoquer l’histoire d’un homme noir lynché pour avoir regardé une femme blanche, L’auteur arrête temporairement l’usage des trames pour garder des contrastes maximaux. La femme se résume à une forme blanche, des cheveux longs et des yeux : ce sont les appâts érotiques que le mangaka conserve dans sa représentation. En position debout, elle marque sa supériorité sociale sur l’homme noir, représenté assis ; c’est d’autant plus vrai qu’elle nous fixe directement du regard. L’homme, tout comme la femme, paraît nu, comme si la scène se situait au jardin d’Eden, tout du moins comme s’il s’agissait de la scène primitive fondant les rapports Blancs/Noirs. Ce climat est renforcé par l’absence totale d’arrière-plan. L’homme est chauve en plus d’être nu : il est totalement démuni. La femme possède un regard facilement identifiable, mais pas lui (ses yeux se résument à une tache d’ombre): on ne sait pas vraiment ce qu’il observe, la limite entre la « case noire » et la « case blanche » étant marquée très visiblement par le dessinateur. Pourtant, cet homme sera lynché pour avoir observé cette femme. Le dessin lui-même prouve que les accusations sont infondées, tout du moins qu’elles ne sont pas justifiables, mais peu importe, seul le prétexte compte aux yeux d’une société raciste : le jardin d’Eden était fait pour être perdu. A Adam et Eve succèdent ici l’homme noir (un Adam asservi) et la femme blanche (une Eve instrumentalisée par la caste à laquelle elle appartient). Finalement, Eve cause encore ici la chute d’Adam, alors même qu’elle n’a peut-être strictement rien fait.
Le refus d’appliquer des tons de gris sur ces deux cases met ainsi en valeur l’opposition radicale des Noirs et des Blancs dans la vision de la société que nous propose Me and the Devil Blues.
2 commentaires
La page 134 est peu détaillée mais en dit long sur les pensées de l'époque et fait réfléchir.
Ce tome était vraiment dérangeant, limite flippant lors de l'excursion nocturne de Clyde chez Mc Donald et la découverte des poupées...un moment assez intense.
Bref, continue ! :p
Je me demande si l'action reprendra dans le tome 4 ou si Hiramoto va continuer son exploration de la maison "hantée" (on dirait un remake de Hantise en version horrifique).
Jeeper creepers...