Albator, une référence de l’animation Japonaise qui a marqué toute une génération de gamins aux grandes heures du Club Dorothé. Malheureusement pour moi, je suis arrivé un peu plus tard et n’avais donc jamais eu l’occasion de visionner un seul épisode de cette série devenue mythique. Voici donc un manque désormais réparé grâce au coffret intégral trouvé à un prix abordable dans une enseigne de la grande distribution. Il ne reste plus qu’à débuter ce fantastique voyage à bord de l’Atlantis, en compagnie de son équipage surprenant.
Attaquons si vous le voulez bien avec l’histoire. Avouons-le, le synopsis de base ne brille pas par son originalité… « Aux alentours de l’an 3000, l’Humanité vit dans l’opulence et la paresse, maintenue dans un état d’abêtissement permanent par un gouvernement qui se charge de lui fournir tout ce qu’il pour se distraire avant même qu’elle n’en éprouve le besoin (l’expression « du pain et des jeux pour le peuple » n’a jamais été si brillamment interprétée). Un seul homme accompagné d’une poignée de volontaires courageux s’oppose à cet état de fait : le capitaine Albator. A bord de son vaisseau, il pille les convois de marchandises venus des 4 coins de la galaxie, et ne tarde pas à être désigné comme l’ennemi public n°1.
Mais dans les profondeurs de l’espace, une menace se fait de plus en plus pressante : la race des Sylvidres menée par la belliqueuse et cruelle reine Sylvidra tente de prendre possession de la Terre et de réduire sa population en esclavage.
Seuls contre tous, le capitaine et son équipage feront tout pour éviter à leurs semblables ce funeste destin et ne reculerons devant aucun danger tant que flottera sur leur navire l’étendard de la liberté.»
Plus classique que ça, tu meurs. D’autant que le scénario fait appel à des ficelles et retournements de situation tellement énormes et prévisibles qu’on peut voir les évènements arriver avant même qu’un quelconque personnage n’est songé à lever le petit doigt. Albator a d’ailleurs le chic pour entraîner son petit monde dans des situations périlleuses dès que l’occasion se présente. Pour un homme de son expérience, on se demande quand même comment il fait pour tomber dans certains pièges qui lui sont tendus, alors que même le spectateur se sent tel Samy Naceri dans Taxi 2 qui, coincé entre 2 camions et encerclé de toutes parts par un commando, s’écrie nonchalamment (presque blasé) : « Oh, un piège… ».
Et le pire, c’est qu’il parvient toujours à s’en sortir presque indemne, un simple bandage sur le bras ou la jambe (on ne touche pas aux organes vitaux, même à 2 mètres dans un couloir…c’est dire l’adresse au tir de ses adversaires) suffit largement à le remettre sur pied et à lui redonner l’envie de castagner de l’extra-terrestre.
Bref, vous l’aurez compris, ce n’est pas vraiment dans le déroulement du scénario et l’enchaînement d’évènements toujours plus improbables qu’il faut se concentrer pour comprendre les raisons du succès d’un tel anime.
Techniquement, l’anime accuse son âge même si on reconnaîtra les efforts de la production pour obtenir une mise en scène aboutie et une animation de qualité pour l’époque. Un travail extrêmement minutieux a notamment été fait au niveau des visages et expressions des protagonistes qui retranscrivent à merveilles leurs émotions à l’écran. Pour ce qui est de la bande son, il y a d’assez bons morceaux, mais ce sont presque toujours les mêmes qui reviennent en boucle pour les mêmes séquences. Un peu plus de variété n’aurait pas fait de mal…
Pour ne rien arranger, je n’ai eu à disposition que la version française de l’anime. Sans être mauvaise, j’ai quand même eu la désagréable impression par moment que putain, les doubleurs de l’époque étaient loin de se passionner pour leur travail et ne faisaient pas vraiment d’effort pour coller au ton de la narration ou même au mouvement des lèvres des protagonistes… Et changer les voix à 3 épisodes de la fin, là je dis WTF ?! Bref, ça fait penser à du travail d’amateur.
En revanche, le doublé opening/ending est plutôt réussi, malgré le caractère un peu gnangnan des paroles. La musique reste néanmoins facilement en tête et on comprend sans peine que ces génériques soient devenus cultes avec le temps.
J’avoue donc être resté extrêmement dubitatif après la première poignée d’épisodes, et avoir douté de sa qualité et de sa réputation que je jugeait alors largement surfaite. Comme quoi, il est parfois bon de ne pas s’arrêter à une première impression et de se montrer suffisamment curieux et ouvert pour continuer l’aventure.
Mais alors me direz-vous, qu’est ce qui fait la réussite et l’essence même d’une telle production ? A cette question je répondrais sans hésiter les personnages, et le background d’une incroyable richesse sur lequel s’appuie l’histoire.
