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Ikigami – Quand la mort vient sonner à votre porte

Publié le 05/06/2010 par dans Dossiers - 7 commentaires

Ikigami

Aborder le thème de l’exécution d’une manière générale, de façon légitime et légale, n’est jamais chose aisée. C’est pourtant le thème prédominant d’Ikigami – Préavis de Mort, présenté cette année au festival d’Angoulême. Sous couvert d’être un seinen accessible au plus grand nombre, Ikigami se permet de mélanger deux faits marquants de nos sociétés : la peine de mort ainsi que la pseudo-dictature et le contrôle de l’information qui en découle.

Ikigami n’est pas sans rappeler Death Note par bien des aspects. Que ce soit les autorités dans l’un ou un individu indépendant dans l’autre, chacun des deux mangas esquisse la possibilité d’un monde meilleur en exerçant un important contrôle sur la population. Cet important contrôle repose sur la mort en guise que bâton, sans qu’il n’y ait pour autant de carotte en contrepartie. La différence notable entre les deux mangas est l’aval du gouvernement dans le cas de l’Ikigami, contrairement à un refus net de se sentir mêlé à cette violence morbide due au Death Note. Autre fait rendant douteux cette pseudo application de la peine de mort : le caractère totalement aléatoire des victimes désignées par l’Ikigami alors que celles-ci sont choisies de manière justifiée par Light et son death note. L’idéologie dispensée est dans un cas comme dans l’autre soumise à controverse car elle soulève le débat de la pénalisation : Jusqu’où peut aller la répression dans nos sociétés modernes sans qu’elle ne remette en cause la liberté individuelle et le droit à la vie ?

Tuer pour sauver des vies

L’histoire motrice d’Ikigami se déroule dans une société qui pourrait être la nôtre. Les faits, quant à eux, pouvant sembler irréels au début, sont potentiellement réalisables avec un peu de recul. L’auteur, Motoro Mase, a très bien compris cet état de fait et joue de ce parallèle pour nous faire réfléchir sur ce que nous aurions bien pu faire face à ce gouvernement. Ce gouvernement, qui est fier de tuer un enfant sur mille pour le bien de la nation, sans que quiconque ne sache préalablement qui sont les destinés à la mort. Chaque enfant en âge de rentrer à l’école reçoit donc le « vaccin de prospérité nationale », dont une seringue sur un millier déclenche la mort du receveur à un moment donné entre 18 et 24 ans. 24 heures avant le moment fatidique, la personne désignée par le hasard des choses reçoit l’Ikigami (le préavis de mort) en main propre de la part d’un employé du ministère, appelé très justement livreur.

1ère journée à l'école Concernant ce système en place, deux choix simples et manichéens se font face : se rebeller ou accepter l’état actuel des choses. La réponse semble être dictée à l’avance car tout contrevenant à la loi se fait étiqueter de « dégénéré ». Cela amenant dans la plupart des cas à se faire injecter une dose létale par la haute autorité. L’auteur aspire aussi à nous faire réfléchir sur nos réactions si l’Ikigami nous était destiné : se venger, profiter des derniers plaisirs de la vie, faire ce que bon nous semble, voir une dernière fois ses proches, provoquer un attentat, etc. Toutes les solutions sont donc envisageables, des plus nobles aux plus dangereuses. Le plus grand atout du manga réside donc plus dans son idée originale que dans son don pour la subtilité. En effet, même si l’auteur nous pose des questions, il y répond à notre place sans état d’âme. Ce n’est pas un hasard si le personnage principal est au centre de ce système, et donc le plus apte à le comprendre, mais n’adhère pas aux principes du gouvernement pour lequel il travaille chaque jour. Qui de mieux pour critiquer le système qu’une personne y faisant face chaque jour personnellement ?

Comme dit plus haut, s’opposent donc deux points de vue, à fort sous-entendus politiques. Le premier prend le parti du gouvernement et s’appuie sur ces « désignations pour l’exemple » pour faire valoir aux yeux du peuple la véritable valeur de la vie dans le but de leur faire respecter la leur comme celle des autres. Suivant ce mode de pensée, chacun doit profiter des moments qui leur sont donnés comme s’ils étaient les derniers. Le second réfute l’idée même que l’on puisse conduire droit à la mort des hommes et femmes dans la fleur de l’âge. Ce point de vue dénonce le pouvoir insensé et sans limite du gouvernement, qui considère ici son peuple comme un échantillon de cobayes à large échelle, pour le prétendu bien de l’Etat.

Mais comment construire sereinement sa vie lorsqu’on se sait sur la sellette ? Comment s’imaginer un avenir quand on doute soi-même d’en avoir un ? Le pire n’est-il pas d’ignorer jusqu’au dernier moment lequel d’entre nous sera condamné ?

