La passion de la japanime commence toujours quelque part.
Pour certains, ça a débuté avec le Club Dorothée, symbole du mépris des français pour la "sous-culture japonaise" dans les années 1990. Pour d'autres, c'est avec Naruto que ça a commencé, et toutes ces autres licences symbolisant la récupération du «phénomène manga» par les commerciaux opportunistes, dans les années 2000.
Et bien moi, ça a commencé avec Card Captor Sakura, qui se situe tout à fait entre les deux.
En effet, CCS fut victime de cette charcuterie que certains appellent «adaptation», qui a rendu possible sa diffusion à la télé hertzienne. Cette série fut également le jouet du marketing moderne, qui avait tout de suite compris le potentiel consumériste de la petite chasseuse de cartes.
Tout ça pour qui? Pour un petit garçon devant son écran cathodique, qui ne pouvait détacher ses yeux de cette collégienne au nom si exotique, qui se battait pour récupérer des cartes magiques dans des costumes fantastiques... Un petit garçon devenu grand, habitué de la chose, mais qui n'oublie pas de faire sa révérence aux animes fondateurs sans lesquels rien n'aurait commencé.
CCS est un anime de soixante-dix épisodes, produit par Madhouse à la fin des années 1990. Adapté d'un manga de Clamp dont il s'agit certainement du plus gros succès populaire (en dehors de Code Geass), il raconte comment une collégienne ordinaire, Sakura Kinomoto, va devoir récupérer des cartes renfermant un puissant pouvoir, qui se sont échappées après une gaffe de sa part...
Je ne vous en dirai pas plus, parce que l'histoire de CCS tout le monde la connaît, c’est tellement culte, c'est tellement connu, je ne veux pas insulter votre culture.
Évidemment à l'époque où je suis tombé amoureux de cet anime, je ne connaissais ni Clamp ni Madhouse, pas plus que le terme de «Magical-girl». Car c’est bien ce dont il s'agit, CCS use et abuse des codes que Sailor Moon, Gigi et d'autres ont posé avant lui. Une jeune collégienne, une peluche en guise de compagnon, des pouvoirs magiques, une romance naissante, des costumes roses bonbon, et une bonne grosse dose de guimauve.
Car oui. CCS est un dessin animé pour enfants, et cet anime a eu un aussi fort impact sur moi car j'avais environ le même âge que les personnages la première fois que je l'ai vu. Mais CCS n'est pas seulement une série pour gosses, c'est avant tout un bon anime.
Ce qui fait l'atout maître de CCS, c’est sa lenteur et sa densité. Car CCS est lent, à la limite du contemplatif. Une lenteur qui permet d'installer, de graver les personnages, leurs mimiques, leurs habitudes. On regarde CCS comme on suit une bande d'amis que l'on connaît bien, comme une deuxième famille. On a Sakura, l'héroïne pas toujours héroïque, mais dont la bonne volonté et la sincérité ont raison de tous les défis. Avec Kero, la peluche gloutonne, ils chasseront les Clow Cards à travers le quartier de Tomoeda. Ils seront suivis de Tomoyo, la copine un peu excentrique mais qui a toujours le mot pour rassurer et aider son entourage. Bientôt ils seront rejoints par Shaolan, un immigré chinois un peu taciturne mais dont on devine la profonde gentillesse. Et puis il y a Toya, le grand frère de Sakura, qui à l'air un peu méchant comme ça mais qui est prêt à n'importe quoi pour sa sœur chérie. Enfin, il y a Yukito, le pote de Toya, qui est tellement bon, tellement doué. Mais le quartier de Tomoeda est encore rempli de plein de personnes au caractère propre, que l'on finit par connaître et apprécier comme s'ils habitaient juste à côté. L'ambiance de CCS est toute particulière, intimiste, joyeuse, enjouée, pure, un peu mélancolique aussi... Une ambiance qui se savoure au mieux lorsque l'on est enfant, car elle nous apprend un principe essentiel: Profitez du moment présent. Profitez de votre jeunesse, de cette innocence qui vous offre une regard plein d'émerveillement sur le monde, y compris ses aspects apparemment les plus évidents.
C'est ça CCS. Un retour en enfance, un retour vers un âge où tout est possible, où le moindre événement quotidien est propice à une petite aventure.
Ces aventures, elles seront de la partie grâce aux Clow Cards, des cartes crées par un puissant sorcier il y a des siècles, que Sakura a laissé s'échapper au début de la série. Dans la première partie de la série, Sakura devra chasser ces cartes, qui se sont cachées dans le quartier et qui joueront des tours à ses habitants. Dans la seconde partie, Sakura affrontera de mystérieux magiciens, pour devenir la Maîtresse des Cartes. La variété des cartes, de leurs effets, fait que le schéma narratif de CCS n'est pas aussi rigide que celui de séries de magical-girl actuelles comme Pretty Cure. Beaucoup de passages sont marquants, de par leur écriture intelligente, leurs idées, leur utilisation fine du principe des Clow Cards. CCS à beau être un anime jeunesse, il ne prend pas le public pour des abrutis.
