Cesare T1&2 – Il Creatore che ha distrutto
Qui ne connait pas la sulfureuse réputation de Cesare Borgia, une des plus grandes figures de la Renaissance ? Incestueux, fratricide, dévergondé et corrompu : les annales véhiculent un portrait peu flatteur d’un personnage qui faillit bien renverser l’histoire de l’Europe. Cesare est pourtant réputé comme un homme extrêmement cultivé, aimé du peuple et possédant une habileté politique rare. Ce paradoxe est d’ailleurs présent en italien dans le sous-titre de l’œuvre: « Il Creatore che ha distrutto », autrement dit: « Le Créateur qui a détruit ». Avant que la providence ne le détruise lui-même.
Quelle approche de l’histoire un simple manga peut-il bien nous offrir? En lisant l’œuvre de Fuyumi SORYO, on ne cherchera pas à savoir comment l’aventure se finit. Cesare Borgia est mort à 31 ans dans une embuscade alors qu’il avait déjà tout perdu depuis la mort de son père, le pape Alexandre VI. Voilà, c’est dit. On s’intéressera plutôt au portrait complexe d’un jeune homme qui souhaitait redessiner le monde politique et religieux peu importent les moyens, à la manière d’un certain Prince de Machiavel.
Pour comprendre le personnage de Cesare, il fallait bien aller à sa rencontre. Fuyumi SORYO utilise à cet effet un héros fictif, Angelo da Canossa. Il s’agit d’un jeune homme studieux et naïf, originaire de Florence. Admis à l’université de Pise grâce à la bienveillance du fameux Lorenzo da Medicis, Angelo ignore tout de la vie estudiantine et cumule d’entrée des maladresses qui lui coûtent quelques hostilités. Plus qu’un protagoniste, Angelo est en quelque sorte le regard « ingénu » du lecteur sur le monde d’autrefois. On découvre dans un premier temps l’ambiance des universités italiennes, les règles de bienséance au sein des cercles d’étudiants ainsi que tous les codes qui régissent cette société. Puis l’escapade nocturne en compagnie de Cesare dévoile le côté sombre de la ville de Pise, des ruelles où règnent la misère et la pauvreté causées par les fanatiques de l’ordre dominicain. Les hommes s’y nourissent de déchets et le fleuve transporte parfois le cadavre d’un nouveau-né.
Cesare met en évidence les conflits et la corruption dans l’Eglise en fin de Moyen-âge, époque réputée sombre et obscurantiste. Les Borgia sont en quelque sorte les symboles de cette décadence. Rodrigo est élu par simonie tandis que Cesare devient le premier cardinal de l’histoire à démissionner. Le fils du pape porte une réputation digne de cette bâtardise : celle d’un démon qui aurait tué son frère et violé sa sœur. Dans ces deux premiers volumes, on a du mal à retrouver le Cesare Borgia de la rumeur tellement il s’y distingue par son charisme et sa sympathie. En suivant la formation de Cesare au côté d’Angelo, on assiste pourtant à la « naissance du mal » chez ce jeune homme de seize ans. « On ne fait pas de politique sans faire couler de sang » lance-t-il cyniquement au milieu d’un auditoire ébahi lors du débat sur la Divine Comédie. Sa confrontation avec Angelo est celle du machiavélisme contre ce qui annonce déjà le regard critique et humaniste que porte le lecteur sur l’histoire.
Fuyumi SORYO s’appuie sur une rigoureuse recherche historique. On trouve en fin de volume une bibliographie sur les principaux protagonistes, sur la ville de Pise, théâtre de ce prélude, sur le contexte économique et social à la fin du Moyen-âge, ou encore l’architecture de la renaissance. L’auteur collabore étroitement avec un historien de l’Université de Tokyo, Motoaki Hara, qui s’occupe de la supervision de l’œuvre comme indiqué sur la couverture. Dans la postface du second volume, Fuyumi Soryo avoue un souci tout particulier pour le détail. Elle a été jusqu’à demander à son superviseur à quoi ressemblait les ceintures de l’époque et a pris la peine de s’inspirer du style de Pérugin pour restituer la chapelle Sixtine d’avant Michel-Ange! Un tel travail justifie les parutions irrégulières des chapitres dans le magazine Morning. Il montre surtout combien cette biographie de Cesare se veut objective, même s’il fallait parfois faire des choix, comme attribuer des racines juives à Michelotto.
Cesare compte actuellement neuf volumes au Japon. On peut donc espérer un rythme de parution soutenu. En tout cas, Ki-oon frappe un grand coup en publiant l’œuvre de Fuyumi SORYO dans nos contrées. L’édition est enrichie d’une intéressante postface dans le second volume. Le traducteur apporte un soin tout particulier au choix du vocabulaire et des formes de politesse pour rendre au dialogue ses saveurs pittoresques d’autrefois. Espérons que l’œuvre reçoive le succès qu’elle mérite pour que d’autres titres du genre (je pense à Historie, d’Hitoshi IWAAKI) puissent voir le jour dans nos contrées.
7 commentaires
Pui en effet Ki-oon tape ici un joli coup (magistral ?) avec ce titre. Merci pour cet article et ces belles images a l'appui.
Ps : Sinon a quand un topic sur le forum d'AK ? xD ;)
:)
Cesare affirme que les Francs se battent avec des lances et qu'ils sont en possession de la lance sacrée (voir la légende de Perceval). Après, les versions divergent et on trouve plusieurs lances sacrées différentes dans l'histoire ^^'
Quand Miguel dit que le mot France tire son étymologie d'une arme de jet, j'aurais plutôt misé sur une hache, la francisque.
L''article que j'ai lu était était quand même un peu dur vis a vis de cette erreur et parlait de discrédit par rapport aux éventuelles affirmations historiques du manga. Moi ça ne me dérange pas outre mesure si ce type d'erreur ne se répète pas. L'erreur est humaine, donc no souci for me. Ca ne remet pas cause les bonnes intentions de l'auteur ni la qualité du travail de l'historien qui l'aide dans son boulot. On apprend des choses, on baigne dans une époque, graphiquement c'est beau et c'est ce qui me plait (la qualité est là). Et en plus mis a part cette boulette il n'y a rien d'autres a en redire pour le moment. ~
@Tesu : Oyo camarade ^^ Vas-y fonce. xD. Certain qu'il va te plaire. ;)