Alors que le nom de Osamu Tezuka revient dans l’actualité avec l’adaptation longtemps attendue du manga Pluto de Naoki Urasawa, le moment est bien choisi pour revenir sur une autre interprétation du célèbre héros de l’homme au béret, qui est sortie il y a exactement vingt ans.
En 1952, Tezuka débute la publication de Tetsuwan Atom, un manga destiné au jeune public qui raconte l’histoire d’un robot doté d’émotions humaines, et qui va devoir se battre pour permettre la coexistence de l’Homme et de la machine. Conçu par Tezuka comme une réinterprétation du conte de Pinocchio, ce manga constitue le plus grand succès populaire du maître, qu’il continuera de dessiner jusqu’en 1968. Non seulement Atom propulsera la carrière de son auteur qui deviendra à terme le « Dieu du Manga », mais c’est toute cette culture qui sera élevée par cette œuvre encore aujourd’hui considérée comme une des plus importantes de la bande-dessinée japonaise.
Tezuka s’intéressait également beaucoup à l’animation et était notamment inspiré du travail de Disney aux Etats-Unis. Le premier anime sur lequel il s’impliqua fut le long-métrage Saiyuki (1960), produit par la Toei et adapté d’un de ses mangas. Tezuka ne fut toutefois pas satisfait de son travail et décida en 1961 de fonder son propre studio, Mushi Productions (aujourd’hui Tezuka Productions) en débauchant un certain nombre d’animateurs de la Toei. Après quelques films expérimentaux, Tezuka se consacre à produire l’adaptation de Tetsuwan Atom, mais pas au format cinéma. En effet, Le redressement économique du Japon après la Seconde Guerre Mondiale fit décoller le nombre de téléviseurs vendues dans l’archipel, ouvrant un vaste marché de diffusion prêt à être occupé par l’animation. Tezuka décroche ainsi des contrats avec des chaînes de télévision japonaises et américaines pour créer le premier feuilleton télévisé d’animation : Astro Boy.
Avec quatre saisons pour un total de 193 épisodes, Astro Boy est la première série d’animation japonaise à connaître le succès, et également le premier anime japonais à être diffusé à l’international. La série fit sensation à l’époque, avec une audience qui pouvait culminer à 40% des ménages japonais équipés d’un téléviseur. Le contrat liant Mushi aux chaînes de télé lui imposait de produire au moins cinquante épisodes par an, ce qui obligea Tezuka à écrire de nombreuses histoires spécifiquement pour la version anime, le manga ayant été très rapidement rattrapé. De plus, pour tenir le rythme de production effréné, les animateurs développèrent des techniques de rationalisation des ressources, par exemple en réutilisant des plans et en réduisant le nombre d’images à l’écran ; cette méthode appelée « animation limitée » constitue la base de l’esthétique des animes japonais que nous connaissons encore aujourd’hui.
Astro Boy eut droit à plusieurs autres versions après la série initiale de 1963. La plus importante est sans doute le remake de 1980, supervisée par Tezuka lui-même et réalisée par le grand Noboru Ishiguro. Dernièrement on a eu Atom the Beginning, une préquelle à l’histoire originale, ou encore ce long-métrage en 3D hong-kongais qui a été un tel échec financier que son studio a fermé juste après sa sortie. Il y eut également une autre série en 2003, qui est à ce jour la dernière véritable adaptation du manga original. Et c’est de ça dont on va parler ici.
Dans un futur lointain, la robotique a progressé au point que les machines font désormais partie intégrante de la vie quotidienne. Les robots s’occupent des tâches difficiles et contraignantes tandis que les humains profitent de la vie. Le meilleur exemple de cette société est Métro City, une mégalopole où la population cohabitent en harmonie avec les robots.
