Le Château Ambulant
Ma critique du film
Les rouages se font et se défont, le film se cherche trop, ne se trouve pas et se perd ; la magie n’opère plus. Machine animée d’une once d’âme, dans laquelle s’épanouit la créativité du génie, le château, amas de déchets et de carrosseries métalliques, s’agite, déambule, trébuche ; absolu reflet de l’architecture d’Hauru no Ugoku Shiro : changeante, hésitante, confuse. A peine esquissée et toujours absurde, l’histoire que nous conte le vieux maître bougon n’a aucune adresse, aucun éclat, mais un humour toujours plus évident et toujours moins efficace.
Peut-on donner signification particulière au château? Il vit sans vivre, parle sans parler, respire sans respirer. Il se métamorphose au fil du récit. Sa composition bigarrée serait-elle l’utopie d’une société bâtie sur la différence, l’originalité de chacun, dans un monde où le conformisme est envahissant? Peut-on l’assimiler à une cohabitation des coutumes, des moeurs, des opinions, l’ensemble formant une incohérence harmonieuse? Ce sens, s’il en possède réellement un, demeure dans l’opacité.
L’horreur d’une guerre insensée, la fascination imbécile pour des machines de fer, les croiseurs imposants sillonant les airs s’enlacent autour d’une thématique nouvelle et vaste : Miyazaki veut nous signifier que les ravages de l’âge, le dicktat de la vieillesse ne sont que poussières face à l’amour pur et dévoué, face au bonheur d’aimer et d’être aimé. Etouffé dans une débauche de couleurs et de formes qui n’atteignent pas la profusion visuelle du Voyage de Chihiro, ni son imagination bouillonante, le sujet se rélève aseptisé. Finalement, celui qui mène son opéra n’est pas le réalisateur, mais le compositeur : Joe Hisaishi n’a de cesse d’étonner, d’impressionner, toujours aussi grand virtuose, artiste des instruments, maître des notes. Ses pièces musicales nous font demeurer en extase, dans leur influence tantôt française, tantôt allemande, empruntant à la valse comme à la tradition parisienne.
L’exubérance du décor, des amalgames improbables d’époques et de cultures, de la richesse des détails s’estompent parfois pour embrasser l’austérité d’un long couloir sans ornements, ou la simplicité imprécise d’un rêve : la technique peut balbutier comme elle peut épouser la rétine.
Dans le film, l’histoire s’élance vers une destinée, mais Miyazaki l’aiguilleur l’y empêche, modifie sa trajectoire. « Le XXIème siècle est une époque complexe, imprévisible, nos façons de penser et nos valeurs, qui jusqu’à présent nous semblaient acquises, sont toutes remises en question. », confie le réalisateur, avec un peu d’amertume. Son film s’apparente à un pantin, sans cesse émondé par son marionnettiste. Ou à une feuille de papier, déchirée, puis recollée, le manège s’accomplissant à l’infini. Alchimie grisante, vertige enivrant? Plutôt une démonstration âcre d’impuissance où les sens engloutis égarent la notion de plaisir.
Les personnages du film, vides de passion, n’ont jamais cette étincelle d’autrefois : comment pleurer, sourire, comment rire face aux pérégrinations d’une vieille sans profondeur, d’un être embrasé et déchaîné dont l’ironie n’atteint pas l’esprit, d’une sorcière majestueusement repoussante, puis croûlante, laissée à l’abandon, dans la fadeur… Seul, Hauru, magicien frêle à l’allure altière, captive l’intérêt : homme tourmenté, trop soucieux des apparences, tiraillé entre son orgueil et son amour, errant sans réelle motivation, emprisonné dans des caprices d’enfants.
Mais où se sont donc évanouis la poésie caressante de Tonari no Totoro, ce sentiment de plénitude que nous confère le Voyage de Chihiro? Où se sont donc évaporées la délicieuse emphase de Mononoke-hime, l’intimité délicate de Porco Rosso? Désarticulée, étranglée, déformée, la structure agonise et laisse place à l’arnarchie, submergeant par là tout sentiment et toute émotion ; sans âme, ruiné, placide, Hauru no Ugoku Shiro gémit. Le désordre narratif relève de la facilité plus que d’une quelconque audace. L’illogisme, la mise en scène incolore, débraillée, s’engrouffreront bientôt dans les champs de la mièvrerie. Le nouveau « chef-d’oeuvre » de Miyazaki ne mérite qu’un long silence. Ou peut-être s’agit-il d’une des fantaisies de l’art moderne? Ou d’une flamme, vacillante, qui tend à s’éteindre…
Mais qu’on ne s’y méprenne pas. Si le vieux maître semble tremblottant sur son septième long-métrage au sein de Ghibli, il a parsemé dans quelques scènes son habileté de conteur. La petite vieille Sophie, émerveillée par le système de voyages intermondes du château, excite à ce moment une irrésistible sympathie : cet instant transforme l’ingénuité en doux enchantement. La marche dans les airs du magnétique Hauru fige le regard, comme pétrifié par cette image classique et pourtant si fascinante.
