LA QUALITÉ DU PRODUIT DÉPEND DE LA QUALITÉ DU PRODUIT

» Critique de l'anime Chainsaw Man par jinrho78 le
02 Janvier 2023
Chainsaw Man - Screenshot #1

- "Coucou ! moi c'est Tatsuki Fujimoto dit la coqueluche !
Formé pour être artiste, les prix s'enchaînent, à peine 30 ans et une page wiki plus remplie que la moitié des auteurs de mangas actuels.
Mon talent m'offre même le luxe de sortir des one-shots entre deux longs court, pas de pression, je n'ai que 30 ans.
J'annonce donc Chainsawman, mon œuvre la plus longue jusqu'à maintenant et dont j'ai attaqué la deuxième partie à l'heure où j'écris ces lignes. Je ne reviendrais pas plus que ça sur ma carrière, les fans s'en chargeront."

Votre serviteur par contre s'est pour le moment contenté de l'adaptation proposée, qui en ce qui me concerne, fait plus que marquer le coup dans le game des adaptations.

Dans un monde semblable au nôtre, se trouve Denji, jeune chien errant qui survit comme il peut de boulots divers et variés, parfois il prend aussi son chien tronçonneuse incroyablement cute et découpe des démons.
Pardon, p'tet que je suis allé trop vite... elle est là la nuance, entre le monde de Denji et celui de la CO-VID 19, nuance de taille j'en conviens et je ne ferais l'échange pour rien au monde.
Il y a donc des démons qui trucident des hommes, en retour d'autres hommes trucident les démons, les Devil Hunters.
Spoiler alert, le type en chemise et cravate avec une gueule de tronçonneuse sur la couv' ensanglantée c'est Denji.
Ummm. Je vais donc m'arrêter là pour le pitch, le teasing est gratuit et d'tte façon, vu la gueule du projet je peux bien me permettre de rompre avec l'académisme.

Chainsaw Man - Screenshot #2Si vous trouvez que je ne me prends pas la tête, attendez de voir Denji dont les seules motivations sont de bouffer, avoir un toit où crécher et plus si affinités.
Pour commencer si on veut comprendre Denji, il faut saisir d'où il vient, y'en a eu des héros de Shonen qu'ont pris cher dans leur enfance, mais Denji mérite la palme, il vient d'une misère si profonde qu'elle ne lui a offert aucune autre perspective.
Ensuite, Denji s'est fait tout seul. Mais il va se sentir moins seul lorsqu'il va rencontrer Makima la Devil Hunter. Makima est une femme attrayante, Makima est un refuge, Makima a des airs de figure maternelle car la poitrine d'une femme avant d'être une obsession sexuelle, possède une fonction primordiale mais je vais pas commencer à m'exciter maintenant.
Bref, ce qu'il faut comprendre, c'est que Denji n'a pas hérité de posture morale et de fait, n'a pas d'idéaux qui pourraient lui inspirer un objectif comme de devenir Hokage ni même un père aventurier à chercher.
On touche là au premier point central de Chainsawman.

Le second, c'est l'érotisme. C'est d'ailleurs assez drôle de voir que la motivation de Denji réside dans quelque chose d'aussi trivial que les boobs sachant qu'on ne peut trouver meilleure carotte pour les spectateurs adolescents que la promesse de la bête à deux dos. (et soyons honnêtes également pour ceux qui ne sont plus des adolescents.)
J'veux dire, allez voir un puceau de l'âge de Denji et demandez-lui ses objectifs à court terme sans faire crari, il y a de fortes chances qu'il réponde qu'avant de devenir pompier ou de ralentir la fonte des glaces, il aimerait palper le "grand mystère" de ses propres mains.
Parce qu'on ne peut pas faire plus terre-à-terre que le sexe comme objectif.
Paradoxalement, c'est une réalité si largement évitée dans les anime que ça en devient presque choquant. À la place, on a plutôt droit à des chimères pour satisfaire les fantasmes de mec en chien, la Japanim' a de l'expertise.
Mais Chainsawman a une approche plus saine : Celle du désir. Et il en parle, par contraste avec la désinvolture de Denji et la violence de son univers, avec tendresse. Très loin donc du concept de pornographie.

Chainsaw Man - Screenshot #3Troisième point et non des moindres, la place de Chainsawman en tant que Shonen. Comment ne pas penser à Jujutsu Kaisen déjà, dans sa représentation du gamin qui reste égal à lui-même alors qu'il voit son quotidien partir en sucette du jour au lendemain.
Mais aussi dans l'absence de mise en relief : "Ok, parfois, tu vas pour choper le métro puis là... Les immeubles s'écroulent, plein de gens meurent. Rien de nouveau sous le soleil, c'était une bagarre entre démons et Devil Hunters quoi ... Sinon ma mère a fait des lasagnes si ça te dit".
Je n'ai personnellement aucun problème avec cette impunité, il y a déjà suffisamment d'oeuvres qui s'accrochent au "pourquoi du comment" avec background, flashback et expositions à gogo, et j'dis pas, ça a aussi son utilité. Mais en l'occurrence, c'est un frein à l'expérience de Chainsawman qui bâtit sa temporalité comme une succession d'instants T, permettant ce déferlement qui ne donne d'autres choix que de prendre la vague ou d'aller bouder.