Commençons si vous le permettez par l’Atlantis et son équipage. La première chose qui frappe, c’est l’inégalité de traitement dont ont bénéficié les matelots au niveau du chara-design. Hormis le capitaine et quelques proches, tous présentent un physique extrêmement ingrat : petits, rondouillards, difformes, mal habillés et peu au courant des bonnes manières. On ne peut pas dire qu’ils incitent à la sympathie lors du premier contact. Cette pauvreté physique n’est en réalité qu’un trompe l’œil, un miroir déformant au travers duquel il faut passer sans s’arrêter pour découvrir des hommes efficaces, volontaires et courageux, capables des plus grands sacrifices quand l’heure de se battre arrive, guidés par l’idéal commun de leur liberté. Nombreuses seront les occasions pour eux de faire la démonstration de leur savoir-faire et de leurs compétences propres. S’il ne fallait qu’une preuve de leur grandeur d’âme, ce serait sûrement le fait que tous ont rejoint le navire après avoir vu leur ancienne vie réduite à néant par l’incompétence (le mot est faible), le cynisme et la lâcheté des dirigeants humains. Plutôt que de se laisser détruire par la colère et le désespoir, ils ont choisi la voie du pardon et de l’abnégation pour protéger leurs semblables qui n’en mériteraient pourtant pas tant de leur part, et les abandonneraient à leur sort au premier embrun venu.
N’oublions pas non plus l’Atlantis, fantastique vaisseau issu des rêves de son créateur (lui aussi pas très charismatique), un génie partageant avec Albator le même idéal de pouvoir enfin vivre libre et en paix. Plus qu’un simple vaisseau spatial hautement perfectionné, c’est un personnage central doué d’une certaine forme de conscience et capable de prendre les décisions quand son ami est dans le doute et ne sait plus que penser. Véritablement, c’est lui qui protège les hommes et femmes à son bord au péril de sa propre intégrité.
Enfin, le capitaine lui-même reste une énigme : il est l’archétype du héros valeureux sans peur ni reproches, doté du charisme remarquable que procure sa balafre en plein milieu du visage. Le problème c’est qu’on n’a que très peu d’éléments concernant son passé, hormis quelques épisodes décrivant son rôle lors de la création de son vaisseau. Aucun proche, aucune famille et aucun amour passé, juste une orpheline qu’il considère comme sa propre fille et pour qui il serait près à traverser la galaxie si elle venait à être menacée.
Parlons maintenant de leurs redoutables adversaires : les Sylvidres. Ces « femmes » aux origines mystérieuses sont les sirènes de l’espace, capables de faire chavirer le cœur des marins les plus endurcis avant de les faire plonger dans l’abysse. Grâce à leur apparence éblouissante et fragile, elles représentent les désirs les plus indescriptibles des hommes (et même de femmes) qu’elles croisent et s’en servent comme une arme mortelle. Une amie, une fiancée, une femme, une fille… leur beauté surnaturelle et leur fragilité apparente leur permet de jouer n’importe quel rôle, dont elles finiront implacablement par user et abuser pour atteindre leur but. La reine Sylvidra est leur leader, son intelligence froide et calculatrice, ses talents de tacticienne et politicienne en feront un adversaire de taille pour Albator et l’ensemble de l’Humanité, sans parler de sa beauté dépassant l’imagination.
Pourtant, on devine derrière ce jeu de séduction et d’apparences trompeuses, un monstre dénué de toute émotion. Après tout, en mourrant, les membres de cette race belliqueuse s’enflamment comme du papier dans un cri strident et caractéristique, comme un funeste présage. Il ne reste rien d’elles sinon un tas de cendre qui se dispersera au premier souffle. Ainsi sont les Sylvidres : elles ne laissent aucune trace de leur passage, en abattant impitoyablement les témoins de leurs actes, mais se voient elles-même condamnées à ne pouvoir laisser aucun souvenir matériel de leur personne à leurs proches. Dans un sens, leur destin est peut-être pire que celui des races qu’elles asservissent.
Pourtant, dans cet univers complexe, rien n’est vraiment totalement blanc ou noir.
Ainsi malgré sa bravoure et son expérience, même Albator n’est pas à l’abri d’une erreur de jugement aux conséquences désastreuses. Dans cette guerre sans pitié, il finit par avoir les mains débordant du sang de ses ennemies et entraîne avec lui tout un équipage dont certains n’ont même pas encore atteint l’age adulte. Dans le même ordre d’idée, son idéalisme forcené l’empêche de réaliser que ses victoires sur les Sylvidres finissent par exposer plusieurs de ses proches (sur Terre ou ailleurs) à leur colère, et les représailles qui s’ensuivent sont un poids extrêmement lourd qu’il devra malgré tout porter seul. Enfin (mais c’est plus personnel), en période de repos, je trouve quand même qu’il force un peu sur la bouteille et il n’est pas un seul épisode sans qu’on le voie siffler quelques verres de vin rouge (un p’tit Bordeaux pour oublier ?). Bel exemple pour la jeunesse, moi je vous le dis.
