Dungeon Meshi est un manga de Ryoko Kui dont la parution débutée vers 2014 s’est terminée presque dix ans plus tard en septembre 2023 au bout de 14 volumes. Ce n’est donc qu’une fois le manga fini que l’adaptation animée fut diffusée, avec l’ambition évidente d’une adaptation complète et qualitative. Le plus surprenant est que cette adaptation est produite par le studio Trigger, qui ces dernières années avait concentré ses efforts sur des séries originales ou des projets précisément éloignés des adaptations de mangas populaires qui constituent le centre de gravité de la japanime actuelle. Ce n’est toutefois pas un hasard ou un accident que Trigger se retrouve à adapter cette série ; le réalisateur Yoshihiro Miyajima, figure historique de chez Trigger depuis la création du studio, est un gros fan du manga et a poussé pour obtenir le projet. Il n’est pas le seul, puisque la rumeur dit que des animateurs de Trigger qui avaient été approchés par d’autres studios ont choisi de rester à leur poste uniquement parce qu’ils avaient la possibilité de travailler sur cette série.
Le récit se déroule dans un monde de fantasy où coexistent diverses races telles que les elfes, les nains, les orcs etc. Là où tous ces peuples se retrouvent, c’est dans les donjons, des labyrinthes mystérieux remplis de dangers mais aussi de trésors. Laios est le leader d’une équipe d’exploration d’un de ces donjons avec sa sœur Falin. Lors d’une mission, un combat contre un dragon tourne mal et toute l’équipe est décimée ; Falin parvient à sauver tout le monde mais elle finit avalée par le dragon. Laios décide de réunir une nouvelle équipe et de redescendre à se recherche, mais il n’a plus de ressources pour assurer le voyage. C’est là qu’il rencontre Senshi le Nain, qui lui enseigne un moyen de survivre dans le donjon à peu de frais; se nourrir de monstres… de manière gastronomique!
Depuis toujours l’animation japonaise est traversée de modes et de tendances qui suffisent à expliquer son évolution à travers le temps. En ce moment on ne peut pas nier une tendance à ce que l’on pourrait appeler la "fantasy post-isekai". En effet, l’isekai a dominé l’industrie de manière hégémonique pendant un certain nombre d’années, mais le genre commence à montrer des signes de faiblesse et une incapacité à se renouveler, tournant autour des mêmes thèmes et des mêmes franchises. C’est là qu’arrivent des séries telles que Frieren, Dungeon Meshi, ou Witch Hat Atelier dont l’anime vient d’être annoncé, qui reviennent à de la fantasy plus classique et grand public, et connaissent un énorme succès.
Cela ne signifie pas pour autant que les apports du genre isekai sont passés par pertes et profits. Au contraire, l’isekai et ses codes ont été digérés puis réintégrés dans ces nouveaux récits de fantasy. En ce qui concerne Dungeon Meshi, c’est particulièrement visible avec cette forte connotation jeu vidéo qui parcourt l’histoire. L’équipe de personnages variés avec le chevalier, le mage et le voleur, le donjon à explorer, les ennemis, les sorts, et toute l’économie du donjon qui rappelle le RPG genre dungeon-crawler très populaire au Japon. L’auteure du manga Ryoko Kui ne cache d’ailleurs pas son appétence pour le RPG occidental, et l’anime est également conscient de cette culture puisque Miyajima a commandé la musique de la série à Yasunori Mitsuda, célèbre pour son travail dans le domaine du JRPG.
Autre point commun entre ces séries c’est la qualité technique. Frieren est un des animes les mieux produits de ces dernières années, et Dungeon Meshi n’est pas bien loin derrière. On retrouve le "style Kanada" typique de Trigger, avec cette animation hyper dynamique où le détail s’efface au profit du mouvement. Un style qui convient parfaitement au sujet de cette série plutôt comique où l’on est jamais bien loin d’une grimace hilarante ou d’un personnage qui se casse la gueule dans les escaliers façon cartoon. A noter surtout l’absence quasi-totale de CG tant pour les monstres que pour les environnements, et une mise en scène soignée à tous les niveaux et notamment les nombreuses scènes de repas qui sont de loin les meilleurs moments de la série. Mention spéciale à l'OP1 qui est probablement le meilleur OP de l'année pour le moment.
Ce qui est finalement le plus surprenant avec Dungeon Meshi c’est son écriture bien plus élaborée qu’il n’y paraît. La série commence comme une sorte de collection de gags où les personnages archétypaux de RPG vont se retrouver à manger des monstres de jeu vidéo ; lasagnes de griffon, ragoût de slime, pizza au fromage de minotaure etc. On rigole bien jusqu’à ce que la série révèle un lore et un world-building finalement assez élaboré, avec des factions rivales qui luttent pour la suprématie sur le donjon et le mystérieux pouvoir qu’il contient, le tout enrobé d’un sujet sur le conflit entre les races. Non seulement les histoires individuelles sont marrantes et inattendues, mais plus la série avance plus on se rend compte que l’auteure a une vision de cet univers qui ne se résume pas à empiler des clichés de jeu vidéo et qui construit un vrai récit.
Un autre point à soulever c’est la qualité des personnages, on ne le dira jamais assez mais une bonne série c’est d’abord des bons personnages, sans cela tu peux raconter ce que tu veux ça ne marchera pas. Le point qui m’a interpellé dans Dungeon Meshi c’est la diversité de son casting, certes on a Laios le héros blond chevaleresque (qui est en réalité le plus frappadingue du groupe) et Marcille l’Elfe magicienne qui fait sa tsundere mais qui finit par manger sa soupe de gobelins comme tout le monde ; mais à côté on a des personnages comme Chillchuck le Voleur qui joue le rôle de tsukkomi universel, et Senshi qui est sûrement le plus intéressant d’autant que ce n’est pas tous les jours qu’un anime propose un personnage principal petit et barbu. La série avançant, d’autres personnages vont intervenir avec encore d’autres perspectives, preuve que l’auteure a une vision globale de son œuvre.
C’est là où Dungeon Meshi tire finalement son épingle du jeu, par sa sincérité. Un manga écrit par une auteure manifestement fan de son sujet, un anime produit par un réalisateur et un studio fans de leur matériel, on voit immédiatement la différence avec tant d’autres productions clairement alimentaires et qui n’existent que pour vaguement occuper de l’espace en attendant d’être remplacées trois mois plus tard. Ici on a affaire à un produit de luxe, un anime toujours drôle et parfois émouvant, réalisé aux petits oignons, où chaque épisode est un délice et la deuxième saison déjà annoncée pour conclure l’adaptation promet que l’on va avoir droit à un deuxième service. Cette série c’est comme les macaronis, peu importe comment c’est fait tu sais que c’est bon.