Au pays des mangas avec mon fils, de Peter Carey
Auteur : Peter Carey
Editeur (France) : hoëbeke, collection « Etonnants voyageurs »
Editeur (US) : Alfred A. Knopf, New York
Première édition : 2004 (US)
Parution française : 2006
Nombre de pages : 170
Prix : 15 euros ou 17,95 dollars.
ISBN (édition française): 2-84230-252-1
ISBN (édition américaine): 1-4000-4311-5
L’édition américaine contient 26 illustrations. Aucune dans la française.
« Le gars des relations publiques de Production I.G est une vraie tête de nœud. » Voilà le genre de phrase sur laquelle on tombe par hasard, et qui donne envie de lire la suite, d’autant plus que le livre est écrit par Peter Carey, auteur renommé d’origine australienne vivant à New York.
Edité en France par hoëbeke en 2006, le livre s’intitule à l’origine Wrong about Japan : a father’s journey with his son. Dans ce court récit, l’auteur choisit de raconter comment, en s’intéressant à la nouvelle passion de son fils Charley (12 ans), il est tombé dans le monde du manga et de l’animation japonaise. Tout en étudiant le comportement de son fils, il décrit ses propres réactions, sa fascination grandissante pour certaines œuvres. Curieusement, tout commence pour Charley avec un film de Takeshi Kitano, L’Eté de Kikujiro, qui semble marquer la naissance de cette passion pour le Japon. Puis viennent les lectures de mangas achetés chez Forbidden Planet, Akira en tête. Le père et le fils s’influencent mutuellement, l’un s’intéresse à Gen d’Hiroshima, l’autre au Tombeau des Lucioles. Puis vient le jour où le père, titillé à l’idée d’interviewer quelques-uns des grands noms de l’animation, propose à son fils de partir au Japon. Charley accepte, à condition de ne pas être obligé de voir le « Vrai Japon ». C’est le début d’une aventure ponctuée de rencontres prestigieuses, qui s’achèvera en toute logique sur un entretien avec Hayao Miyazaki.
Le livre se lit vite, le niveau de langue reste simple, et les 11 chapitres se succèdent si facilement que l’on serait presque tenté de considérer ce texte comme un simple témoignage à valeur sociologique, ce qui n’est pas le cas : l’organisation du livre, sa montée en puissance et le moment de grâce final sont là pour montrer que l’absence de fiction ne veut pas dire que l’on doive se contenter d’un carnet de route rébarbatif.
Au pays des mangas avec mon fils captive parce qu’il décrit en détail le cheminement psychologique d’un néophyte sur le point de devenir un passionné ; en choisissant de raconter les aventures d’un adolescent et d’un adulte, il parvient à rendre à merveille les divergences et les points communs qui peuvent se retrouver chez les « fans » de tous âges. Il ne s’agit pas de tout dire pour l’auteur, ni de détailler inutilement la liste de tout ce qu’il a pu lire ou voir. Au contraire, Carey s’appuie sur un nombre restreint d’œuvres, qui vont servir de point de repère et de principe d’organisation pour ce voyage. Ainsi, son attrait pour Blood : The Last Vampire, va le pousser à vouloir interviewer le réalisateur Kitakubo, mais aussi à visiter l’atelier d’un fabricant de sabre, à qui il demandera des renseignements sur le nom de l’héroïne Saya (son nom peut signifier « fourreau » en français), ainsi que sur les considérations mystiques accompagnant l’art de forger des sabres. Son intérêt pour Mon Voisin Totoro le poussera à demander à un ami architecte vivant à Tokyo de lui parler de la maison des deux héroïnes du film.
