David a une grande gueule

» Critique de l'anime Giant Killing par Shizao le
21 Février 2017
Giant Killing - Screenshot #1

L'opposition entre l'outsider et le favori, souvent métaphorisée par l'exemple de David contre Goliath, déchaine souvent les passions en terme de divertissement. Cela inclue le football où diverses compétitions sont l'occasion de voir la petite équipe battre la grande, le temps d'un match voire d'une coupe ou même d'un championnat. C'est un peu le type d'intrigue que propose Giant Killing, adaptation anime du manga de Masaya Tsunamoto et Tsujitomo par le studio Deen. Une fois n'est pas coutume, le héros, Takeshi Tatsumi, n'est pas un joueur mais un entraineur. On pourrait penser alors que Giant Killing nous propose une vision radicalement différente du manga ou de l'anime de foot. Ce serait se référer uniquement aux exemples les plus connus et ce ne serait pas rendre service aux autres oeuvres que d'ériger Giant Killing en chantre de l'originalité. On retrouve dans cet anime tous les codes du sport et ça ne l'empêche pas d'avoir sa propre identité. Bien entendu, comme dans toute oeuvre de ce genre qui se respecte, des thèmes comme la psychologie et la tactique prennent une grande place.

C'est ce premier thème qui fait le sel de l'anime. Tatsumi rentre au bercail, au club d'East Tôkyô United, après un passage à Eastham - en Angleterre - où lui et son équipe ont accompli des prouesses en coupe nationale. Il est ainsi connu pour le « Giant Killing», littéralement « Tuer le Géant», une spécialité du héros qui introduit la dualité entre petites et grandes équipes. Le voilà dans un club de première division japonaise, la J.League, au fond du gouffre. Le contexte nous permet d'admirer la culture football du duo d'auteurs : des ultras - les supporters les plus fervents - qui mettent la pression, d'autres supporters qui se laissent gagner par la lassitude et un groupe de joueurs à fleur de peau, un concentré de négativité qui génère une ambiance déprimante propre au club en crise. D'autant plus que Tatsumi, grande gueule et condescendant, n'est pas vraiment apprécié malgré son passif. C'est là qu'entre en scène l'aspect psychologique. Il est intéressant de parler de tactique, de technique et d'observer les résultats qu'ils permettent d'obtenir, mais cela n'est possible que si les joueurs adhèrent à un projet commun. Elle est là, l'identité de Giant Killing. Présenter des thèmes similaires à d'autres mangas ou animes de sport, en mettant l'accent sur la psychologie, du point de vue de l'entraineur.

Giant Killing - Screenshot #2Ce point de vue ne serait pas amusant si Tatsumi n'était pas déroutant, provocateur, mais avec des convictions fortes. La gestion de groupe est pointue. Un effectif est d'abord une somme d'individualités qui nous est présentée avec adresse, ici. Des timides, des arrogants, des impulsifs, il y en a pour tous les goûts. Il y a une vraie jonction à faire entre le projet commun, celui du groupe, et le bien-être de chacun. La conviction se gagne par des principes. Il est donc intéressant d'observer comment le nouvel entraineur les diffuse tout en faisant face aux divers problèmes qui se posent comme la gestion des égos par exemple. Son habileté à alterner souplesse et fermeté est primordiale car East Tôkyô United ne manque pas de forts caractères justement. Cette attitude permet au spectateur d'identifier les principes non négociables de l'équipe, comme certains exercices à l'entrainement, et ceux qui sont négociables car présentant trop de risques de conflits inutiles et potentiellement irréversibles. Être entraineur ne se résume pas à une main tendue vers les joueurs et l'obtention d'un accord. C'est aussi une lutte solitaire, celle d'un homme qui doit convaincre un groupe et qui, dans le cas contraire, se verra montrer la porte de sortie par les dirigeants. Quand il s'agit de sauver un club, une grande pression pèse sur lui car il porte les responsabilités de son staff et des joueurs, le maintien de son poste devient une justification du travail accompli. Le choix des auteurs de mettre en scène un club en crise reflète évidemment tous les problèmes que peut traverser une équipe au cours d'une saison et les tensions qu'ils cristallisent. La rancoeur peut dépasser la frontière des insultes entre coéquipiers et peut atteindre directement l'entraineur. Pour éviter la rupture, il faut être fin sur le plan psychologique tout en proposant des choses concrètes sur le terrain, car l'un ne va pas sans l'autre.

