Animé au sein du studio Madhouse, c'est le jeune Tachikawa Yuzuru qui prend les commandes de ce court métrage, dans le cadre du projet Anime Mirai, destiné à former les animateurs de demain. Nous voici donc avec un divertissement d'une bonne vingtaine de minutes, porté majoritairement par des novices. Pour faire simple, hormis le studio Madhouse, tout pouvait faire peur quant à la réalisation d'un tel métrage par une équipe peu expérimentée. Mais le film s'est vite fait remarquer par les spectateurs, et s'est transformé en l'emblème de cette édition d'Anime Mirai 2013. Néanmoins, si le grand public a adhéré au projet, c'est bien entendu de par son atmosphère et son scénario plus classiques dans le monde de l'animation japonaise. Alors, faut-il vraiment retenir quelque chose de cet OAV ?
Et l'ascenseur recracha le spectateur dans un décor des plus intrigants
Dès le commencement, le métrage prend une direction intéressante. Le cadrage et la réalisation sont soignées pour sûr, et accompagnés par un chara design qui se trouve être d'une classique monstrueux mais également d'une efficacité éprouvée. Néanmoins, ces premiers plans passés, on se confronte à un premier mur pour ma part, car oui, cher lecteur, c'est très scolaire. On suit des chemins connus, et le métrage ne semble pas vouloir s'éloigner des sentiers battus.
Ainsi, ces premiers instants, dédiés à un fameux ascenseur sont très bien menés, mais ce classicisme apparaît véritablement lorsque les divers personnages entrent en scènes. On aurait apprécié en effet plus de prises de risques, notamment sur le cadrage. Toutefois, il est bon de se souvenir que c'est une équipe débutante, et surtout une équipe qui va sûrement se retrouver sur des projets de séries basiques, donc autant rester dans les limites du genre. Ce qui n'empêche pas d'être déçu de ce côté, forcément, même si on trouve toujours quelque chose de supérieur à la moyenne.
Pour ma part, j'ai par contre été incroyablement déçu par le côté sonore de l'œuvre, d'une pauvreté aberrante. Certes le format est court, certes le budget n'était pas des plus élevés, mais la musique brille par son absence et son minimalisme. Par minimalisme, bien sûr, je ne veux pas évoquer la musique minimaliste, qui aurait été déplacée vis à vis du ton de l'œuvre, mais son caractère peu développé, à la fois sur l'écriture elle-même que sur les timbres employés, où la recherche de sonorités est quasiment inexistante. Les seyuus sont, à l'instar de la musique, transparents eux-aussi, mais je le pardonne plus facilement, car ils conviennent parfaitement aux personnages développés.
Graphiquement, il est évident que c'est du bon. L'animation est bonne, soignée. Comme on peut l'attendre de la part de Madhouse. Je peux également ajouter que les jeux de couleurs sont plaisants à regarder, et créent une ambiance, certes maintes et maintes fois vue, mais toujours agréable.
Le syndrome du fantôme
Derrière ce titre un petit peu obscur se cache en fait une vérité qui résume une bonne partie de l'œuvre. En effet, ce syndrome touche la totalité des personnages. Cher lecteur, le point fort mais qui fait tout autant la faiblesse de l'œuvre sont ses personnages. Ses personnages vides.
Death Billiards met en scène une palette de personnage peu étendue. En réalité, seuls quatre des six personnages évoqués tout au long du film sont véritablement au cœur de l'intrigue. Néanmoins, si ces personnages sont des coquilles vides, il se crée tout d'abord une complémentarité entre eux qui est fort appréciable, sans pour autant avoir l'impression d'une volonté d'exhaustivité quant à l'exploration de la nature humaine. Ceci représente un premier petit détail qui a retenu mon attention, et qui m'a rapidement convaincu de m'attarder sur l'œuvre.
À cet éventail de protagonistes, on notera néanmoins l'absence d'un élément important: l'antagoniste, ou du moins sa représentation. Ainsi, aucun personnage en soi n'ira s'opposer aux personnages. Ou du moins, aucune sorte de manifestation concrète. De cette façon, le court métrage réussit deux choses. Premièrement, l'absence de concrétisation du mal tend à persuader le spectateur - et les personnages pour le coup - que le mal est omniprésent. Secondement, cette même absence de concrétisation du mal finit par créer un manque, et va pousser et le spectateur et les personnages à confectionner une enveloppe physique à ce mal.
Je voulais revenir plus en détail sur ce fameux syndrome du fantôme. La force de ces personnages réside uniquement en leur statut de coquille. Mais malgré cela, les personnages sont de véritables acteurs de leur histoire, et contrairement à ce que cela pourrait laisser croire, ne sont pas des outils aux mains d'un quelconque destin. Très intelligemment, l'OAV réussit l'exploit, dans le but certain de gagner du temps mais également de proposer des personnages d'un genre différent, de faire vivre des personnages quasiment inexistants.
Et si le titre était trompeur ?
Death Billiards. Littéralement Billard de la mort. En bon français, nous pensons au jeu. Les anglais aussi. Mais un billiard peut aussi désigner un coup particulier. Un coup qui consiste à dégommer une balle avec une autre. Ainsi, plus que le jeu en lui même, il s'agit de s'intéresser au fait qu'une balle envoie une autre dans un trou.
Il faut faire le rapprochement avec un autre élément omniprésent dans le film: l'ascenseur. Finalement, il faut ici aussi revenir au fondement même de l'ascenseur. Car au fond, l'ascenseur sert à monter ou à descendre. Et n'est finalement qu'une échelle électrique. Et c'est bien cette échelle qui m'intéresse.
Cherchons quelques expressions universelles impliquant une échelle. Je pense qu'une des plus connues d'entre toutes est l'échelle sociale. Cette fameuse échelle sociale est un élément proéminent au sein du film. Je pense que si vous avez vu l'œuvre, vous saurez connecter les quelques maillons manquants, et si ce n'est pas le cas, ces quelques lignes auront sûrement éveillé votre attention vis à vis de certains détails.
Ainsi, une balle remplace une autre en l'envoyant au trou, comme au sein de l'échelle sociale une personnage remplace une autre et l'éjecte plus bas. De même, les personnages et leur histoire personnelle viennent enrichir l'anime dans cette vision du monde, à laquelle vient s'ajouter le facteur chance de la chose, développé avec certains autres détails, mais beaucoup plus difficile à mettre en évidence sans dévoiler une partie de l'intrigue.
Néanmoins, si cette lecture est intéressante, il n'en reste pas moins que le discours tenu est complètement aseptisé, et vide de toute prise de position de la part du réalisateur. En effet, elle apparaît plus comme un constat qu'autre chose, et on regrette une fois que l'on arrive à ce point que la réalisation ne soit pas allée plus loin...
Au final, derrière certes un classicisme prépondérant dans la réalisation et dans le discours général, cet OAV aura réussit à insuffler quelques idées et concepts fort intéressants. Il est bon de regarder la chose deux ou trois fois, de façon à déceler quelques détails qui auraient pu échapper à votre attention, ou plus généralement à prendre un peu de recul vis à vis du discours de l'œuvre. Un court métrage à voir, qui représente une vingtaine de minutes très agréable à suivre...