Salut, ça va ?
Bon comme tu sais moi ma boutique c’est uniquement des animes de qualité, du coup y’a rien de récent, que du vintage parce que c’est ça qu’y est bon. Mais tu t’es déjà demandé c’est quoi le machin le plus vieux que j’ai dans mes stocks, le truc tellement ancien que ça ferait tomber malade les kévins, les noobs, les filles et autres vermines incapables de supporter quoi que soit qui date d’avant 2011 ? Regarde ça mon gars, Hakujaden, film de 1958, et premier long-métrage d’animation japonais en couleur (!!!). Ça c’est une pièce de collection mec, et c’est pas à vendre, je le garde dans mes tiroirs parce que ça a de la valeur. D’ailleurs tu touches pas toi, t’es sale, va te laver les mains.
Alors oui 1958 c’est méga ancien comme truc, mais à l’échelle de l’animation japonaise c’est pas si vieux que ça. En fait on peut trouver des traces d’animation au Japon au début du XXe siècle, mais c’était du travail artisanal fait par des nerds tout seuls dans leur garage, c’était pas vraiment regardable comme trucs. Vers les années 1930 certains de ces mecs se sont fait employer par le gouvernement japonais pour réaliser des publicités ou des courts-métrages éducatifs pour la jeunesse (autrement dit des films de propagande nationaliste) mais ça restait ultra confidentiel.
Les choses sont devenues sérieuses après la Seconde Guerre Mondiale. Le Japon il a perdu, les Américains y débarquent et y leurs montrent aux Japonais arriérés du cul qu’est-ce que c’est l’animation. Nan parce que aux USA l’animation ça existe depuis longtemps hein, les frères Fleischer, Walt Disney, Tex Avery, tout ça c’est très connu, même toi tu connais je parie. Les Japonais y voient ça y sont impressionnés, y se disent on aimerait bien faire la même chose. Sauf que bon avec des animateurs éparpillés un peu partout qui font leurs machins dans leur coin on va pas rivaliser avec Disney ça c’est sûr. Du coup ils ont l’idée de s’associer entre eux, plutôt que de faire chacun son petit anime de merde on va réaliser ensemble un gros film où on va se partager le travail. Cette manière d’associer des animateurs entre eux pour produire des œuvres de haute qualité va donner lieu à quelque chose de tout nouveau à l'époque, et qui existe encore aujourd’hui : on appelle ça un studio d'animation. Ouais je sais c’est des termes techniques, c'est compliqué à retenir, mais faut les connaître quoi.
Le premier de ces "studios" qui va émerger dans les années 1950 c’est Toei Dôga (qui deviendra par la suite Toei Animation, les mêmes qui font One Piece aujourd’hui), et leur première vraie grosse production c’est donc Hakujaden qui sort le 3 septembre 1958 au Japon soit un mois et un jour avant la promulgation officielle de la Constitution de la Ve République en France, tu te rends compte de ça un peu, c’est ouf quoi. Le film sortira deux ans plus tard aux États-Unis sous le titre Panda and the Magic Serpent, ce qui en fait au passage le premier anime japonais à connaître une sortie à l’étranger. En Europe par contre on est des gros cons donc on y aura pas droit, comme d’habitude, faut attendre que Papa USA soit servi et après tu peux avoir les restes si t’es sage.
L’histoire reprend la légende du Bai She Zuan (Le Serpent Blanc), dont la première version écrite date de la fin de la Dynastie Ming. C’est un conte traditionnel chinois extrêmement connu, tellement célèbre que j’en avais jamais entendu parler, faut dire que bon moi je voyage pas trop dans ces pays-là, le pays le plus lointain où j’ai voyagé c’est la Seine-et-Marne et déjà c’est trop exotique pour moi. Cela dit on peut déjà se poser une question, comment ça se fait que ces Japonais ils aient choisi un conte chinois, je veux dire, les légendes et le folklore c’est pas ce qui manque au Japon, la logique ce serait qu’ils montrent leur culture à eux d’abord puis la culture des autres après. Ben en fait il y a une explication d’ordre politique : on était juste après la guerre, et entre le Japon et la Chine ben les relations c’était pas super. Je veux pas dire hein, mais pendant la guerre il s’est passé des trucs pas très nets de ce côté-là. Du coup le directeur de Toei il a voulu que le premier grand film d’animation japonais serve à la réconciliation entre les peuples asiatiques. Quand tu penses à l’idéologie matérialiste dégueulasse qu’il y a dans les animes actuels et à leur public d’otakus dégénérés, tu te dis putain les mecs de l’époque ils avaient une vision historique ça n’a rien à voir quoi.
