Les Gouttes de Dieu : Qui bon vin boit, Dieu voit.
Le vin n’est pas une boisson comme les autres, n’est pas quelque chose qui se boit sans crainte, sans appréhension, sans espoir et, bien sûr, sans délices.
L’œnologie est vouée à être considérée comme un art à part entière. Soucis de la perfection et du soin apporté à ce symbolique breuvage sont deux attributs qui ne peuvent être oubliés, au risque de voir disparaitre la magie de ce vin, le bien souvent représentatif des terres et vignobles français. Voilà ce dont nous parle la série de mangas Les Gouttes de Dieu, qui tente de nous faire découvrir et apprécier cet art si pur et délicat qu’est l’œnologie.
Passer de noob à œnologue en 10 leçons
Les auteurs de mangas se sont lancés avec parcimonie dans des domaines épars, pouvant être considérés comme rationnels et instructifs : Hikaru no Go pour l’apprentissage du célèbre jeu de go chinois ou Hajime no Ippo dans le rôle d’un gamin découvrant la boxe. Les mangas et animes mettant en avant les sports n’ont jamais été aussi représentés qu’à ce jour ; heureusement, nous pouvons dire la même chose concernant le thème de la gastronomie.
Foisonnant ces dernières années, des animes tels que Ristorante Paradiso ou Bartender ainsi que des mangas tels que le plus ou moins récent La Sommelière ou le plus ancien Gourmet Solitaire, se sont unis pour mettre en avant deux domaines souvent peu sollicités dans l’animation : la gastronomie et l’œnologie.
A la manière d’Ippo, nouveau venu dans le monde de la boxe, nous suivons ici Shizuku Kanzaki, n’y connaissant rien à la science du vin mais pourtant fils légitime unique d’un féru d’oenologie. Il entre en compétition avec son frère par adoption, Issei Tomine, pour garder la maison de ses parents, la cave de son père et l’ensemble de son héritage, qui n’est somme toute pas si matériel que cela. Tout cela à cause du testament du défunt, réservant ses merveilles à qui saura leur faire honneur. Shizuku a beau se sentir étranger à toute cette affaire et à ces histoires de vins hors de prix, il va faire renaître en lui les souvenirs de son enfance qu’il croyait effacés, où son père lui apprenait alors de manière mnémotechnique et ludique, tout ce qu’un homme pouvait bien savoir sur les vins. Face à son adversaire qui est un inconditionnel du savoir théorique, Shizuku va devoir se servir de ses aptitudes et de ses sentiments pour évoluer dans cet univers, pas si nouveau que cela pour lui.
Les sentiments et les souvenirs par les sens
Les Gouttes de Dieu ne font ni plus ni moins référence à l’alcool noble qu’est le vin, souvent, et c’est bien dommage, dénigré par les jeunes générations qui ne voient plus en lui qu’un moyen de boire vite et de façon la moins désagréable possible. Ce n’est pas cela profiter du vin. C’est au contraire prendre le temps de le déguster en faisant appel à (presque) tous les sens possibles. Déguster un vin ne se limite pas à utiliser son odorat et son goût, via un palais délicatement vierge de toute nourriture si possible. L’appréciation passe aussi par le regard qui nous permet d’admirer la belle robe d’un vin d’Alsace vieilli d’une vingtaine d’années ou bien encore par l’ouïe, où une oreille peut se dresser à la simple écoute d’une bouteille qui vient à être transvasée dans une carafe.
Tous les tomes parus jusqu’à présent reposent sur le principe des sentiments et des souvenirs soulevés par les sens. A la manière de Colette dans son livre La Maison de Claudine comme Proust et sa madeleine, l’auteur, Tadashi Agi, nous montre à quel point nous ne sommes que peu de choses sans nos sens et nos souvenirs. S’appuyant sur les souvenirs confus de son enfance qu’il retrouve par bribes, Shizuku se rend compte de ses connaissances inconscientes qui ne demandent qu’à être exploitées. Associés à un champ de fleurs en plein été, un vin et un millésime particuliers vont prendre tout leur sens aux yeux de ce grand enfant qui a vécu dans l’ombre de la passion de son défunt père.
Cette série remet le vin à sa vraie place, sur un piédestal, sans pour autant faire preuve de prosélytisme. Nous découvrons ce monde en même temps qu’un novice en la matière. Manière pour les débutants de comprendre et apprendre crescendo de quoi il retourne et pour les confirmés de consolider leurs bases de manière ludique. Un cas comme dans l’autre, le changement de point de vue sur le vin est si inévitable qu’il en séduirait même les hérétiques. Les Gouttes de Dieu apprendra aux novices, entre autres exemples, qu’un très bon vin ne se marie pas toujours avec un excellent met et qu’une bouteille à 3000 yens (environ 20 euros) vaut parfois autant qu’une autre valant le double, voire le triple.
Là où la série marque un grand pas en avant en terme de nouveauté, c’est au niveau de la gastronomie et œnologie françaises. Habituellement, vins et nourritures cités dans les animes et mangas ne représentaient que ce que nous voulions bien leur faire découvrir et exporter vers le pays du soleil levant. Vision assez naturelle et légitime de touristes en somme.
Agi forge ici le respect de par les recherches multiples et on-ne-peut-plus pointues faites sur le vin français, son histoire, ses grands noms – tant ceux des vins en eux-mêmes que ceux des grands producteurs – et ses aboutissants.