C'est d'ailleurs de là qu'est né mon goût pour ces séries à caractère épisodique, qui font survenir un tas d’événements incroyables dans un espace réduit; ce qui permet de mêler aventure et surprise, avec ambiance chaleureuse et intime. On ne regarde pas simplement CCS; on est dedans, on suit ce petit microcosme de personnages qui évoluent, interagissent, vivent à côté de nous. En tout cas quand vous êtes gosse, ça fonctionne parfaitement.
CCS se démarque aussi par son excellence technique. Honnêtement, je pense que la réalisation d'hier n'a pas grand-chose à envier aux productions informatisées d’aujourd’hui. Le chara-design signé Clamp y est pour quelque chose, avec ces fameux yeux pleins de vie, ces visages ronds et cet aspect shôjo typique de leur style de cette époque. La variété est là encore au rendez-vous, puisque Sakura portera chaque fois un costume différent, à l’instar de Hokuto dans Tokyô Babylon ou encore Yûko dans xxxHolic. De même les Clow Cards sont personnalisées par des jeunes femmes dans des costumes particulièrement travaillés (gijinka). Les décors sont simplistes, mais un travail est fait sur les couleurs qui sont nuancées, subtiles, belles. L'animation est typique des animes des années 1990, c’est à dire que je suis fan, et certains passages clés (comme la transformation de Sakura ou certains combats) n'ont pas vieilli.
Un autre point à noter est la qualité de la musique. La BGM de CCS est principalement symphonique, ce qui donne un caractère naturellement épique à la série. Les génériques sont mignons tout pleins, avec des mélodies qui s'enfonceront dans votre tête pour ne pas en sortir, comme «♫ Catch You Catch Me» par exemple. Du moins si on se cantonne aux génériques japonais.
Car comme dit plus haut, CCS (ou plutôt devrais-je dire Sakura, Chasseuse de Cartes) est passé entre les mains des bouchers chargés d'«adapter» les séries pour nos pauvres esprits de petits français. Le générique japonais est viré pour un espèce de truc «la la la la la la» honteux, dont ils ont réussi à vendre des disques à l'époque. Les noms ont été modifiés, prouvant l'imagination débordante des responsable du doublage: Toya devient Thomas, Shaolan est surnommé Lionel, etc... Seul le nom de Sakura n'a pas été modifié, curieusement. Et les quelques passages sujets à caution, comme les sous-entendus homosexuels et pédophiles qui ont fait la renommée du manga, n'ont pas non plus été supprimés. En dehors de cela la VF est de qualité, avec des doubleurs connus des fans de japanimation de la fin des années 90. le doublage japonais est bien sûr irréprochable, avec des détails agréables (Kero qui a l'accent du Kansai, ou les tics de langage de Sakura, fidèlement retranscrits).
Mais ce qui est aussi intéressant dans cette série, c'est qu'il s'agit d'un des rares cas où l'on peut considérer la possibilité que l'anime soit au niveau du manga, voir un poil supérieur. Le manga de CCS est long de douze tomes et se caractérise par une forte stylisation du dessin, très typé shôjo. Le manga est honnête, mais sa courte durée ne lui permet pas d'approfondir autant l'univers que le fait l'anime et ses deux films. Par exemple, dans le manga il n'y a qu'une vingtaine de Clow Cards à capturer, alors que l'anime en montre bel et bien cinquante-deux - plus la carte scellée qui donne son nom au second film - comme un jeu de cartes classique. De plus, l'anime contient des personnages supplémentaires, comme Mei Ling, la cousine de Shaolan. L'anime contient encore nombre de petites différences, la plupart anecdotiques, mais qui augmentent et renforcent son contenu. La conclusion est également différente, la fin de l’histoire se situant en effet dans le second film et n’est pas la même que celle de la version manga. Pas de quoi hurler au blasphème pour autant, puisque c’est Nanase Ôkawa, scénariste de Clamp, qui a supervisé le scénario de l'adaptation.
En parlant de Clamp, on remarquera qu'elles ont bien compris la popularité de leur série puisqu'elles ont fait le plus gros cadeau imaginable pour leurs fans, en écrivant une «séquelle» de CCS en vingt-huit tomes, Tsubasa Reservoir Chronicle. De la même manière, xxxHolic contient des références critiques à CCS, et ceux qui souhaiteraient se lancer dans ces deux (très bons) mangas seraient avisés de jeter un œil aux origines du mythe...
Comment conclure une critique sur un anime que je considère comme éternel? Comment être rationnel sur un anime avec lequel j'ai un lien quasiment affectif? Référence absolue du magical-girl, et référence de l'anime pour enfants, CCS est pour moi une introduction idéale à la «vraie» japanime pour les jeunes gamin(e)s que l'on souhaiterait initier. Les plus vieux en seront quittes pour un aller simple vers les années 90, vers l’enfance, et vers ce que le genre a de meilleur à offrir. Culte à tous niveaux, CCS est un indispensable qui figure dans toutes les animethèques des connaisseurs, des nostalgiques, des fanboys, des curieux, des passionnés, bref des gens bien.