Représenter le viol : notes sur la page 131 de Life, tome 2.
Ayumu, l’héroïne de Life n’a pas une vie agréable, c’est le moins qu’on puisse dire : pratiquant l’auto-mutilation parce qu’elle se sent coupable de trop de choses, elle se voit, page 131 du tome 2, contrainte par Katsumi à accepter de faire une série de photographies SM à tendance bondage. Terrorisée, et obligée d’accepter à cause d’un chantage diabolique. Si la mangaka Keiko Suenobu ne brille pas particulièrement par la puissance de son trait, elle possède néanmoins une capacité toujours étonnante à faire passer les sentiments de son héroïne, quitte à braver parfois les interdits de la bande dessinée. La page 131 nous en propose un très bel exemple : l’héroïne terrorisée écarquille les yeux tandis que le pervers Katsumi lèche d’un air lubrique des… baguettes chinoises, qu’il lui plantera d’ailleurs dans la cuisse.
La case de gauche résume très efficacement la situation en faisant l’usage d’un gros plan sur l’œil d’Ayumu et sur la bouche de Katsumi. Chaque personnage se voit réduit à une fonction basique : regarder (sens de la vue)/lécher (sens du toucher, voire du goût). La différence absolue des deux expressions montre bien qu’il y a ici un viol, tout du moins un viol psychologique. Or, et c’est là toute l’audace de cette case, la mangaka refuse de la scinder en deux, il n’y a pas de trait de séparation, si bien que le regard terrorisé d’Ayumu se confond avec la bouche déformée de Katsumi. Keiko Suenobu donne ainsi naissance à une aberration visuelle, un monstre à la fois gluant (salive de Katsumi) et cyclope (œil d’Ayumu), et l’image devient alors une métaphore brillante de ce qu’est le viol : une sorte d’hydre à deux têtes où deux corps se mêlent sans pour autant ne faire qu’un.
Suenobu réussit ainsi parfaitement son effet.
Les trois premiers tomes sont disponibles chez Kurokawa.
4 commentaires
J'espère que tu auras l'occasion de nous refaire ce genre d'analyse =)
(pour le moment tout du moins)
Jolie analyse Wata =)