Toutefois, il reste un pallier à franchir ; celui de créer un robot avec une âme, qui transcenderait la limite entre l’homme et la machine. C’est le défi que s’est lancé le Ministère des Sciences, et en particulier le directeur Ochanomizu. Un jour, après des efforts considérables, il parvient à donner vie à Atom, un robot en forme de petit garçon et dont la personnalité est pratiquement indissociable de celle d’un véritable humain. Atom n’est pas seulement gentil et curieux, il est également doté de puissants pouvoirs qui vont lui permettre d’aider tout le monde, hommes et machines, et devenir le plus grand des héros…
Ce qui interpelle tout de suite avec cette série ce sont les visuels. Il faut savoir que le réalisateur de l'anime, Kazuya Konaka, était un novice total dans l’animation japonaise et a fait toute sa carrière dans le live-action, en particulier dans les films de tokusatsu du genre Ultraman. Il a également produit des adaptations live-action de Black Jack, ce qui a motivé le choix de Tezuka Productions de lui confier ce remake de Tetsuwan Atom. Au début des années 2000 la mode était surtout aux images de synthèse, avec des films tels que Monstres & Cie de Pixar ou Shrek de Dreamworks qui connaissent un succès gigantesque. L’animation 2D, communément appelée « dessin animé » est perçue comme une technique dépassée et déclinante. Le réalisateur Konaka souhaite aller dans la direction de la modernité et produire un anime en 3D, mais le studio Tezuka Productions insiste pour continuer avec l’animation traditionnelle. Le résultat sera une série majoritairement 2D, mais avec un certain nombre d’éléments 3D au niveau par exemple des décors ou de certains effets. Ce n’est pas forcément nouveau, mais là où cette série en particulier tire son épingle du jeu c’est que la production est globalement d’un très haut niveau technique et cinématographique.
Regardez cette séquence du premier épisode par exemple. Les personnages sont en 2D mais le décor est partiellement rendu en image de synthèse, ce qui permet des mouvements de caméra qui seraient impossibles à rendre en animation traditionnelle. Et en retour, ces plans dynamiques permettent de montrer des choses que l’on ne verrait pas habituellement en animation télé. En l’occurrence cette scène d’introduction où Atom découvre la ville et en fait son terrain de jeu, uniquement avec le personnage qui s’envole et sans dialogue, c’est le genre de mise en scène de haute qualité que l’on ne voit pas souvent dans les animes télé, et qui montre l’apport d’un réalisateur venu du live-action tel que Konaka. Et ce n’est pas que le premier épisode, toute la série est remplie de ce genre de séquences à la mise en scène élaborée et à l’animation de haut niveau supervisée par le vétéran Keiichiro Mochizuki, qui avait travaillé sur d’autres adaptation des mangas de Tezuka notamment Le Roi Léo (1986) et Mitsume ga Tôru (1990).
Cette scène de l’envol d’Atom permet également de pointer un autre aspect intéressant qui est la direction artistique. Le chara-design est superbe, fidèle à celui de Osamu Tezuka mais avec un côté cartoon qui tombe juste. Les personnages ont de la gueule et le public jeune peut identifier immédiatement qui sont les gentils et qui sont les méchants d'un seul coup d’œil. La série étant pensée dès le départ pour l’international, la mise en scène ne fait pas appel aux clichés visuels communs de l’animation japonaise et préfère une approche épurée, prenant son matériel très au sérieux ; pas autant qu’un long-métrage tel que Metropolis sorti un an plus tôt, mais bien plus que la moyenne d’une série télé pour gosses. L’aspect qui m’a le plus plu c’est cette ville rétro-futuriste, invraisemblable et sublime, dans un genre typique de la science-fiction occidentale de la période (Le Cinquième Élément de Luc Besson par exemple). De manière globale la production value est extraordinaire et procède d'une volonté de Tezuka Productions d'offrir une version moderne de Tetsuwan Atom compatible avec le public jeune et international. Le chiffre de 250.000$ par épisode circula dans la presse au moment de la diffusion de la série, ce qui en fait un des animes japonais les plus chers de son époque.
