Masaaki Yuasa présente Inu-Oh à Angoulême
Masaaki Yuasa était le principal représentant de la culture manga à la 49ème édition du festival de la bande-dessinée d’Angoulême. Entre une avant-première, une exposition et plusieurs séances de questions / réponses, on peut le qualifier comme invité d’honneur du festival dans le domaine qui nous concerne.
250 places étaient offertes au public pour l’avant-première d’Inu-Oh (qui avait déjà été diffusé lors du 78e Festival international du film de Venise), qui ne sortira au Japon que le 28 mai 2022. Les places étaient distribuées par vagues sur trois demi-journées, il fallait donc se tenir prêt pour faire partie des heureux élus. A titre d’exemple, la file d’attente du vendredi matin pour récupérer 100 places à 10h30, comprenait déjà des personnes … à 7h30 du matin. Passés 10h, vous étiez sûrs d’arriver trop tard.
Les rangs étaient donc serrés au CGR d’Angoulême, où un poster du film attendait sur chaque fauteuil. Yuasa a prononcé quelques phrases d’introduction avant la projection, mais il faudra attendre 22h, après le film, pour le véritable échange entre le public et le réalisateur.
Etrange, détonnant et centré sur l’art musical, Inu-Oh (adapté du roman Le Roi Chien de Hideo FURUKAWA, disponible en France aux éditions Picquier – maison d’édition que je vous recommande chaudement au regard de leur catalogue de polars asiatiques) et inspiré des anciennes légendes, Inu-Oh a surpris autant qu’il a fait rire et a surtout conquis le public présent. Les questions ont d’ailleurs fusé pendant plus d’une demi-heure, auxquelles Yuasa a répondu, tantôt avec sérieux, tantôt avec des phrases plutôt caustiques. Vous trouverez ci-dessous un résumé des échanges post-projection, que nous avons retranscrits au mieux au regard de la traduction faite en direct.
Interrogé sur la forte inspiration du Dororo de TEZUKA dans ce film, il explique que les deux oeuvres ont pris leur inspiration de Heike Monogatari (Le dit des Heike) pour traduire l’histoire des moines aveugles biwa, ce qui explique le contexte similaire entre Dororo et Inu-Oh. Pour autant, dans l’ouvrage de Tezuka, le héros se bat contre les esprits possédés, alors qu’ici il essaye de les apaiser et avance avec eux.
Yuasa a souhaité travailler à nouveau avec Taiyo MATSUMOTO (Ping-Pong, Amer Béton) en raison de leur bonne entente et de sa capacité à faire des dessins réalistes qui transmettent la profondeur des personnages, avec toutefois une touche d’humour dans les traits. C’est d’ailleurs Matsumoto qui a dessiné les visuels de couverture du roman original de Furukawa. Et même si l’esthétique générale d’Inu-Oh peut faire penser à Kemonozume, Yuasa ne souhaite surtout pas retourner à cette époque ! Pendant des années, il a fait des efforts pour faire des films accessibles à tous mais il avoue qu’avec Inu-Oh il s’est permis des scènes assez crues (gore) pour coller le plus possible à l’histoire. A chaque projet entrepris, il cherche tous les moyens d’exprimer l’oeuvre avec les techniques qui conviennent au mieux, ce qui explique qu’il utilise des techniques et design atypiques dans une forme de disgression qui le caractérise.
Au sujet du rôle prépondérant de la musique dans le film (hip-hop, rock indépendant, classique …), il mentionne qu’il voulait mettre en avant une musique qui détonnerait avec l’époque. Pour autant, l’histoire se déroule justement à une époque pour laquelle il y a peu de documentation et où on se doit d’imaginer le plus possible. Et pourquoi pas se dire qu’un moine aurait un jour pu inventer le hip-hop mais qu’il n’y a aucune trace pour s’en souvenir ? On connaît très mal la vraie histoire et il était important pour lui de faire un mélange de genres qui fait appel à l’imaginaire. Pour les scènes de musique présentes dans le film, il s’est beaucoup inspiré des archives de réactions du public fan des Beatles à l’époque, pour recréer cette atmosphère bien particulière et ce déchainement de joie. Il a d’ailleurs créé les visuels avant que la musique du film ne soit faite, mais il en profitait pour écouter pendant son travail les Beatles, Queen ou encore Jimi Hendrix.
Concernant les adaptations d’œuvres déjà existantes, comme cela a déjà été le cas à plusieurs reprises dans sa carrière, il avoue ne s’imposer aucune limite. Le plus important n’étant pas ce qui est écrit dans l’ouvrage de base, mais le ressenti qu’on en a à la lecture. De la même façon, il trouve que le plus important n’est pas de simplement voir ce film et analyser ce qu’on voit à l’écran, mais de le ressentir tout simplement. A noter que Yuasa précise que sa scène préférée du film, s’il devait choisir, se trouve au tout début, lors de l’introduction, où nous sommes face à une succession rapide d’images, montrant l’évolution du temps. C’est son assistant réalisateur qui a fait ce plan et il souhaitait le mettre en avant par rapport à ce passage qui tranche avec le reste.