Perso' ça me rappelle une oeuvre qui met en scène pleins de types chelous, fringués cheloument, qui font des poses chelous et se battent avec des pouvoirs encore plus chelous si cela était possible.
Mais si je devais faire le pont entre cette oeuvre atypique , Chainsawman et Jujutsu Kaisen invoqué plus haut, ce seraient les degrés de moralité.
On peut avoir tendance à oublier qu'à l'origine le Shonen s'est construit sur l'idée d'influencer la jeunesse avec les valeurs morales japonaises de l'époque très spécifiques au climat de l'après-guerre et dont les restes sont encore identifiables aujourd'hui.
Les valeurs ont logiquement muté en même temps que l'industrie et les générations d'auteurs qui se sont succédé jusqu'à arriver à Fujimoto, ou plutôt à Denji qui tranche des trucs pour faire touche-pipi.
Dit comme ça, ça a la gueule et le goût de l'affront, mais ça montre en fait que Fujimoto est un jeune auteur de la Modernité raisonnant avec son époque.

Chainsaw Man - Screenshot #4Déjà parce qu'à travers la figure du mal face à laquelle les Devil Hunters semblent débordés malgré leur force apparente et qui rappelle celle de Kimetsu no Yaiba, Fujimoto nous dit ici tout haut sa définition des "héros" : des soldats qui vont au front pour sauver l'humanité d'une menace monstrueuse, pas forcément pour les raisons qu'on croit, mais surtout, avec toutes les chances d'y rester. Ni plus, ni moins.
C'est fondamentalement tragique comme cadre, mais la Japanim a su nous le faire oublier en enjolivant voire en glorifiant ce type de récit.
D'ailleurs Chainsawman, c'est aussi l'histoire de ceux qui se racontent des salades pour tenir.
Le râle sombre et désabusé n'est pas celui de l'indifférence apparente qu'affichent les personnages bien au contraire, il est le moteur de leur survie, le cri silencieux de leur cœur.
Une bande de connards qui affrontent la fin du monde... Chaque jour. En plein jour. Dans l'indifférence générale.
Si je lâchais la bride, je parlerais du sacerdoce des salaryman et même d'aliénation.
D'ailleurs, ce n'est pas pour rien que les Devil Hunters se baladent en costume comme les hommes en-sursis de Psycho-pass et qu'on parle si souvent de contrat, le costume est corporate par essence.
Tarantino l'avait bien compris en faisant endosser à ses tueurs l'attribut du fonctionnaire pour dire que tuer est un travail comme un autre. Un travail à temps plein.
Il y a également un écho au marché de l'emploi, les Devil Hunters qui bossent dans le privé ont la belle vie et ceux qui bossent dans la sécurité publique se bouffe la merde que le privé esquive.
Ce qui entraîne la question des choix de carrière et des priorités dans la vie, le salaire est-il à la hauteur des risques ? Les soignants quittant l'hôpital public à titre d'image personnelle.
Où encore, un monde qui vit dans la peur du terrorisme. Le "monde extérieur" semble être au courant de ce qu'il se passe à priori, même s'il est finalement peu représenté dans l'anime comme si la société était devenue elle aussi, passive et indifférente à la violence qui l'entoure...
Finalement, Chainsawman n'arrête pas de mettre la société en exergue avec l'individualisme de ses personnages.
Comme si ces derniers coexistaient à peine, chacun dans leur propre plan, leur vulnérabilité n'en devient que plus évidente.
Cette réflexion sur l'humanité se retrouve d'ailleurs à travers l'insensibilité de Denji, qui n'est pas gratuite, car elle est au coeur de l'intrigue.

Chainsaw Man - Screenshot #5C'est cet ensemble de corrélations qui donne le ton de l'anime, y compris son humour si particulier, comique de situation caustique et improbable proche d'OPM voire de Dorohedoro .
"Tuer les méchants pour palper", si prosaïque que ça en devient génial. Autant qu'un type en costume ridicule tuant n'importe qui d'un coup-de-poing. Où un type à tête de lézard qui cherche son visage.
Je cite néanmoins, l'exemple de représentations détachées comme une vaste blague alors que Chainsawman, à l'image de son érotisme, est tendre et concerné derrière ses litres de sang. Car Denji qui n'est jamais qu'un gosse si embourbé dans la violence qu'il n'arrive plus à voir plus loin que le bout de son nez.

