Il y a parfois des œuvres dont on peine à parler tant le silence serait sans doute bien plus éloquent que milles mots. Le Conte de la Princesse Kaguya est l'une d'entre elles. Pourtant, il y aurait beaucoup à dire à son sujet. Notamment sur les coulisses de sa création comme il est non pas question d'un film qu'Isao Takahata a voulu faire, mais d'un qu'il a pu faire. La nuance peut sembler anecdotique, mais elle révèle toutefois en quoi cette réalisation est unique pour le studio Ghibli, et risque de le rester pour encore longtemps.
C'est au milieu des années 2000 que le président de la Nippon Television exprime son souhait de revoir un film de Isao Takahata en lui accordant un budget illimité. D'abord hésitant, il décide finalement d'accepter sans avoir véritablement d'idée précise en tête. Plusieurs projets sont avortés jusqu'à ce qu'une adaptation du conte japonais Kaguya-hime fasse l'unanimité. Seulement, de l'aveu même de Hayao Miyazaki, le studio Ghibli n'est pas en mesure de créer un tel film. Sont alors crées deux annexes dont l'une servira à accueillir la main-d'œuvre externe au studio principal. Après plusieurs reports et une allonge budgétaire dépassant l'entendement, le film sort en 2013 et rafle la plupart des prix. Que vaut donc le projet le plus ambitieux du studio Ghibli, celui-là même qui a motivé Hayao Miyazaki a réaliser Le Vent se Lève ?
La première chose étonnante est qu'il s'agit de l'unique adaptation d'un conte japonais par Isao Takahata pour le studio Ghibli, voire tout simplement la seule par un réalisateur japonais. Amusant pour une histoire vieille de plusieurs siècles dont on dit que les enfants la connaissent avant même de savoir marcher. Les premières images apparaissent : nature - mouvements - personnages - sons ; puis une rapide constatation s'impose à nous. C'est beau, très beau, mais aussi très impressionnant. La conscience du travail nécessaire à créer un tel film apparaît pleinement, mais aussi l'évidente différence qu'il existe entre volonté et possibilité de créer quelque chose d'aussi saisissant. Chaque seconde est captivante, incroyable et à la fois si simpliste que l'on se demande comment tout cela a été rendu possible. Certaines scènes ont même l'ensorcelante capacité dont disposent les plus beaux paysages, comparable à la vision d'un enfant contemplant la mer pour la première fois et dont le regard ne semble pouvoir dévier de sa récente découverte.
Viennent ensuite les prémices de l'histoire. Certains enfants naissent dans des choux ou attachés à des cigognes, notre jeune héroïne voit le jour dans une tige de bambou. Son surnom est d'ailleurs "pouce de bambou", comme sa croissance est anormalement accélérée. La jeune fille se voit attribuer un nom, Kaguya. Puis change, rechange et redevient elle-même. Le monde évolue, avec elle et sans elle. Ainsi les évènements se suivent, se ressemblent parfois mais jamais ne s'avèrent inutiles.
La particularité qu'ont les contes est qu'ils racontent l'essentiel par la simplicité ; tout est dit et pourtant rien à la fois. Isao Takahata nous dévoile avec Le Conte de la Princesse Kaguya sa propre vision de l'œuvre, avec, dit-il, une sensibilité plus moderne.
Ce que j'avais l'esprit en créant ce film était que des personnes se demandent en le voyant, "Était-ce donc cela qui se cachait derrière l'histoire de la princesse Kaguya ?"
Seulement, cette adaptation ne s'adresse évidemment pas qu'aux Japonais, mais à qui veut bien s'en rendre témoin. D'une certaine manière, le conte n'est qu'un prétexte au questionnement. Le film réussit ainsi le tour de force de conserver l'intérêt et la profondeur d'une histoire pourtant vieille comme le monde (ou presque) ; tout en la modernisant sans aucunement la dénaturer. Les questionnements sont légion et les réponses rarement évidentes, mais n'est-ce pas finalement là tout l'intérêt ?
Les personnages quant à eux sont hauts en couleur, pour le meilleur et le pire. Ne sont pas parfaits mais pas imparfaits non plus, seulement humains. Chaque chose a son importance bien que son impact ne paraisse pas toujours aussi rapidement et distinctement qu'on le souhaiterait.
Ainsi, Le Conte de la Princesse Kaguya prend forme petit à petit jusqu'à ce que sa finalité vienne l'écraser de tout son poids. Ou plutôt, comme ce serait plus précis de dire, elle jaillit de nulle part avec pourtant tant de justesse qu'elle en devient déroutante. Peut-être trop pour certains, peut-être pas. Elle a néanmoins le mérite d'envelopper l'ensemble d'une manière si précise qu'en imaginer une autre relève de l'impossible.
Le Conte de la Princesse Kaguya n'est pas seulement une réussite, mais un enseignement pour l'avenir.