Shangri-La – Gonzo reprend du poil de la bête
L’origine du terme Shangri-La est probablement tibétaine, mais l’expression se retrouve dans de nombreuses œuvres cinématographiques, musicales ou vidéoludiques. Dans le roman Lost Horizon (1933) de James Hilton, Shangri-La désigne une vallée mystique tapie aux confins d’une chaîne montagneuse de 3000 kilomètres à la frontière de l’Inde et de la Chine. Le temps s’y écoulerait tellement lentement que ses habitants seraient presque immortels.
L’animation japonaise n’est pas oubliée avec Noein, une série du studio Satelight dans laquelle Shangri-La prend la forme d’une dimension qui menace d’absorber toutes les autres. Cette aura néfaste prend à contre-pied la connotation positive d’une formule habituellement utilisée pour désigner un lieu paradisiaque. Quant au titre du nouvel anime de Gonzo, il reste pour le moment bien mystérieux.
Le Shangri-La qui nous intéresse est une adaptation directe d’un light novel écrit par Eiichi IKEGAMI et illustré par Kenichi YOSHIDA. Si le premier est inconnu au bataillon, le second a été chara-designer sur Eureka 7 et animateur clé sur bon nombre d’œuvres dont Planetes, Wolf’s Rain et Princesse Mononoké. Le lancement d’un manga signé Tasuku KARASUMA dans Shônen Ace a précédé de peu la série animée diffusée à partir d’avril 2009.
Alors, de quoi est-ce que ça parle ? D’un XXIe siècle où les émissions de CO2 ont bel et bien fait monter le niveau de la mer de plusieurs mètres. Si seulement ils avaient écouté les Al Gore et autres Yann Artus-Bertrand, les pauvres fous ! Du coup les puissances mondiales ont mis en place des taxes importantes sur la pollution carbonique, avec une répression militaire à la clé en cas de non respect des règles. Mais il est déjà trop tard, le pauvre Japon est en partie englouti et le reste du pays ressemble à une immense jungle tropicale passablement toxique. Le gouvernement a cependant construit une ville aérienne – la tour Atlas – pour abriter l’ancienne population de Tokyo, mais peu de gens y sont admis. Malgré tout, les gens espèrent accéder un jour à cet eldorado (ou Shangri-La ?), y compris à Duomo. Ce modeste village abrite l’héroine Kuniko, censée embrasser la carrière de futur leader du mouvement de résistance Metal-Age, un groupuscule armé qui dénonce les mensonges et les promesses en l’air du gouvernement…
Le célèbre Range Murata se retrouve au chara-design comme au bon vieux temps de Last Exile. A mon sens, le dessin des personnages est une des plus grandes forces de la série. Chaque protagoniste est croqué d’une façon très particulière et parfaitement adaptée à sa personnalité. Ainsi, le visage de Kuniko retranscrit la dualité de son existence : encore très jeune, elle doit pourtant porter le destin de son village sur ses épaules, ce qui apparait dans certaines de ses expressions étonnement matures. Celui de Mikuni hésite entre innocence et folie pure (une opposition soulignée par ses yeux vairons), Ryoko Naruse évoque la cruauté la plus complète, Takehiko la force brute, etc. Les mimiques faciales sont par ailleurs retranscrites avec une grande justesse et seule l’animation est parfois aux fraises.
Lady Mikuni La démoniaque Ryoko Takehiko le brave
La galerie de personnages est une belle réussite, même si personnellement j’étais sceptique quant au parti pris de donner un rôle de premier ordre à deux transsexuels. J’avais peur que les vannes et allusions autour de leur changement de sexe soient trop présentes ou que leur voix masculine féminisée n’agace à la longue. En fait il n’en est rien. Momoko et Mi-Ko sont vraiment intéressantes, surtout la première qui tient lieu de protectrice de Kuniko. Il est vrai que l’humour est parfois lourdaud, mais la personnalité travaillée des deux transsexuels compense bien cela. Tous les personnages secondaires s’en sortent bien et surprennent dans leur façon de réagir, à l’instar de Kusanagi, à la fois séduit et outré par le comportement de Kuniko (une romance à venir ?), ou encore Karin Ishida, fillette surdouée en informatique mais aussi susceptible que toutes les gamines de son âge.
Momoko-san Karin l’amatrice de peluches Kusanagi le militaire
Avoir de bons personnages, c’est bien, mais pas suffisant. Le scénario doit tenir la route lui aussi. Celui de Shangri-La est assez intéressant car multiple. La partie économie est sans aucun doute la plus déroutante. Tous les passages sur les « marchés du carbone » et les opérations financières visant à réduire la dette de certains pays apparaissent comme assez obscurs et difficile à suivre. On repère bien les rapports de force entre le gouvernement japonais, Ishida Finance et le reste du monde, mais tout le jargon technique reste un peu sur l’estomac. Heureusement, d’autres aspects du scénario viennent alléger tout cela : les aventures de Kuniko dans la ville du marché noir ou en prison, Atlas et son mystérieux seigneur Hiruko, les opérations du Metal-Age, etc.
Si Shangri-La ressemble d’entrée de jeu à un shônen (en dépit d’une absence d’ecchi : les plans de caméras font toujours croire au spectateur qu’il va apercevoir un bout de culotte de Kuniko, la fille à la jupe la plus courte du monde, mais en fait non), force est de constater que la série sait se montrer très crue. Certains éléments « adultes » sont suggérés avec force : filles en prison qui obtiennent des faveurs en « donnant de leur personne », personnages complètement masochistes… sans oublier quelques moments bien gores. Le ton même de la série reste finalement assez sérieux, en dépit des pitreries de Momoko et de la gaité naturelle de Kuniko.
Un certain contraste existe donc entre la légèreté de certaines séquences résolument portées sur la comédie et l’ambiance finalement assez sombre de la série. Pourtant, l’alchimie fonctionne bel et bien, à condition de s’accrocher un peu, car les premiers épisodes ne sont pas les plus captivants. Gageons que la réalisation haut dessus de la moyenne et l’excellente bande-son aideront à faire passer la pilule chez les plus réticents. Seulement 10 épisodes sur 24 ont pour le moment été diffusés, beaucoup de choses restent encore à venir. En tout cas Gonzo revient dans la course avec cette série prometteuse et enlevée. Espérons qu’ils ne se planteront pas en cours de route…
11 commentaires
Je comprends le terme de "narration apocalytique", mais personnellement je la trouve plutôt réjouissante et bien moins prise de tête que Baccano par exemple. On voit l'histoire évoluer de plusieurs points de vue en parallèle, rien de choquant à mon sens. Pour ce qui est des personnages, c'est une question d'appréciation personnelle. De mon côté je les aime bien. L'humour ne fait pas toujours mouche mais je trouve leurs personnalités vraiment travaillées.
Sinon je trouve intéressant que le message écologique évite toute moralisation excessive et se concentre sur le façon dont le monde a été transformé, notamment économiquement.
Mais pour être sûr que de la présence ou non des travers de Gonzo qui les caractérise :
Est ce que la fin de la série à une orientation apocalyptique ?
Vous savez la fin du monde avec une entité toute puissante à la fin que le héros parviendra à vaincre avec une ébauche de pouvoirs et/ou de grands sentiments.
Sinon le récit est post-apocalyptique donc la "fin du monde" est derrière nous. Pas vraiment de super pouvoirs non plus, mais y'a quand même une petite touche de fantastique.
Côté "sentiments" rien de larmoyant pour le moment mais un ou deux passages forts.
Merci El nounourso, j'avais même pas vu que c'était toi le rédacteur.
Bon article et je partage ton avis el nounourso