Mais je ne peux décemment pas conclure sans m'arrêter sur la case animation. Si l'on se fie aux récents succès tels que Kimetsu no Yaiba, Jujutsu Kaisen où encore Boku no Hero, la baston aérodynamique n'a pas manqué de pur-sang volontaires.
Chainsawman qui sort des écuries MAPPA n'est pas en reste, mais contrairement à d'autres, ce n'est pas là que réside la force de l'étalon, à mon sens. C'est dans son aspect cinématographique.
On compare souvent le cinéma et l'animation, à tort ou à raison, normal ; après tout, ils sont cousins de l'image en mouvement.
Pour autant, la grande différence entre les deux est que leur production n'est pas soumise aux mêmes exigences.
À titre d'exemple : Shingo Natsume et Yuasa, dans leur anim', consacrent ostensiblement le trait comme outil de représentation graphique libre des contraintes du réalisme.
Dans Chainsawman, c'est l'inverse, l'adaptation s'efforce de reproduire le mimétisme du cinéma dans sa capture du mouvement. Ce qui est particulièrement visible dans son recours un peu trop zélé à la CGI, qui donne un tempo inhabituel pour un anime, presque décalé mais ne contredit pas forcement l'intention pour autant.
Car Chainsawman n'hésite pas à marquer volontairement des temps d'arrêt comme les ''silences'' du cinéma. Alors que la plupart des anime, par essence, s'efforcent de suivre un certain rythme afin de garder le spectateur immergé dans l'illusion du mouvement ; Chainsawman s'offre à la lenteur comme s'il pesait chacune de ses images et était désireux de laisser le spectateur s'épancher sur les détails, d'imprimer chaque instant dans sa tête. La bande-son du talentueux Kensuke Ushio - Ping Pong, Devilman Crybaby, Boogie Pop and others, Liz and the Blue Bird - a également une part importante dans le procédé, sans gêner ni perturber, elle est avec ses sonorités peu conventionnelles, vecteur de l'émotion.

Chainsaw Man - Screenshot #6Mais pour en revenir à l'animation, ce qu'elle aime souvent emprunter au cinéma, c'est la picturalité de ses plans.
Ici, l'adaptation reprend comme rarement l'esthétique du cinéma d'abord dans sa construction de l'image; mais aussi, dans sa représentation de l'espace, en alternant la multiplicité d'angles de prise de vue comme autant de caméras placées en des endroits incongrus.
D'ailleurs, l'anime en tire son parti, jusqu'à se faire chier à réécrire de A à Z, des séquences entières pourtant déjà présentées dans un autre épisode. Cela produit un effet miroir avec une action commune pour deux points de vue distincts; livrant dans le montage suivant, les clefs de compréhension qui auraient pu manquer dans le montage initial, permettant ainsi une appréciation différente de la séquence dans son ensemble à posteriori.
Un outil narratif redoutablement efficace, à n'en pas douter.
En fait cet anime est juste beaucoup trop léché pour une série.
D'habitude ce genre de précision est réservée à la production des films d'animation de haute volée. C'est dire à quel point l'adaptation de Chainsawman était attendue et la pression sur les épaules du réalisateur débutant Nakayama et sa team.

Finalement, il y a pleins de points de comparaison qui se tiennent dans les inspirations de Chainsawman que ce soit dans sur le plan esthétique où narratif, mais au lieu de chercher à rallier un modèle précis, il est plus intéressant de voir comment les influences communes en viennent à se compléter et à bâtir de nouveaux archétypes.
C'est assez visible dans les motivations de Denji, sorte de foutage de gueule envers les standards en vigueur et qui pourtant, représentent peut être le mieux notre époque dans ce qu'elle a de plus concret.
Pour ma part, j'ai senti durant le visionnage, que Chainsawman etait parvenu à concrétiser plusieurs années d'intense modulation dans le Shonen.
Car l'on voit bien à travers l'anime, que l'objectif, le but ultime, est accessoire; c'est le voyage qui importe et ça n'a rien d'une image, on suit Denji and co sans savoir de quoi demain sera fait et l'adaptation entend nous faire savourer chaque miette.
D'ailleurs ce qui dénote dans cet anime, de la représentation du vécu difficile de Denji, jusque dans celle du désir en passant par la mise en scène cinématographique et qui donne tout son sens à l'humour, c'est bien cette intonation froide et détachée et [i]qui rappelle Cyberpunk Edgerunner dans son habilité à restituer les contradictions des personnages face aux règles d'un monde absurde.

Cette adaptation de Chainsawman a donc une approche qui lui appartient et qui lui permet d'inscrire des moments forts, une imagerie mémorable; en opposition au flux constant des millions d'images que la Japanim' produit, et même au-delà.
Pour ma part, même si c'est clairement le genre de trucs que je voudrais ressentir plus souvent, j'ai apprécié le visionnage comme de revoir la mer en de trop rares occasions. Il me tarde déjà d'y retourner.

Verdict :9/10
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A propos de l'auteur

jinrho78, inscrit depuis le 13/04/2014.
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