Yuri on Ice — patinage homo-artistique

Volley, cyclisme, football et même rugby : le sport n’a jamais été aussi omniprésent en animation japonaise, et chaque série y va de sa petite originalité pour tenter de se démarquer dans un marché très surchargé. Et dans ce match très disputé, le champion toutes catégories de la ligue 2016 est sans aucun doute Yuri on Ice, série sur le patinage artistique qui aura fait fondre le cœur des fangirls du monde entier.

Yuri Katsuki exerce le patinage à un très haut niveau et parvient à être un des rares japonais à se qualifier au Grand Prix, l’équivalent des championnats du monde. Mais une fois sur place Yuri échoue lamentablement et termine sa saison sur un échec cuisant. Le jeune homme rentre alors dans sa ville natale sur l’île de Kyushu au Japon pour réfléchir à la suite : âgé de 23 ans, sa carrière professionnelle est presque terminée et il ne lui reste que peu de temps pour parvenir au sommet. Mais le chemin semble trop dur pour lui, et il envisage de raccrocher les patins.

Un évènement inattendu va toutefois raviver la passion de Yuri : le patineur russe Viktor Nikivorof, actuel tenant du titre de champion du monde, débarque à Kyushu et propose à Yuri de devenir son coach personnel. Une occasion inespérée pour Yuri de renouer avec le succès et de s’accomplir autant personnellement que professionnellement. Mais débarque également un rival, le jeune prodige Yuri Plissetsky, qui souhaite devenir le disciple exclusif de Viktor…

L’histoire dans laquelle un champion reconnu dans le monde entier débarque au Japon pour entraîner un jeune prometteur est un grand classique de l’anime sportif ; c’est exactement ce qui se déroulait par exemple dans Captain Tsubasa (Olive et Tom) paru il y a trente ans. Mais Yuri on Ice aborde ce cliché narratif d’une manière différente de ce qui constitue la masse des animes du genre. Yuri Katsuki est un adulte responsable qui sait qu’il n’a plus beaucoup de temps pour devenir champion et quitter la compétition sans regrets. De son côté, Viktor a déjà tout gagné et son choix de laisser filer sa saison pour entraîner Yuri pourrait également signifier la fin de sa carrière. Même Yuri Plissetsky, qui n’est pas encore entré dans le circuit international, est conscient que les changements physiques de l’adolescence pourraient modifier ses capacités sportives et son parcours professionnel.

Ainsi, Yuri on Ice n’est pas une banale histoire de jeunes pleins de passion qui cherchent à devenir des pros, mais une histoire d’adultes expérimentés qui voient se rapprocher la fin de leur carrière. Pour Yuri, cette saison avec Viktor est son ultime chance de briller, mais aussi une chance de se découvrir en tant que sportif, et en tant qu’homme.

A ce titre, le choix du patinage artistique est une excellente idée car c’est une discipline qui mêle technicité et créativité. Les patineurs se doivent de maîtriser les figures les plus difficiles et pour cela entretiennent un corps d’athlète. Mais les meilleurs ne sont pas forcément les plus performants physiquement, puisqu’une partie de la notation est basée sur la chorégraphie, la composition et l’interprétation du sportif. Autrement dit le patinage n’est pas qu’une question de score, mais aussi d’âme. Ainsi la série utilise le sport comme tremplin pour le développement de ses personnages, comme lorsque Yuri comprend que pour conquérir le cœur de Viktor il doit laisser éclater sa part féminine et se mouvoir comme une « danseuse ».

Ce genre d’ambiguïté sexuelle des protagonistes parcourt toute la série et explique son succès retentissant auprès d’un certain public, principalement féminin et occidental. Les séries de sport qui surfent sur la mode des fujoshi sont fréquentes mais Yuri on Ice aborde la question de manière plus frontale et, d’une certaine manière, plus honnête que la concurrence. Là où les beaux gosses de Free n’étaient que des tablettes d’abdos sur jambes, les patineurs de Yuri on Ice ont une vraie épaisseur et leurs troubles amoureux/sexuels sont une vraie question centrale de leur développement, pas juste un appel du pied commercial. Et si la série va au bout de ce qu’elle insinue dans ces premiers épisodes, on tiendra peut-être un anime pionnier en ce qu’il aborde l’homosexualité non pas comme un ressort comique ridicule mais comme une véritable manière de vivre ses sentiments.

Pour un anime aussi sensible et ambitieux il n’est pas étonnant de trouver une femme à la réalisation, en la personne de Sayo Yamamoto. Elève de Shinichiro Watanabe, connue pour ses nombreuses collaborations en tant que réalisatrice de génériques stylés (Psycho-Pass, L’Attaque des Titans, Persona 5…), elle est surtout célèbre pour ses propres réalisations telles que Mitchiko to Hatchin (2008) et Lupin the Third – Mine Fujiko to Iu Onna (2012). Des séries là aussi très ambitieuses, qui font de Yamamoto une personnalité aussi rare que précieuse dans le paysage de l’animation actuelle. Elle a d’ailleurs déjà pu exprimer son goût pour le patinage artistique avec Endless Night, un court-métrage de l’Animator Expo, qui lui a sans doute permis de convaincre le studio MAPPA de produire une série aussi difficile.

Endless Night (à gauche) et Persona 5 (à droite), tous deux réalisés par Sayo Yamamoto

En effet, l’animation des scènes de patinage est d’une grande complexité et les efforts de MAPPA, conséquents lors du premier épisode, se révèlent insuffisants pour permettre à la série de maintenir un niveau de qualité constant ; au point que le quatrième épisode a été envoyé du Japon vers les sites de streaming occidentaux dans un état incomplet, ce qui a mis à jour les problèmes de production de plus en plus fréquents dans une industrie à bout de souffle. Néanmoins le bilan technique est largement en faveur de l’anime, qui régale avec sa mise en scène très moderne et l’utilisation de la SD pour apporter une touche comique et faire passer un scénario assez peu crédible (les chaines de télévision qui se déplacent pour couvrir en direct une pseudo-compétition organisée à l’arrache par des enfants de cinq ans, on y croit moyen). Mais ce sont tous ces éléments qui font de Yuri on Ice un anime riche et intéressant, qui mérite amplement son succès chez les fangirls comme chez les amateurs de bonnes séries sportives en général.

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