Chacune des victimes de cette loi, mises en avant à chaque chapitre, forme le large panel de réactions, prévisibles ou non, conséquentes à cette épée de Damoclès. Les femmes se bornent à n’avoir d’enfants qu’après 25 ans, par crainte de ne plus pouvoir s’en occuper à cause de l’Ikigami. Les garçons préfèrent les relations frivoles. Les entreprises préfèrent recruter des trentenaires pour ne pas risquer de perdre un de leurs employés. Chaque acte ne se fait pas sans considération : tout est prémédité par peur du jour où le glas sonnera. Il y a d’un côté ceux qui y pensent chaque jour de leur vie, qui tremblent en attendant l’Ikigami et il y a ceux qui l’oublient, sciemment ou non.

Upside Down ~

Un pays où l’on aurait bien besoin de Google

Si le pays qui utilise ici ce système de sauvegarde de la prospérité nationale n’est officiellement pas une dictature, il y ressemble pourtant sur bien des points. Désigner à la mort des individus sans autre motif qu’un critère aussi aléatoire et imprévisible que celui liant des meurtres organisés par l’Etat et une conséquence positive sur le bien-être et la prospérité de la nation. Impossible de donner une définition précise de la dictature au sens propre du terme tant celles-ci sont adaptables à moult situations. Prenons les critères adaptés au contexte du développement de l’Ikigami que sont le régime autoritaire maintenu par le biais de la violence et le régime totalement arbitraire incompatible avec le principe d’égalité devant la loi. On voit donc qu’usant de violence sans réel fondement et de façon hasardeuse, le pays investigateur de l’Ikigami ne semble pas franchement répondre aux critères d’une démocratie.

Suivant le même ordre d’idées, les informations distillées au grand public sont minutieusement contrôlées et soumises à la censure pour peu qu’elles aillent à l’encontre de la volonté du gouvernement. Informations distillées au compte-gouttes donc, voire même modifiées à loisir. Dans l’optique de convaincre les habitants des bienfaits de la loi, le gouvernement n’hésite pas à utiliser l’effet placebo en retouchant selon leur gré des chiffres statistiques attestant de leur bonne foi. Des groupuscules s’organisent, des réseaux pirates se forment et la révolte de l’ombre se fait de plus en plus puissante. Toute personne adhérant à ces principes déviants étant considérée comme dégénérée, il est important de ne pas dévoiler au grand jour ses attentions. En effet, le gouvernement possède des instruments de contrôle sur ses administrés, instruments perfides et omniprésents. C’est le cas de la Police Spéciale, chargée d’espionner les dires et les actes de chaque individu. Omniprésente donc, mais aussi perfide puisque les agents de la Police Spéciale agissent sous de fausses identités, désireux de se mêler en toute discrétion aux habitants du pays, pour mieux acquérir leur confiance et leur faire avouer ce qu’ils pensent tout bas. Ces « éléments dégénérés » peuvent être trouvés via la police spéciale mais aussi par de la simple délation venue de personnes souvent dans l’entourage proche de l’être mouchardé…

Dégénération

Considéré comme ambigu de par la position de l’auteur et parfois comparé à Battle Royale, Ikigami pose des limites pour la simple bienséance et pour toucher un large public. Les publications françaises ne sont pas encore assez avancées pour que l’on puisse avoir quelques pistes sur la finalité de la série, à défaut d’avoir quelques doutes. On peut toutefois espérer qu’une révolte sensée et unie sera là pour recadrer les actes jusqu’à présent perpétrés. A moins que les statistiques ne prouvent que ce système mis en place soit vraiment utile et mérite au contraire d’être amplifié…

7 commentaires

Très bon dossier Sacrilège, je suis moi-même ce manga actuellement. La comparaison avec Death Note est tout à fait fondée, même si Ikigami joue beaucoup moins (pour ne pas dire pas du tout) sur le grand spectacle et s'adresse donc davantage à un public adulte qu'adolescent. Ce qui prend vraiment aux tripes, c'est de ce dire que contrairement au petit journal des shinigamis, l'hypothèse de l'Ikigami semble tout à fait réalisable dans les sociétés actuelles, notamment avec le fichage des gens.

