Tokyo Magnitude 8.0 – Un anime qui secoue
Le Japon vit avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête : coincé sur la couronne de feu du Pacifique (une chaîne circulaire de volcans sous-marins à la frontière de plaques tectoniques), les risques de tremblements de terre et autres tsunamis sont constants. Tokyo Magnitude 8.0 traite justement d’une de ces catastrophes naturelles imprévisibles : un séisme d’une magnitude 8 sur l’échelle de Richter se produit sous la mer à quelques kilomètres à peine de la capitale nippone, d’où le titre.
Même si je ne m’attendais pas à du Bruckheimer en 2D, le résumé et les quelques images m’avaient fait croire à un scénario catastrophe à grand renfort d’effets spéciaux. Je m’en faisais une petite joie. Je n’aurais pu mieux me tromper sur toute la ligne ou presque. J’avais oublié un peu vite (les détracteurs ont raison, les japoniaiseries – et surtout le manque d’originalité – détruisent le cerveau) que les tremblements de terre en eux-mêmes sont des catastrophes brèves. Mais je ne suis pas déçu très loin s’en faut : la série me charme au-delà de mes espérances. Masaki TACHIBANA et Natsuko TAKAHASHI ont fait le pari d’une alliance pour le moins improbable sur le papier : une cuillerée de film-catastrophe et une double dose de tranche de vie. Ses deux ingrédients a priori diamétralement opposés sur la carte des saveurs forment pourtant un cocktail aussi détonnant que réussi.
La catastrophe en elle-même n’est en fait qu’un élément déclencheur, un prétexte. Il s’avère bien plus intéressant de s’intéresser aux conséquences du séisme : la fragilité des bâtiments et surtout des individus. Les vidéos d’exercices pour ce genre de cataclysme montrent à l’envie des personnes certes concernées mais incroyablement détendues. On veut bien admettre que la philosophie zen empreigne la société japonaise mais à moins d’être drogué avec de l’oxygène pur (que ceux qui ont compris la référence lèvent la main), on a bien du mal à croire une telle positive attitude. Le studio Bones choisit lui la carte de la crédibilité : les tokyoïtes dans Tokyo Magnitude 8.0 ne jouent pas les Énée : leurs comportements sont égoïstes voire carrément irrationnels. La mort elle-même range son orchestre de violons et de pleureuses au vestiaire. Elle est anonyme, frappe au hasard et sans que le spectateur ne s’y attende.
Les personnages à travers lesquels l’histoire est vécue sont absolument banals. Point de scientifique marginal, de journaliste ou de politique. La collégienne Mirai et son jeune frère Yuki sont des plus quelconques. Mirai est en pleine crise d’adolescence. La mère travaille et délaisse un peu ses enfants. Le père n’est pas mieux présent pour sa famille et un peu lâche : par exemple dans une scène, il dit à son épouse que les enfants ont faim pour se plaindre, entre les lignes que le repas n’est pas prêt. Ce ne sont pas des parents indignes ; juste une famille nor-ma-le. Mari doit élever sa jeune fille seule et doit faire un petit boulot de livreuse en scooter toute la journée pendant que la grand-mère s’occupe de la petite (on parie combien qu’elle est en fait fille-mère ?). Autant en tout cas pour l’image de la famille parfaite et unie avec le papa toujours souriant et la maman debout à 5h du matin pour préparer le petit déjeuner.
Si le scénario ne se ménage pas pour bousculer nos habitudes et nos attentes, la qualité technique ne surprend guère : le studio Bones rend encore une fois (mais on ne va pas s‘en lasser) une copie proche de la perfection. Je ne peux bien évidemment pas juger de la fidélité de la reproduction de la ville et encore moins de la vraisemblance visuelle du séisme mais il flotte dans l’air une bonne odeur de soin minutieux. Mention du jury au chara-design pour la griffe réaliste de Atsuko NOZAKI qui arrive avec brio à retranscrire les émotions des personnages : de l’ennui à l’angoisse. Tout plus reprochera-t-on l’animation raide des personnages mais le détail des mouvements de foule là où la japanimation a plutôt tendance à nous habituer à des rues désertes étouffe dans la gorge les reproches. Je serai peut-être moins enthousiaste à propos de la musique. Les thèmes se font un peu trop discrets et si le générique de fin conclue sur une bonne note, celui de début jure un peu. Seul son visuel avec des vues d’artiste de Tokyo en ruine plutôt que la sempiternelle ronde des personnages lui permet de sortir la tête du sable.
Construit sur une alchimie délicate, Tokyo Magnitude 8.0 va au-delà de toutes ses promesses : les bâtiments ne sont pas les seuls à être secoués, ce sont les fondations même de la société (où en tout cas l’image qu’on cherche à lui faire véhiculer) qui sont ébranlées.
9 commentaires
Un article alléchant, une fois de plus...