Donc on a ce gosse il s’appelle Xu Xian et il va au marché acheter un animal de compagnie, et il revient avec un serpent blanc. Lui il le trouve mignon son serpent mais ses darons y sont pas d’accord, déjà un chien ou un chat c’est difficile de s’en occuper mais un serpent c’est encore plus chaud, genre ça mange quoi un serpent, tu trouves pas des croquettes pour serpent à Leclerc, et puis si tu vas chez le véto ton serpent il va te dire je peux rien faire pour vous monsieur, tu vas te retrouver à regarder sur Internet comment t’occuper de ton serpent c’est chaud quoi. Du coup bah son serpent il va l’abandonner quelque part, genre désolé mais c’est pas possible. Quelque temps après il se passe des trucs surnaturels mais en gros l’idée c’est que le serpent blanc se transforme en une meuf appelée Bai Suzhen, et elle a des pouvoirs magiques très puissants. La meuf-serpent elle décide de le retrouver le Xu Xian, qui depuis est devenu joueur de flûte dans le métro, si tu vas sur la ligne 6 entre Corvisart et Raspail en journée tu peux le trouver parfois. Y se retrouvent, y tombent amoureux tout ça, mais l’amour entre un type normal et une meuf-serpent avec des pouvoirs ça marche pas bien. T’as ce moine bouddhiste là qui veut les séparer, parce que les humains y peuvent pas être avec des êtres surnaturels, ça marche que dans les doujins taggués monster girl ces trucs-là dans la vraie vie c’est pas possible. Est-ce que Xu Xian et Bai Suzhen parviendront quand même à vivre leur amour malgré les différences ?
Ce qu’il faut comprendre c’est que l’ambition de la Toei à l’époque c’était d’abord et avant tout de se mettre au niveau de Disney, parce que c’était eux les maîtres de l’animation à ce moment-là. Ça se voit avec le récit, qui est similaire au genre de trucs que Disney faisait ; un conte traditionnel, une histoire d’amour contrariée, des animaux mignons pour plaire aux gosses, etc. On a même des chansons au début, mais bizarrement elles disparaissent très vite. Globalement le récit marche encore assez bien, même si le script est loin d’être aussi efficace que celui d’un Disney classique. Beaucoup de scènes traînent en longueur ou ne servent pas à grand-chose, le film ne dure qu’une heure et quart et pourtant il semble être plus long. Il n’est toutefois jamais vraiment ennuyeux, bon faut avoir l’habitude des vieux trucs, mais dans le genre ça passe très bien d’autant plus que c’est pas des histoires ou des images qu’on a l’habitude de voir par chez nous.
Évidemment c’est au niveau technique que ça a tout son intérêt, c’est le premier grand long-métrage d’animation japonais, ça vaut son pesant de cacahuètes. Là aussi y’a très clairement une inspiration de Disney, du coup le film plus penser à un ersatz fauché d’animation américaine qu’à un anime japonais tel que l’on connaît maintenant. En vérité c’est parce que Hakujaden a été conçu avant que les studios ne développent la technique de l’animation limitée, qui deviendra leur marque de fabrique pour les décennies suivantes. Tu te souviens de la série télé Pokémon qui passait sur TF1 ? Tu te rappelles ces scènes où l’image est figée et t’as juste les bouches ou les yeux des personnages qui s’agitent pour faire croire qu’il se passe quelque chose ? Ben c’est ça l’animation limitée, c’est cette tactique de grosses feignasses qui permet à ces escrocs de Japonais d’économiser des moyens pour produire des dizaines d’épisodes d’animes par semaine et inonder le marché avec de la merde pas chère à produire.
Cela dit pour l’époque Hakujaden est très beau, surtout dans sa version remasterisée dont les screens illustrent ce texte, et certaines scènes bien spécifiques (le dragon en papier, le feu d’artifice…) seraient vraisemblablement impossibles à reproduire aujourd’hui, le savoir-faire des animateurs de l’époque ayant été perdu au profit du tout numérique. Lors de sa production Hakujaden avait mobilisé tous les animateurs existants au Japon, et on trouve au staff des noms qui deviendront très célèbres par la suite tels que Gisaburo Sugii (qui deviendra un des principaux collaborateurs de Tezuka et réalisera notamment le premier anime Dororo de 1969), Yasuo Ôtsuka (qui deviendra le mentor de Takahata et Miyazaki lorsqu’ils intègreront Toei quelques temps après) ou encore Rintaro qui a trouvé là son premier job d’intervalliste à l’âge de dix-sept ans (donc bien avant qu’il ne co-fonde le studio Madhouse et réalise la série télé Albator). Une belle brochette de talents en devenir, qui contraste avec d’autres parties du film telles que le doublage qui fut servi par un grand total de deux personnes, un homme et une femme pour interpréter tous les personnages. Du coup les acteurs surjouent complètement pour pas se faire griller, mais ça donne au film un côté lecture de conte pour enfants qui tombe involontairement juste.
Voilà donc pour Hakujaden, une vénérable pièce de musée qui n’a pas volé sa place au Panthéon de l’animation japonaise. On dit souvent que la découverte de l’Amérique en 1492 c’est le moment qui marque la fin du Moyen-Age et l’entrée dans l’époque moderne ; ben Hakujaden c’est ça aussi mais au niveau de l’animation japonaise, les mecs y vivaient dans l’obscurité puis ils ont découvert l’Amérique et y sont devenus modernes. C’est pour ça que tous les jours je bois du Coca-Cola™ et je mange des OGM de chez Monsanto™, je remercie les États-Unis pour tous les bienfaits qu’ils ont apporté au progrès du genre humain.