Les frissons parcourent parfois le corps. Parfois seulement. Finalement, Hauru no Ugoku Shiro n’a pas la splendeur des autres Miyazaki. Un essai terne, à l’arrière-goût d’âpreté désarmante. On rêverait d’hurler notre satisfaction ; on ne pleurera que notre déception.
Une production mouvementée
C’est le 1 février 2003 que le Studio Ghibli amorce véritablement la production d’Hauru no Ugoku Shiro, telle que nous la connaissons. Le film sera terminé le 30 juillet 2004, pour envahir le Japon dès le 20 novembre 2004. La réalisation s’est étalée sur dix-huit mois. En comparaison, Sen to Chihiro no Kamakakushi a nécessité vingt mois de travail acharné et Mononoke-hime, trois années.
Mais le projet de long-métrage initial, confié à Mamoru Hosada (One Piece : Omatsuri Danshaku to Himitsu no Shima, Digimon, le Film…), est officialisé en septembre 2001. Ghibli désire propulser ses jeunes talents aux sommets : l’autre grand chantier est en effet Neko no Ongaeshi, de Hiroyuki Morita. Mais contrairement à ce dernier, les ennuis guettent Mamoru Hosada. Son travail prend un retard considérable, jusqu’à une décision inattendue : ne parvenant pas à satisfaire ses promoteurs, le jeune homme fait part de sa démission. Hayao Miyazaki lui-même reprend Hauru no Ugoku Shiro. Cependant, toutes les ébauches réalisées par l’ancien chef d’équipe seront écartées : un nouveau commencement s’effectue.
La remise à zéro du projet entraîne la fermeture totale du Studio Ghibli : l’information, datant de juillet 2002, se répand par l’entremise du président Toshio Suzuki. Cette autre surprise peut s’expliquer par l’anéantissement des effectifs : impossible de poursuivre la production dans ces conditions ; une période de repos s’impose. Le 1 février 2003 marque la réouverture des locaux.
La suite des évènements n’a rien de particulièrement original, ni de très complexe : elle suit simplement le schéma des autres films du maître, semés d’embûches. L’oeuvre originale était impossible à retranscrire de manière littérale : « j’ai travaillé comme d’habitude, en inventant l’histoire au fur et à mesure du travail sur le story-board, comme un feuilleton que mes collaborateurs recevaient irrégulièrement », confie Miyazaki. Contraint de respecter les délais, il était constamment sous l’empire du doute.
En décembre 2003, des évaluations internes à Ghibli estiment que le travail des animateurs est effectué de moitié : cependant, les story-boards parviennent encore de manière inconstante, et personne ne sait exactement quand le scénario prendra fin. Le 16 janvier, toute l’équipe se soulage de lourdes incertitudes : le découpage technique du film est achevé ! Le 13 février, les animateurs-clés franchissent la barre des mille plans, sur un total de mille quatre-cents. Le 21 mai, les principales étapes de l’animation sont réalisées.
S’enchaîneront ensuite la vérification de l’animation (8 juin), l’enregistrement vocal (17 juin), le travail de finition effectué par les intervallistes (25 juin), l’enregistrement sonore (28 juin), l’enregistrement musical (30 juin), la dernière projection d’essai (4 juillet), le montage et le mixage (26 juillet), la fin de la production accompagnée d’une projection interne (30 juillet).
La Tohokushinsha, qui distribuait déjà Sen to Chihiro no Kamikakushi, avait au départ prévu une sortie pour juillet 2004 au Japon, mais s’est vu obligée de reporter le film au 20 novembre 2004. « D’ordinaire, on s’arrange pour finir le film avant l’été pour le sortir pendant les vacances, mais je n’ai pas tenu le délai. C’est pourquoi les finitions se sont déroulées dans une atmosphère beaucoup plus détendue que d’habitude, parce qu’on savait qu’on avait deux mois de plus que ce qui était prévu initialement », explique Miyazaki.
Ce retard permet la présence d’Hauru no Ugoku Shiro à la Mostra de Venise : il s’agit de la première oeuvre d’animation en lice pour le Lion d’Or, depuis trente ans. Sa représentation a soulevé une allégresse impressionnante : frénésie des applaudissements, ovation qui s’est étendue à plusieurs minutes après le générique de fin, état de surexcitation général… Toshio Suzuki, porte-parole de Ghibli pour l’évènement, affichait un sourire radieux. Pour son accomplissement technique exceptionnel, le jury a décerné une récompense spéciale au long-métage, l’Osella.