Plusieurs salves d’applaudissements et un bon somme plus tard, nous retrouvons Yuasa le lendemain au Manga City pour un échange autour du film et de l’univers manga en général, avec notamment une bonne partie du public n’ayant pas pu être là la veille. Dans une salle comble où des places supplémentaires ont été ajoutées au dernier moment, Yuasa s’exprime pendant 1h30 sur le sujet du lien entre le manga et l’animation. Certaines réponses reprenant celles déjà posées précédemment, nous vous mentionnons ici les informations complémentaires ayant été apportées par Yuasa pour éviter les redites inutiles.
Yuasa explique que l’idée d’adapter Inu-Oh lui est venue par une productrice qui lui a soumis le projet il y a 4 ans : il avait alors en tête de montrer les acteurs du théâtre nô comme des popstars. Pour ce faire, il est allé voir plusieurs pièces avec Matsumoto pour se faire une idée du futur design, notamment pour les deux personnages principaux de l’intrigue. Hélas, les mouvements du théâtre nô actuel sont très lents (trois fois plus lents qu’à l’époque et avec moins d’acrobaties) et il ne se passe quasiment rien. Il est courant qu’une partie du public s’endorme pendant le déroulé de la pièce (ce qui a été son cas également), ce qui est finalement ainsi qu’il faut voir le spectacle. De fait, il s’est peu inspiré des pièces qu’il a vues, le théâtre nô étant de nos jours trop normé, trop codifié, jusqu’à devenir inaccessible.
Au sujet de son développement personnel pour devenir réalisateur, Yuasa avoue qu’enfant il n’avait pas d’argent pour lire des mangas. Il lisait les shojos et mangas d’horreur de sa soeur mais regardait surtout les animes qui passaient à la télévision. De là, il a commencé à imiter ce qu’il voyait et à dessiner ce qu’il avait vu sur l’écran, avant d’entendre parler du métier d’animateur à 12 ans, ce qui l’a décidé à s’orienter vers ce métier.
Yuasa revient également sur ses films principaux, comme Mind Game, qui lui a apporté une reconnaissance internationale, en plus d’avoir un impact sur les autres animateurs et réalisateurs. Il reste conscient du fait que ce film n’ait pas fait l’unanimité pour son côté extravagant. L’œuvre de base étant déjà d’un style assez frondeur, il a même tenté de rendre l’animation raisonnable en s’appuyant sur les suggestions de chaque membre de son équipe, ce qui a au final permis un mélange de styles plutôt efficace. Concernant Ping Pong ou encore Devilman Crybaby, il explique ses choix de réalisation par une volonté de moderniser les oeuvres originales. Ainsi, c’était vital pour lui de rendre la série Devilman plus violente que ce qui pouvait être montré à l’époque, car il avait ressenti cette violence au fond de lui. En tant que réalisateur, il sait que le design des personnages est important (c’est d’ailleurs l’équipe de designers qui a eu l’idée du design du démon tel qu’il a été montré dans la série), mais ce qui compte le plus pour lui c’est la mise en scène. Il revient même sur la licence Crayon Shin-chan, sur laquelle il a occupé plusieurs postes, ce qui lui a beaucoup appris pour la suite de sa carrière.
Pour conclure (suite à la question finale posée par Gally !), il explique qu’il essaye toujours de trouver le meilleur style possible pour chaque univers, que cela soit issu d’une adaptation ou non. Il tient à cette variété, même s’il a atténué son aspect original et extravagant depuis Mind Game. Il cherche néanmoins à continuer à élargir sa créativité et, avis aux amateurs, si le projet lui est un jour proposé, il aimerait d’ailleurs adapter le manga Le Rêve De Mon Père de Matsumoto qu’il apprécie fortement.
Sur deux jours, Yuasa a partagé de vrais moments avec le public français et a véritablement été ravi par l’accueil qui lui a été réservé, aussi bien en nombre de spectateurs souhaitant le rencontrer, que pour l’aspect pointu des questions qui lui ont été posées. Edition d’Angoulême décidément dédiée à eux ce duo de l’univers manga / anime, ces rencontres se complètent avec l’exposition Masaaki Yuasa et Taiyô Matsumoto : L’art d’Inu-Oh, en attendant la sortie du film, pour le moment avec une date indéterminée en France.
4 commentaires
Merci Sacrilège pour ce superbe article, tout y est, les photos sont tops !!
Merci pour ce compte-rendu, et quelle chance de pourvoir rencontrer Yuasa qui est selon moi un des rares réalisateurs en activité dont la carrière est un sans-faute. Hâte de voir son nouveau film quand il sortira.
Yuasa x Matsumoto, ce duo de choc (j’étais pas au courant pour le Rêve De Mon Père)
Merci pour le retour et les informations. Un bel article ! Un Big Up également aux autres camarades Akuniens pour leurs retours sur le forum. A l’année prochaine ;)
[…] oublier Inu-Oh, qui a son article dédié dans le webzine, en attendant les prochaines critiques qui ne sauraient […]