Où la beauté des sens passe par le plaisir des yeux
Souvent oublié dans les mangas au profit du seul auteur, la dessinatrice, ici Shu Okimoto, accomplit dans les Gouttes de Dieu un véritable travail de maître. Chaque plan est un délice pour les yeux, faisant parfois de l’ombre à l’histoire en elle-même, tant les dessins sont superbes et attirent à eux seuls toute l’attention. A raison de quelques doubles-pages bonus par tome, Okimoto nous offre de véritables planches dignes d’être encadrées, mettant en exergue la beauté fragile et pure du simple noir et blanc. Les pages pouvant sembler bien tristes sans couleurs n’ont pourtant rien à leur envier, et ce, grâce à la large palette d’effets et de dégradés, seulement produits par ces deux nuances antagonistes, qui ne sont la plupart du temps pas même considérées comme telles.
Ces dessins sont criants de réalisme, tant bien au niveau des personnages que des décors. Les proportions sont infiniment bien respectées, les représentations des étiquettes des différentes bouteilles sont reproduites à l’identique et les jeux d’ombres sont maîtrisés à la quasi perfection. Rien n’est fouillis, tout n’est que subtilité et sensibilité, à l’image du thème auquel la série fait référence. Jamais un manga ne m’avait semblé si fluide à lire et ne m’avait rendue si avide de tourner les pages. Sans nul doute une série à la pointe de la réussite, tant sur le fond que la forme.
La descendance de Dionysos est en marche
Je ne vais pas vous mentir, une partie non négligeable des vins cités tout au long des tomes par Agi, sont avant tout des vins haut de gamme, puisque Shizuku comme Issei Tomine sont à la poursuite d’un Saint Graal qui saura toucher en plein cœur quiconque le goûtera.
Une partie non négligeable donc, mais pas majoritaire. Agi veut donner envie au plus grand nombre de découvrir le vin, et le bon de préférence. Il choisit donc avec exactitude des vins souvent peu connus pour quiconque n’ayant que très peu de connaissances en matière d’alcool des Dieux, mais dans le même temps à des prix non exorbitants. Les vins évoqués ne sont pas balancés tels quels sans indications. Ils sont expliqués, embellis jusqu’à leur juste valeur, décortiqués et associés à des plats adéquats comme s’ils nous étaient servis sur un plateau, au lieu de nous les montrer sans savoir ce que nous devrions en faire. Ces vins évoqués donc, se glissent le bien souvent dans la fourchette de 2000 à 3300 yens (soit 15 à 25 euros), prix bien raisonnables pour du vin de qualité.
Objets du réel et empreints d’une âme particulière, chaque vignoble, chaque millésime, chaque vin a toutes clés en main pour se distinguer d’un autre, ce que Tadashi Agi a très bien compris. Le vin est d’une sensualité détonante. Tantôt doux ou à forte odeur de tanin, sucré, vif, astringent ou fugace. Les Gouttes de Dieu, sous couvert de se vouloir instructif et esthétiquement superbe, réhabilite le vin aux yeux des plus et moins jeunes, tout en tâchant d’ouvrir l’univers du manga à un public peu concerné au premier abord. Pour preuve, la Revue du Vin de France y a même consacré un article et dédié un prixso. Si vous ne connaissez pas cet univers, ne soyez pas rebutés pour autant. Laissez-vous séduire, laissez-vous guider par la beauté du dessin et l’histoire – tantôt sur fond d’amour, tantôt sur fond de compétition – pour, peut-être, apprécier et mettre en pratique les leçons à tirer des Gouttes de Dieu.
16 commentaires
En tout cas, les japonais m'étonneront toujours. Après un manga sur le pain, voici un manga sur le vin (je vous fais une scène...?). Les mangakas seraient-ils amoureux des saveurs françaises?
En tout cas Sacri, on sent que le sujet de botte, il y a de l'amour dans ces lignes ;)
Les dessins ont l'air vraiment top. Par contre, tu le classerais dans quel catégorie? Josei? Seinen?
Et voui, beaucoup d'Amour viticole =}
"En tout cas, les japonais m'étonneront toujours. Après un manga sur le pain, voici un manga sur le vin " Et bien à quand le manga sur le boursin... Ok, désolé... J'le ferais plus... XD
En tous très bon article, sa donne envie ! (de lire le manga bien sur... Bande d'alcoolique !!!)
Elle n'a qu'un gros défaut : le référentiel de prix des vins.
Il s'agit des prix japonais.
Logiquement, sans le coût de l'importation, ils devraient se trouver à beaucoup moins cher en France.
Sauf que le décalage dans la publication et la flambée de la demande déclenchée justement par ce manga font que la plupart des vins cités sont indisponibles, ou alors à des prix délirants.
Bref, ça donne de l'inspiration, mais c'est quasiment inutile en tant que guide d'achat.
Mais ouais, les gouttes de dieu ça déchire amplement. Les personnages sont également plutôt bons et tous très motivants à suivre, principalement le héros qui si au début fait un peu chier avec ses dilemnes dont on connait plus où moins la suite, devient de plus en plus bon au fil du temps...
... comme un bon vin.
A leur décharge il faut aussi prendre en considération que les vins cités dans les premiers volumes (en 2005 au Japon) ont pris de l'âge et donc de la valeur depuis (en plus de devenir plus rares à l'achat).
Je pense que je vais essayer de me les trouver pour voir ce que sa donne.
Ce titre m'avait intrigué lorsque je l'avais aperçu dans les rayonnages de Cultura. Je comptais m'y intéresser tôt ou tard et le portrait que tu en dresses donne envie de s'y mettre. Je garde un oeil attentif dessus.
J'ai appris à apprécier le vin et je peux vous dire qu'auprès de mes amis espagnols, la renommée du vin français est toujours vivace. Pourtant, c'est un vin espagnol qui a été élu comme le meilleur du monde.
et merci d'avance
Je crois que je vais d'abord faire un tour à la bibliothèque de l'arrondissement.
Et bravo pour l'article. =)
[…] concernant la « licence », sur laquelle nous avions d’ailleurs écrit un article … il y a 13 ans déjà […]