A l’époque, Sen to Chihiro no Kamikakushi avait bénéficé d’une promotion gigantesque, et Hayao Miyazaki, ainsi que le président de Ghibli, n’avaient cessé les déplacements, accordant de nombreux entretiens. Hauru no Ugoku Shiro s’éloigne nettement de cette « exubérance ». Le maître a voulu que le film soit abordé « sans connaissance préliminaire, donc sans idées préconçues, tout simplement », selon Suzuki. Les deux hommes ont jugé qu’il y avait eu bien trop de médiatisation pour Sen to Chihiro no Kamikakushi. Au Japon, seuls un salon et quelques bandes-annonces ont assuré la campagne publicitaire pour ce nouveau film. Hors de l’archipel, l’on peut presque parler de mutisme. Cependant, un traitement de faveur a été appliqué à la France, premier pays européen à accueillir le Château Ambulant (titre hexagonal) dans ses salles : Miyazaki s’est en effet rendu à Paris pour son exposition commune avec Moebius et pour l’avant-première de son film.
Cette simplicité promotive n’a pas freiné le succès d’Hauru no Ugoku Shiro pour les premières semaines : distribué dans 448 salles (contre 348 pour Mononoke-hime, son second record de copies), le long-métrage s’apprécie d’un nombre d’entrées plus important que celui de Sen to Chihiro no Kamikakushi. Pour le premier week-end d’exploitation, le box-office s’est élevé à 1,1 million de spectateurs et 1,4 milliard de yens (plus de 10 millions d’euros !). La Toho s’est empressée de communiquer sur une telle affluence, non sans hyperbole : les prévisions de l’entreprise visent les quarante millions d’entrées (Chihiro avait mobilisé vingt-trois millions de Japonais) et un chiffre d’affaires de cinquante milliards de yen (approximativement 360 millions d’euros)!
L’on peut douter de telles espérances. Si Hauru no Ugoku Shiro s’est imposé l’année passée comme le plus éclatant triomphe du box-office japonais, en seulement deux mois, les ardeurs du public se sont fortement apaisées : après huit semaines de première place, Ocean’s Twelve, puis le Fantôme de l’Opéra, ont détrôné le dernier Miyazaki, qui se contente d’une décevante troisième place.
Plus compromis qu’encensé dans son pays natal, Hauru no Ugoku Shiro est une bataille d’Hernani miniature, qui met aux prises les conservateurs – c’est ainsi que Ghibli nomme les journalistes japonais ! – et les adorateurs. Grossièrement, l’on y critique la molesse, l’histoire jugée incompréhensible ou encore le choix des doubleurs, particulièrement pour le dandy Hauru. En France, la presse loue « l’illogisme du rêve » d’un long-métrage débordant d’audace. Confrontation des cultures et des opinions. Dans la confusion générale, les déclarations, les paroles, les intentions, les éloges ou les diatribes s’estompent pour laisser cette impression générale : le dernier « Miyazaki » peine à faire l’unanimité.
La distribution mondiale est assurée par Buena Vista Disney, détecteur des droits des films Ghibli. En Corée et à Singapour, où le film est respectivement sorti les 24 et 30 décembre, l’accueil a été chaleureux.
En France, les distributeurs envisageaient « le Château du Magicien », puis l’on a murmuré « le Château de Hurle », par souci de fidélité pour l’oeuvre adaptée. Ces titres primitifs ont laissé place au Château Ambulant. Buena Vista Gaumont espérait une sortie pour le 15 décembre. Finalement, arrivé le mercredi 12 janvier dans les salles de l’Hexagone, le Château Ambulant a confirmé la popularité croissante de Miyazaki dans notre pays : projeté dans 393 salles, sa forteresse à quatre pattes s’est mieux envolée que le Château dans le Ciel et le Voyage de Chihiro, avec 47 092 spectateurs le premier jour (contre respectivement 33 456 entrées et 286 projections, 22 456 et 253). Ni plus ni moins que la meilleure performance de la journée (devant « L’Un reste, l’Autre part » de Claude Berri, « Melinda et Melinda » de Woody Allen et le « Fantôme de l’Opéra » de Joel Schumacher) et le plus féroce démarrage pour un Miyazaki chez nous. Actuellement, son score approche les 700 000 entrées, et devrait probablement surpasser le Voyage de Chihiro.
Les éditions Glénat ont prévu de soutenir l’évènement avec un artbook spécial de 256 pages, contenant des croquis, des illustrations, des notes d’intention, des décors, de nombreuses informations, des ébauches… Ce précieux objet de collection sera disponible dès avril 2005, au prix de 29,90€. L’avenir du livre s’ouvre à de nouvelles perspectives grâce à la création du film : son public, auparavant restreint en France et dans les pays étrangers au Royaume-Uni, tend à s’élargir…
Anecdote
Un communiqué de la Tohokushinsha, datant de 2003, présentait encore Mamoru Hosoda comme le réalisateur. Le film devait à l’origine sortir pour l’été 2003.