Giant Killing - Screenshot #3L'anime gagne en profondeur via le processus tactique. Décomplexer l'ETU passera par des analyses minutieuses et des prises de risques. Tatsumi est un entraineur pragmatique, qui aime s'adapter à l'adversaire et établir un plan de jeu en fonction de ses points faibles plutôt que d'imposer un style bien défini. Une telle faculté d'adaptation ne s'acquiert pas en un claquement de doigts pour une équipe habituée à perdre et à craindre la défaite. C'est ce qu'il y a sans doute de plus beau dans Giant Killing. Le projet de l'ETU dépasse le résultat. C'est une véritable révolution des mentalités où il s'agit de prendre du plaisir en faisant passer l'identité de jeu de l'équipe avant la pression inhérente à ce fameux résultat. En somme, une nouvelle approche, centrée sur la manière de faire les choses. Paradoxalement, ces mêmes résultats peuvent s'obtenir ainsi. La mise en avant de cette vision du football s'affine en l'individualisant, sans déformer le collectif, à travers des personnages comme Kuroda, Sugie ou Tsubaki. Ces joueurs, aux profils bien différents, sont réunis sous une même conception de ce sport qui leur donne un point commun indispensable à leur réussite. Mais Giant Killing n'est qu'un point de vue et non l'établissement d'une vérité. Les adversaires sont là pour nous le montrer. Cela va au-delà des systèmes de jeu ou des profils individuels de chaque joueur. C'est plus qu'une question de 4-4-2 ou de 3-6-1, de meneur de jeu ou de duo d'attaque. C'est une question de philosophie de jeu. Le personnage de Dulfer l'illustre parfaitement, puisqu'il est en quelque sorte, le rival de Tatsumi. Son idée romantique du football, basée sur une certaine conception esthétique et une véritable croyance en ce style, tranche avec le caméléon qu'est le coach de l'ETU, capable d'alterner différents styles de jeu. C'est une confrontation d'idées bien connue. D'un côté la volonté de gagner avec élégance, la croyance au résultat comme aboutissement de la beauté et de l'autre, des principes de groupe tout aussi fermes mais des idées plus flexibles pour arriver jusqu'à la victoire. Une fois de plus, l'anime affine les dualités présentes dans l'intrigue et étoffe ce qui s'apparente à un véritable tour d'horizon du football.

Giant Killing - Screenshot #4La vision du personnage principal n'est donc pas le seul fil conducteur. Pour faire du développement de ce projet commun une réalité, on nous présente également le ressenti des joueurs, sur leurs performances, sur l'entraineur, sur leurs coéquipiers, leur interprétation du jeu ou de leur poste. Tatsumi dirige des êtres humains qui n'hésiteront pas à se faire entendre, à faire parler leur créativité ou à défendre ce qui leur semble important. On nous le fait ressentir de par leurs actes, ce ne sont pas de simples pions déplacés selon des consignes données. Murakoshi, le capitaine de l'ETU, en est le meilleur exemple. Cette notion de collectif s'étend du terrain à la ville en passant par le centre d'entrainement. C'est tout un corps de personnages qui est développé, y compris les supporters, les dirigeants et les journalistes, avec l'ETU comme référence. Autant de personnages susceptibles de mettre une certaine pression sur le club et d'être des sources de tensions ou, au contraire, de confort. La légitimité qu'ils peuvent apporter ou enlever à la construction de l'équipe renforce cette impression de dépassement de l'individualité, que ça soit le héros ou un joueur, au profit d'une panoplie de personnages influents.

Giant Killing - Screenshot #5En dehors du terrain justement, l'ambiance supplante les osts et je ne pouvais pas demander mieux. Le studio Deen fait un sans faute sur les chants, dignes reprises des tribunes de J.League, avec également la présence de tifos - sorte de grande bannière exprimant un message ou un dessin par exemple - et une psychologie du supporter type assez fidèle, adaptée aux péripéties du terrain avec une bonne dose d'adrénaline. L'influence du championnat japonais s'étend jusqu'aux équipes, puisque en dehors de l'ETU - que l'on peut assimiler au FC Tôkyô par élimination - les noms des autres clubs sont inspirés de celui-ci. On retrouve aussi la forte présence brésilienne en J.League et on en arrive à l'incroyable travail des doubleurs. Giant Killing réuni une somme impressionnante de langues différentes dans le même anime. Aux dialogues japonais, nous pouvons ajouter des dialogues néerlandais, portugais et français, avec des interprètes, des sous-titres et des superpositions dans les voix pour ne pas abuser de ces derniers. C'est une contextualisation brillante du football tel qu'il est aujourd'hui, confronté à la mondialisation, comme la société dont il fait partie. L'animation n'est pas en reste. Les mouvements sont cohérents, les dribbles sont fluides et on se situe facilement sur le terrain quand les joueurs sont en pleine course. En terme de graphismes, le charadesign est varié malgré un grand nombre de personnages et, cerise sur le gâteau, l'utilisation de la 3D pour montrer les joueurs en arrière plan et donner plus de volume aux silhouettes est pertinente.

Giant Killing se veut donc didactique et ouvert car il sait sortir du registre de l'adaptation pour proposer une vision de ce sport plus personnelle, à travers Tatsumi, celle-ci relevant de l'opinion et non du dogme universel. Le tout assorti d'une animation bien maitrisée, notamment les temps forts et les temps faibles du match ou encore les focus sur certains joueurs qui constituent parfois un frein nécessaire au rythme de la rencontre. Tout cela rend les matchs et l'évolution de l'ETU, ainsi que des personnages qui gravitent autour, passionnants.

Verdict :9/10
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A propos de l'auteur

Shizao, inscrit depuis le 28/12/2014.
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