La démarche de Carey intéresse parce qu’il ne se contente pas de naviguer dans le petit monde de l’animation. Tout le long de l’ouvrage, on le voit lire des livres d’histoire, des livres sur l’architecture au Japon, sur l’art de forger des armes, sur le bushido, etc. C’est un homme cultivé qui nous sert de guide, qui est soucieux de comprendre le mieux possible comment certains aspects culturels peuvent se transformer et devenir des piliers de la pop culture. On trouve ainsi diverses considérations concernant les getas, la période où se situe Le Tombeau des Lucioles, la signification du mot otaku, etc., qui ne tombent jamais comme un cheveu sur la soupe, et qui viennent nourrir notre réflexion, tout en mettant en valeur les associations d’idées parfois incongrues qui peuvent se faire dans l’esprit de l’amateur obsédé par le désir de comprendre les choses…
En confrontant à chaque fois le réel et la fiction des dessins animés, Peter Carey livre une œuvre passionnante qui pousse le lecteur à s’interroger à son tour sur le rapport qu’il entretient d’abord avec l’animation japonaise, puis avec le Japon en général. Les petites déceptions et les moments d’enthousiasme se succèdent naturellement, souvent sur le mode de l’humour. Lorsqu’il demande au forgeron « si la fabrication d’un sabre lui appar[aît] comme une affaire spirituelle », ce dernier commence par lui demander s’il n’a pas lu des livres américains, avant de répondre simplement : « peut-être y a-t-il des gens qui connaissent des expériences spirituelles. Ils entendent des voix qui leur parlent. Dans ce cas, ils sont fous. »
De même, rien n’est gratuit dans le monde de l’animation. Lorsqu’il interviewe enfin Tomino, le créateur de Gundam, ce dernier s’obstine à lui dire qu’il n’a jamais créé cette série que pour vendre des jouets au plus de monde possible. Entre les grandes espérances du « fan », et l’attitude volontairement butée de Tomino, il y a un vide qui se crée, dont le lecteur s’amuse, mais qui le fait quand même hésiter sur les raisons pour lesquelles on produit des dessins animés, et sur les raisons pour lesquelles on peut les aimer. De ce point de vue, l’interprète de Tomino est sans appel : « Gundam n’a été lancé que pour faire vendre des robots, (…), pour créer un produit que les gens achèteraient. Il n’y a derrière aucune véritable inspiration. Il a fait Gundam parce que c’était son boulot. Et avant Gundam, il avait fait connaître des jouets du même genre. »
Le « personnage » de Charley est aussi passionnant à suivre : accompagné de son ami tokyoïte Takashi, il refuse obstinément de voir le « Vrai Japon », et boude lorsque son père lui annonce qu’ils vont aller voir un spectacle de Kabuki ; mutique, obsédé par les vitrines, les bornes d’arcades et les dessins animés, il n’a que faire du reste. Pour autant, jamais l’auteur ne prononce de jugement péremptoire sur les adolescents « accros ». Au contraire, en décrivant son fils, en s’arrêtant sur le moindre petit mouvement de son visage, il montre que, malgré des apparences calmes ou éteintes, le jeune adolescent vit pleinement son voyage au Japon. Quant à son refus de voir le « Vrai Japon », il n’est en aucun cas un signe de l’imbécillité adolescente, et ne sert jamais à moquer la prétendue superficialité de la jeunesse. Carey s’en amuse, n’hésite pas à montrer son fils dans ses moments les moins glorieux, mais montre aussi qu’à de nombreuses reprises Charley le dépasse en terme de compréhension et d’ouverture d’esprit.
Au pays des mangas avec mon fils est un livre passionnant et juste, qui s’adresse aussi bien au connaisseur qu’au néophyte.
11 commentaires
Cela dit, certains passages concernent moins l'animation et les mangas. Ce n'est pas un livre qui vise les otakus hardcore, mais les amateurs occasionnels. Après, d'un point de vue littéraire, c'est vraiment bien je trouve. Peter Carey est un auteur connu, il va falloir que je lise la Véritable histoire du gang Kelly, il paraît que c'est son chef-d'oeuvre...
En tout, merci pour vos commentaires. Orieur, tu veux dire que la jaquette ressemble à mon avatar ??? Elle est signée Matthieu Lambert (j'ai oublié de le signaler...)
Et sinon, je voudrais savoir : Est-ce qu'il y a des images, photos du voyage, etc..., qui illustrent les propos de l'auteur ?
Normalement, ce livre se trouve assez facilement en bibliothèque.
Quand j'ai vu l'article j'ai cherché à voir qui était l'auteur et en voyant l'image de la jaquette, je me suis dit que ça devait être toi.
En tout cas bravo pour l'article.