Flag : Capture the Flag
Bien loin d'être un chapitre clos de l'Histoire, la guerre est un élément bien présent qui ponctue très régulièrement l'actualité internationale. Une actualité que certains ont la chance de pouvoir oublier, en se réfugiant dans un monde de fiction, de divertissement ; la japanime. Mais certaines œuvres choisissent d'utiliser ce média pour nous rappeler à notre cruelle réalité quotidienne. Flag en fait partie.
Le cadre spatio-temporel de Flag est fictif mais ce n'est que pour mieux mélanger divers éléments qui ne peuvent manquer de rappeler une certaine actualité. L'histoire se déroule en Uddiyana, un pays imaginaire d'Asie Centrale embourbé dans une guerre civile entre deux sectes bouddhistes rivales. Lorsque les Nations Unies interviennent, elles utilisent la force armée pour éteindre les tensions en attendant la signature d'un cessez-le-feu. Mais des groupes armés terroristes ne l'entendent pas de cette oreille et cherchent à tout prix à saboter le processus de paix. Mais dans l'ombre, un problème majeur risque de compromettre le plan de l'ONU.
Lors du débarquement des Casques Bleus à Subasci, capitale de l'Uddiyana, le drapeau des Nations Unies fut griffonné puis hissé par les insurgés en signe de paix. Cette image du Drapeau, symbolisant la confiance du peuple en une résolution du conflit, fit le tour du monde. Une photo emblématique, riche en symboles, à la manière de clichés célèbres tels que le « Drapeau Rouge sur le Reichstag » ou le « Raising Flag on Iwo Jima ». Mais ce Drapeau unique à été volé.
Une unité secrète des Nations Unies, le SDC, est immédiatement chargée de récupérer le Drapeau avant la signature du cessez-le-feu. Ils décident de faire appel à Saeko Shirasu, la photographe japonaise ayant pris le célèbre cliché, pour les accompagner dans leur mission. Pendant ce temps, Eiikichi Akagi, ami et collègue de Saeko, tourne un reportage à Subasci en quête d'un scoop. C'est sur ces deux fronts que Flag débute.
Flag s'articule donc autour de deux thématiques principales ; la guerre, et le journalisme de guerre. Et pour bien insister sur ce dernier aspect, Flag choisit un procédé de mise en scène qui va caractériser la série : tout l'anime est raconté à travers un objectif d'appareil de prise de vue, style « caméra à l'épaule ». Cette mise en abîme, habile et rare, est le principal argument de vente de la série.
Flag brasse une quantité de thèmes et sujets ; pour une étude documentée sur ceux-ci, on se reportera au dossier d'Anime-Kun consacré à Flag, qui est de très bonne facture (et ce n’est même pas de la lèche). De mon côté, on va passer directement à la critique de l'anime.
Le plus difficile dans Flag, c’est de commencer. Le premier épisode met le spectateur à l'épreuve avec sa mise en scène particulière, son histoire dense, et son système de narration double - voire triple et plus, si on entre dans le détail. Mais une fois parti, c'est bien parti.
La série fait un grand écart entre divers ambiances, alternant une découverte du travail des militaires, de celui des journalistes, mais aussi des moments plus légers et doux. On aura également des combats, finalement assez nombreux, à l'aide de blindés bipèdes tout droit sortis d'un Metal Gear Solid. L'histoire se suit sans temps morts, et même des épisodes apparemment HS comme celui où Saeko passe une journée avec un docteur ambulant, se révèlent indispensables pour donner du sens à l'ensemble. Le rythme est soutenu, je n'ai jamais terminé un épisode sans avoir envie de lancer le suivant. Avec les longs génériques, les nombreux eyecatches dépeignant l'ouverture/la fermeture des appareils photos, caméras et ordinateurs, le visionnage est rapide. J'ai vraiment senti une grande générosité dans le scénario, qui ne cesse de donner, de donner jusqu'à la fin. Un fin d’ailleurs assez remarquable, avec notamment un coup de théâtre final qui fait l'effet d'une bombe, si vous me permettez le jeu de mots. J'avais le cœur serré durant le dernier épisode, preuve que la série est parvenue à donner du corps à ses personnages et son univers.
Un univers qui comme dit plus haut se focalise sur deux sujets, la guerre et sa couverture par les reporters. On admettra volontiers qu'un des deux axes est mieux traité que l'autre.