L’équipage de l’Atlantis n’est pas non plus un exemple à suivre à tout pris. Si c’est déjà un beau bazar en temps normal, ça devient carrément l’anarchie si il se passe une trop longue période sans une bonne bataille. Dans ces conditions, ramener l’ordre quand le besoin s’en fait sentir peut être un vrai problème.
Côté Terrien, citons le cas du général des forces armées qui se montre d’une rare cruauté pendant une bonne partie de l’anime, mais finira par comprendre ses erreurs face à l’assaut imminent des forces aliennes et l’immobilisme du gouvernement, malgré la menace évidente pesant sur l’espèce humaine. Il se battra même au côté de son adversaire de toujours quand le besoin s’en fera sentir et son sacrifice aura un poids important sur l’issue de la bataille.
Pour ce qui est des Sylvidres, on comprend peu à peu que leur cruauté n’est que le reflet du désespoir qui les accable depuis la perte de leur monde d’origine et le début de leur long exil. Dans une véritable course contre la montre, elles jouent dans le conflit pour la conquête de la Terre leur dernier espoir d’assurer leur survie et la pérennité de leur espèce. La reine elle-même admet que son rôle, la gravité de la situation de son peuple et le poids de sa tâche ne lui autorisent aucune hésitation : si elle doit se présenter comme la dirigeante la plus cruelle de la longue histoire de sa nation, qu’il en soit ainsi.
En parallèle, on découvre le fonctionnement de cette société matriarcale divisée en deux grandes castes : l’armée (la noblesse et les dirigeants) et les civils (le peuple).
Si les premières suivent de manière fanatique et immédiate les consignes de leurs souveraines, les secondes aspirent, après des années de voyage interminable à travers les étoiles, à la paix et la possibilité de cohabiter en harmonie avec les civilisations croisées (et asservies) en cours de route. Certaines essaient même de se séparer du convoi et de s’installer sur d’autre planètes inexplorées. Malheureusement, celles qui tentent de fuir le convoi sont impitoyablement traquées et abattues comme traîtres et opposantes.
De même, l’échec d’une mission est passible d’une exécution sommaire rapidement appliquée par les patrouilles de la flotte. A terme, entre les défaites et l’épée de Damoclès qui se tient au dessus de chaque combattante, le moral ne tarde pas à diminuer au sein de l’armada royale.
Enfin, on découvre au fur et à mesure du scénario à quelle point leur civilisation fut brillante et leur technologie capable d’accomplir de véritables miracles. L’un de leur plus grand tabou, à savoir la destruction du corps après la mort, peut ainsi être empêché et permettre au corps de conserver son intégrité et sa beauté même des millénaires après la mort. La plupart des créations Sylvidres traduisent d’ailleurs cette obsession de laisser une trace après leur passage, afin que jamais on ne puisse les oublier.
Malheureusement, depuis l’exil, toutes les ressources ne sont plus allouées qu’aux prouesses militaires et à l’armement de pointe, en faisant une race qui n’est plus que l’ombre de sa gloire passée.
Finalement, les véritable victimes de ce conflit sanglant restent les enfants comme Stellie, Ramis et bien d’autres, quel que soit leur camp d’origine. Tous finissent par perdre des membres de leur famille ou de leur entourage, sacrifiés sur l’autel de la guerre, et deviennent des pions entre les mains des adultes qui ne voient plus en eux que des otages de valeur, ou des soldats que l’on pourra modeler selon les besoins de la cause, pour faire fléchir leurs adversaires.
Certains s’engagent même sous les couleurs de l’une ou l’autre des factions (par choix ou par obligation) alors qu’ils ne sont pas sortis de l’adolescence, et deviennent à force d’expériences traumatisantes de véritables machines de guerre capables de tuer sans hésiter si on leur en donne l’occasion. Quant aux amours naissantes, elles sont impitoyablement écrasées simplement parce que l’autre n’est pas du bon bord.
Pour conclure, plus qu’une simple aventure de space-opéra, Albator est un vrai récit philosophique dénonçant avec efficacité l’absurdité de guerre, ses conséquences sur les peuples y prenant part et le sort des jeunes générations prises dans la tourmente. Bien sur tout cela a vieilli, mais l’univers qui s’ouvre devant nous vaut bien l’effort de passer outre ce problème qui n’en est même pas un.
Je mets un bon 8,5.