Par contre, il me semble que tu as oublié de souligner un point dans ton commentaire: en plus des Ikigamis "normaux", toute personne (sans distinction de statut social, d'age ou de sexe) considérée par ses actions comme dégénérée (comme critiquer ouvertement le processus de l'Ikigami) se verra automatiquement appliquée l'injection aux conséquences mortelles. La mort dispensée arbitrairement aux opposants est donc un élément de plus prouvant l'existence de cette dictature.
2 Afloplouf le 05/06/2010
Bizarrement j'avais feuilleté les premières pages et je n'avais pas du tout été emballé, bien au contraire. Ton article me fait penser que je suis peut-être passé à côté de quelque chose. Je vais essayer de lui donner une seconde chance.
Très bon manga (et bel article) en effet. Ce qui me fait souci c'est la manière dont l'auteur gère de façon quasi mécanique son récit en posant systématiquement deux livraisons par volumes et observant comment Fujimoto encaisse à la longue le poids de son rôle. Car oui tu ne le cites pas mais il me semble que ce personnage est essentiel dans l'intrigue et que la manière dont il soigne son comportement et applique son job montre bien quel type de société et de citoyen la loi a créé et je parie que son évolution dans les prochains volumes ne laissera pas de marbre. Je disais donc le principe un volume = deux livraisons : ça donne un peu l'impression que l'auteur ne cherche qu'à dresser des "tranches de vie" et à observer le comportement de citoyen de différents statuts devant la mort. Et surtout ça donne une œuvre assez variable niveau qualité : certaines histoires marquent alors que d'autres laissent de marbre. Ce que j'aimerai dans les prochains volumes c'est qu'ils essayent de mettre en exergue des moyens d'exploiter cette loi à travers l'éducation (un peu comme la dame qui basait son élection là-dessus) car pour l'instant tout semble trop dénigrer le principe : style c'est qu'une visite médicale pour ces gosses. Et donc il semble que la loi n'est que peu exploitée malgré sa monstruosité. (Au fond j'espère tout l'inverse de toi et je pense que l'auteur ira plus loin dans l'évolution de l'Ikigami avant de le renverser.) En tout cas ce qui me plait c'est qu'il y a un peu de Georges Orwell dans Ikigami et qu'on s'intéresse à des individus de toute part et de toutes mentalités. Finalement le rapport à Battle Royale, je le trouve pas très évident.

Nakie-> elle l'a dit ou alors elle a mis à jour l'article?
C'est moi qui l'ai loupé lors de ma première lecture, mon habitude de lire (trop) vite me joue parfois des tours, donc je n'ai rien dit.
5 le-crepusculaire le 06/06/2010
Bel article pour un manga magnifique ! Il est tous simplement dans mon top 5, et du même auteur je vous conseille "Heads" en 4 volumes... ^^
"Considéré comme ambigu de par la position de l’auteur"

Ambigu pour ne pas dire complètement amoral par moments (et c'est pas de la parodie ou de la dénonciation, ça se sent). Ça et l'auteur ne sait pas mettre en valeur son histoire ni développer ses personnages correctement, sur le premier tome au moins. En tout cas, j'ai vraiment pas accroché et j'ai carrément pas envie de lire le suivant, même si pas mal de monde en dit du bien...
7 Dg le 09/08/2010
J'aimerais répondre à Sirius. ^^

Je vois de quel "mécanisme" tu parles lorsque tu constates que tout semble un peu cyclique et finalement agencé selon les humeurs de l'équipe..

Mais regardons un peu les faits du script. Tout ne peut pas arriver en un coup, une personne ne peut pas vivre uniquement des moments incroyables et à rebondissement. Certes il y a des épisodes qui marquent bien plus que d'autres, mais comme dans chaque révolution, le mouvement ne se fait en un jour, en une seule révolte. Là, on nous montre une société qui malgré les différences instaurées pour les diviser, en vient à la même conclusion, c'est-à-dire, cette loi commence à devenir infondée.

Enfin, remarquons que le personnage principal de ce manga, n'est pas le personnage le plus présent, on le voit parfois au début, en train de livrer et à la fin, rare sont les moments qui lui sont réellement consacrés. Pourquoi? Car il a besoin de constater la révolte sur les victimes pour se demander lui-même quel est son rôle dans tout ça. "Que doit-il faire...?" Et oui, tout semble aller crescendo, comme lorsqu'on fait trop longtemps bouillir de l'eau ou qu'il y a trop de pression dans un bocal. Un jour ça finit par exploser... On nous montre la même chose ici. C'est plutôt réaliste selon moi...

La structure même du manga est particulière est il semble relever d'un véritable défi d'alimenter les épisodes pour que le dénouement tienne debout au final. Ce en quoi on ne peut finalement pas le comparer à Death Note qui lui relève plus des traits subjectifs des personnages dont on s'attache ou parfois même s'identifie.. Alors que là, lorsqu'on revient au personnage principal, on se dit qu'on l'avait presque oublier tellement il se passe de choses à l'intérieur même de ce japon fictif... Ce n'est pas du tout la même façon d'écrire une histoire que dans Death Note (dont la fin est particulièrement "baclée" aussi bien en anime qu'en manga...)

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