« Hauru no Ugoku Shiro (Howl’s Moving Castle) » : Basé sur le roman éponyme de Diana Wynne Jones Réalisation par Mamoru HOSODA (« Digimon the Film ») Scénario par Reiko YOSHIDA Directeur de l’animation : Katsuya KONDO (« Kiki la petite sorcière ») Producteur exécutif : Hayao MIYAZAKI
L’entretien Miyazaki-Moebius
Moebius: Le souci du public est permanent et transpire dans l’oeuvre. A ce sujet, j’ai entendu une journaliste japonaise rapporter qu’Hauru no Ugoku Shiro avait été critiqué au Japon, ce à quoi Toshi Suzuki a répondu : « Miyazaki aime toujours casser les systèmes sur lesquels il s’appuie, mais sa préoccupation, c’est le public ». Donc, vous appréciez briser toute grammaire cinématographique et tous systèmes sur lequels vous vous appuyez habituellement, tout en vous préoccupant prioritairement de la satisfaction du public. Vous conciliez votre liberté artistique et le respect du spectateur ?
Miyazaki: Le XXIème siècle est une époque complexe, imprévisible, nos façons de penser et nos valeurs, qui jusqu’à présent nous semblaient acquises, sont toutes remises en question. Même si ce film est au destiné au jeune public et doit être un divertissement, je ne voulais pas me contenter de reproduire des films qui avait déjà été faits où il suffisait de combattre les méchants. Quand je fais un film, je me demande toujours si ce que je fais est intéressant. J’élimine tout ce que je trouve ennuyeux. A force, ça devient un film que même mon équipe ne comprend pas. C’est gênant (rires).
Moebius: C’est vrai que votre dernier long-métrage s’avère complexe concernant les entrées et les sorties dans chaque lieu, l’âge des protagonistes, etc. Le temps consacré aux explications est légèrement amputé, beaucoup d’informations restent inexpliquées. Pour moi, c’est cela qui est intéressant.
Miyazaki: Je considère que ce film s’adresse à une petite fille qui a 60 ans.
Moebius (enthousiaste): C’est génial !
Miyazaki: Est-on différent à l’âge de 18 et de 60 ans ? Je crois qu’on reste le même. Une femme de 90 ans m’a dit un jour qu’elle se sentait la même qu’à l’âge de 18 ans. Une jeune fille de 18 ans est donc victime d’un sort et se transforme en vielle femme. Je ne voulais pas d’un film où la clé du bonheur serait de briser le sortilège pour retrouver la jeunesse. Autrement dit, que signifie le fait de rompre le sort ? Ce n’est pas seulement rajeunir. Être jeune n’est pas la panacée. Alors qu’est-ce qu’il est ? Comment cette héroïne peut-elle être heureuse ? Je me suis posé la question très sérieusement et ce film est le résultat de mes réflexions.
Moebius (enthousiaste): C’est vrai.
Miyazaki: Je n’ai pas eu le temps de montrer le personnage de Hauru en détail. Mes collaborateurs me disent souvent : « Le soir, quand on entre tard à la maison, après une longue journée de travail, nos épouses ne savent pas ce qu’on a fait, et ne s’en soucient guère ». J’ai fait le film dans cet état d’esprit. Sophie n’a pas besoin de s’intéresser à ce que Hurle tente de faire. Je l’ai donc un peu montré. Hauru, c’est quelqu’un qui n’a pas beaucoup d’intérêt puisqu’il ne prend pas le temps de se rendre intéressant vis-à-vis de ceux qui sont chez lui !
Moebius: Au début, le personnage d’Hauru ressemble beaucoup à des archétypes du manga japonais pour jeunes filles. Ces personnages avec des grands yeux et des cheveux qui tombent comme ça (sur le front, devant le visage) comme un rideau un peu mystérieux. Pour, à la fin, devenir très enfantin. A la fin, il perd tous les attributs vestimentaires héroïques et un peu arrogants, et devient comme un jeune homme nu.
Miyazaki: Vos paroles me font plaisir (rires).
Entrevue tirée de diverses sources, parmi lesquelles Cinélive et les extraits vidéos disponibles chez Animeland. Modifications effectuées par Pharaoh. Cet entretien peut être effacé sur la demande de ses « auteurs », mais le site Anime-kun est bénévole et n’a aucun but lucratif. De plus, la revue Cinélive en question n’est désormais plus disponible dans les kiosques : le dévoilement d’une partie de son contenu ne pose logiquement aucun problème. Les extraits vidéos étaient, eux, totalement gratuits.
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