Au niveau de l’écriture, on note que cette série est la première version de Atom écrite après le décès de Tezuka, et les auteurs ont choisi de prendre des libertés avec la lettre du manga pour proposer une version un peu plus "sérieuse" du personnage et de son histoire. Parmi les scénaristes qui ont bossé sur la série beaucoup sont des proches du réalisateur Kazuya Konaka parmi lesquels son propre frère, Chiaki J. Konaka, qui lui est beaucoup plus connu chez les fans d’animes de SF puisqu’il fut scénariste sur de nombreux animes réputés de cette période (Lain, Texhnolyze, Digimon Tamers…). On trouve également Keiichi Hasegawa, scénariste vétéran et prolifique que vous connaissez grâce à son travail sur le Gridman Universe ces dernières années. Plus curieux est la présence au staff de personnalités étrangères telles que Marc Handler, un américain célèbre dans le milieu pour avoir été un des pionniers dans l’import des séries japonaises vers les USA, et qui a travaillé entre autres comme scénariste sur la série Tortues Ninja à la fin des années 80.
Tout ce name-dropping pour dire que l’on a affaire à un all-star des scénaristes de l’époque, au service d’une série pour gamins qui était diffusée le dimanche à 9h30 à la télé. Et c’est sans doute là le point principal avec cet anime, c’est que malgré tout cet effort, malgré toute cette production value, Astro Boy reste une série faite pour les enfants. Contrairement à un GeGeGe no Kitaro plein de noirceur et d’ironie, Astro Boy ne se départit jamais de son message de tolérance et de paix. Atom est caractérisé comme le robot le plus fort du monde, mais c’est également celui qui va refuser la violence au moment crucial. Au cours de la série divers conflits vont naître entre ceux qui craignent l’avancée des robots sur l’homme, ceux qui au contraire pensent que la machine doit surpasser l’humain, et ceux qui tentent égoïstement de tirer profit de la situation. Atom va s’efforcer de créer des ponts entre tout le monde avec comme principe qu'à partir du moment où l’émotion est sincère, le robot n’est-il pas déjà l’égal de l’homme ?
Après il ne faut pas non plus s’attendre à des longues digressions philosophiques, comme dit plus haut il s’agit d’une série pour gamins. L’intérêt se trouve comme souvent dans les détails, dans certaines lignes de dialogues qui en disent plus que ce qu’elle paraissent. Celle qui m’a marqué c’est dans l’épisode du combat entre Atom et Pluto (ep. 18), à un moment une petite fille demande à son père « Est-ce que Atom va mourir ? » et ce dernier répond en souriant « Bien sûr que non, les robots ne meurent pas, il est juste cassé ». Cette réplique est d’une immense brutalité mais également très révélatrice, parce que moi-même je m’identifiais à Atom et je m’attachais à lui comme un héros. J'avais oublié que c'était une machine, parce que la série le traite comme un vrai petit garçon. C’est cela la morale de Tetsuwan Atom, lorsque le robot devient indissociable de l’homme, les émotions deviennent également indissociables. La conclusion de la série, qui revient sur les origines de Atom et son lien particulier avec le mystérieux Dr Tenma, est assez édifiante à ce sujet. Et même si ce thème du rapport entre homme et machine a été abordé maintes fois dans la fiction, avec toutes les questions soulevées par les récentes avancées dans le domaine de l'IA, y compris dans le milieu du manga et de l'animation, c'est intéressant de voir comment Tezuka avait déjà tapé dans le mille dès les années 60.
Tetsuwan Atom fait partie de ces incontournables de l’animation japonaise avec lequel tout connaisseur doit être familier, et cette série de 2003 en est probablement et peut-être pour toujours la version la plus abordable et la plus aboutie. Ironiquement, cet anime conçu pour l’export au point d’engager des scénaristes américains a fait un flop aux États-Unis, puisque les éditeurs occidentaux ont comme à leur habitude de l’époque éviscéré l’anime, censuré des épisodes, réécrit le script, changé la bande-son pourtant excellente et vomi cette version occidentale qui évidemment n’a intéressé personne. Et comme en France on aime la merde c’est cette immonde version US qui s’est retrouvée sur nos écrans plutôt que la version originale japonaise unanimement considérée comme une des productions les plus qualitatives de L'Âge d'Or. De l’eau a coulé sous les ponts depuis, le public est paraît-il un peu plus intelligent, et c’est donc le moment idéal soixante ans après sa première apparition télé de revenir aux origines du mythe.