J'ai en effet beaucoup aimé la manière dont est dépeint le travail des journalistes de guerre, avec force détails et pas mal d'introspection. La double narration de la série montre son utilité puisqu’il permet de montrer deux facettes de ce métier. D'un côté on a Saeko qui est au cœur de l'action, si ce n'est carrément sur le champ de bataille ; de l'autre, Eiikichi erre dans les rues de la capitale, flairant l'exclusivité avec ses collègues freelancers, investissant un tripot du coin tel une newsroom de fortune. Deux aspects qui se complètent, tout comme les personnages de Saeko et Eiikichi qui ont une personnalité et une manière de procéder bien différente, et qu'il est intéressant de voir s'influencer mutuellement.
A côté de cela, la thématique de la guerre en elle-même est exploitée avec moins de finesse. Le conflit qui ravage l'Uddiyana révèle vite ses ficelles au spectateur. Entre le regard froid et dur de Ru Pou, le leader de la secte Geld, et celui enfantin et innocent de la petite Kufra, on détermine sans trop de difficultés où se situe le camp du Bien et celui du Mal. Le regard parfaitement subjectif et orienté de Eiikichi n'aide pas à disculper Flag d'un certain manichéisme sur ce point. On pourra faire une analogie avec l'opposition entre le SDC et l'état-major des Casques Bleus, plus tard dans la série. Malgré le regard (presque) neutre de Saeko, on repère en filigrane le stéréotype du militaire zélé qui fait preuve d'insubordination pour suivre son intime conviction. Les membres du SDC sont sympathiques et variés, même si on les trouvera étonnamment conciliants et mélancoliques pour des soldats d'élite. Enfin, on déplore quelques zones d'ombres persistantes sur les coulisses de la guerre et l'affaire du Drapeau, que l'on imputera au format de la série qui ne laisse peut-être pas sa place au background de s'exprimer pleinement. D'un autre côté, la série étant vue à la première personne par des journalistes, on peut concéder qu'ils (et donc nous) ne soient pas dans les confidences de tous les secrets.
Heureusement, la série n'est pas alourdie par une morale pacifiste ou antimilitariste trop envahissante. Après, déterminer quel est le propos exact de Flag est un exercice difficile auquel on ne se risquera pas. Pour ma part, j'en retiens d'abord un plaidoyer pour la photographie. Je n'ai pas attendu Flag pour aimer la photo, mais ce domaine est vraiment mis en valeur dans la série qui expose le potentiel du « huitième art » et certaines questions qu'il soulève. Mais on retient aussi une dépeinte à mon sens fidèle et élogieuse du métier de reporter de guerre, métier qui est mis sous les feux de la rampe actuellement avec l'affaire des journalistes retenus en otage sur les champs de bataille. En cela, Flag fait partie des très rares animes qui peuvent trouver un écho en dehors du Japon.
Je dirais même, et cela aura valeur de conclusion, que Flag est une œuvre réussie, mais un anime moyen. Sa direction artistique et son design quelconque, sa musique fade, sa mise en scène complexe le destinent à un public motivé, qui n'aura pas été attiré par son esthétique mais bien par son sujet. On peut aimer la japanime et ne pas aimer Flag, et réciproquement. Flag n'est pas un anime devant lequel on rigole ou l'on s'amuse, ce n'est pas le meilleur divertissement. De plus, les acteurs derrière cette production sont, avouons-le, de parfaits inconnus de la japanime moderne, ce qui joue en défaveur de cet anime auprès d'un certain public de débutants dont je fais partie.
Flag est désormais disponible dans un coffret contenant trois DVD, les deux premiers comprenant l'intégrale de la série et le troisième un film qui la résume en un peu plus d'une heure trente. Le packaging du coffret et des DVD n'est vraiment pas ce qui ce fait de mieux, et ce n'est pas l’absence totale de bonus intéressants qui justifieraient ses trente euros (par rapport à d’autres séries, j'entends). Si et seulement si, la géopolitique et les relations internationales sont des sujets qui vous intéressent, Flag peut représenter un investissement. Les autres en seront quittes pour une série bien foutue, tout simplement.
Les plus
- Une idée de mise en scène originale et exploitée jusqu'au bout
- Narration double, point de vues doubles
- Un sujet passionnant et bien traité
- Personnages vite attachants
Les moins
- l'emballage peu séduisant