L’Odyssée de Kino n’est pas n’importe quelle série. Avec une moyenne de 9,1 pour 14 critiques, elle se situe dans le top des animes préférés de la communauté d’Anime-Kun depuis la création du site. Les raisons de ce succès sont multiples, et le fait que la série en question soit de grande qualité y a sans aucun doute contribué. Il faut aussi dire que lorsque cet anime est arrivé en France au milieu des années 2000, nous étions alors en pleine mode des Naruto, Bleach, One Piece et compagnie. Pour ce public Kino a été un choc, la découverte qu’il était possible de raconter autre chose en animation japonaise.
Au Japon également, Kino no Tabi est une série qui a marqué son temps. Il s’agit au départ d’un light novel de Keiichi Sisgawa, publié à partir de 2000 et toujours en cours. Aujourd’hui les light novels sont perçus à juste titre comme le genre d’écriture le plus vulgaire et inutile, une déchetterie littéraire où s’amoncellent les auteurs ratés et les fanfictions du plus mauvais goût. Mais à l’époque les LN étaient perçus comme une terre promise où les jeunes auteurs allaient s’exprimer et défricher de nouveaux horizons. Et Kino no Tabi a été un des pionniers de ce mouvement ; avec plus de huit millions d’exemplaires vendus, de multiples prix et tout un tas d’adaptations, Kino fut un énorme succès que la version anime a fait découvrir au monde entier.
Presque quinze ans après la première adaptation en anime, l’éditeur du light novel a lancé un sondage auprès des lecteurs japonais pour leur demander quelles seraient les histoires de Kino qu’ils aimeraient voir à l’écran dans une nouvelle série. Il faut dire qu’entre-temps le récit s’est considérablement enrichi et que le matériel pour une nouvelle série est abondant. C’est à partir des résultats de ce sondage que cette nouvelle série fut lancée, le projet ayant échoué au studio Lerche connu pour ses travaux riches de qualité artistique. L’auteur du LN original, Keiichi Sisgawa, a d’ailleurs lui-même qualifié cette nouvelle série de « version alternative » plutôt que de suite, et vous allez voir cela a son importance.
Kino est une jeune fille au physique androgyne qui parcourt le monde au volant d’une moto qui parle, Hermès. Ses deux seuls compagnons de voyages sont un revolver et un pistolet semi-automatique dont elle se sert pour se protéger des menaces qui se dressent sur sa route. Chaque pays que Kino traverse est différent, avec ses propres coutumes et ses propres lois. Kino elle-même a une règle, ne jamais rester plus de trois jours dans un même pays, afin de toujours être prête à partir pour poursuivre son voyage.
Le récit de Kino tombe dans la catégorie de ce que l’on appellerait communément la fable : des histoires qui ne prétendent en rien au réalisme mais servent à délivrer une morale ou une réflexion. Chaque histoire de Kino nous met en face d’un aspect particulier du genre humain, souvent un côté malsain ou paradoxal, qui défie notre sens moral et invite à s’interroger, sans toutefois prendre parti. Il n’y a pas de continuité ou d’intrigue, les histoires peuvent être racontées dans n’importe quel ordre ce qui laisse une grande liberté à la série pour raconter tout ce qu’elle veut et aborder tout un tas de sujets sociaux, politiques, religieux, philosophiques, avec pour seul liant cette idée que c’est dans ses défauts que l’humanité trouve sa beauté et son intérêt.
Les histoires racontées dans cette nouvelle série sont pour l’essentiel inédites en anime mais le style d’écriture est exactement le même. On retrouve Kino confrontée à des modèles de société étranges, des technologies bizarres et des personnalités excentriques. Ainsi, puisque c’est la même chose, il serait logique de juger la série de la même manière. Mon moi-même d’il y a huit ans avait mis 9/10 à L’Odyssée de Kino, la cohérence m’obligerait donc à prononcer le même verdict. Sauf que ce n’est pas aussi simple que ça.
La série de 2003 fut réalisée à l’époque par un monsieur nommé Ryutaro Nakamura, qui a débuté sa carrière dans les années 80 comme animateur avant de grimper les échelons pour devenir réalisateur. Il fut notamment connu pour L’Odyssée de Kino en 2003 et Ghost Hound en 2007, mais c’est surtout Serial Experiments Lain en 1998 qui le fait connaître au monde entier. Tout ça pour dire que Nakamura était un réalisateur expérimenté, dont l’œuvre et certes peu nombreuse mais a marqué l’histoire de l’animation par son style et ses choix artistiques. Malheureusement, Ryutaro Nakamura est décédé en 2013 d’un cancer du pancréas. Il n’a donc pas pu reprendre son poste de réalisateur pour la nouvelle adaptation de Kino, qui fut confiée à Tomohisa Taguchi, un gamin qui n’a pratiquement rien fait avant. Et mine de rien, ça change beaucoup de choses.
L’esthétique de la série est ainsi complétement différente. Le design simpliste et presque enfantin de l’époque a laissé place à quelque chose de plus détaillé mais moins stylisé. Les ambiances mornes et grisâtres ont laissé place à des décors lumineux et des couleurs pétantes. En termes d’atmosphère, cela n’a plus rien à voir ; le monde de Kino paraissait sinistre et inhospitalier en 2003, il a l’air accueillant voir sympathique en 2017. Mais surtout, c’est la mise en scène qui détonne. La première série avait une manière de raconter les histoires qui laissait souvent le dernier mot au spectateur. Les différentes intrigues ne trouvaient pas toujours de résolution définitive, laissant le spectateur sur plus de questions que de réponses. Cette nouvelle série propose une démarche complètement inverse ; le récit donne toujours systématiquement la réponse à toutes les questions, et ne laisse aucun élément en suspens. Cela rend l’anime assez vain, car la première chose que l’on vous apprend en philo c’est que les questions valent plus que les réponses ; il n’y a rien de plus ennuyeux et étriqué que la vérité, ce qui est intéressant c’est de réfléchir. Or Kino version 2017 ne fait pas réfléchir et à deux ou trois épisodes près, on termine les épisodes sans vraiment en ressortir quoi que ce soit.
Et puis, cela relève plus de mon goût personnel, j’ai trouvé ces nouvelles histoires assez niaises dans le fond. Les personnages que la série essaie d’installer en plus de Kino ne servent à rien et ne proposent pas de regard particulier sur le monde. Contrairement à la première série, aucun épisode ne m’a laissé sur un quelconque mal-être ou une interrogation sur le sens de la vie. Peut-être que cela est lié au fait que les épisodes ont été choisis selon un sondage auprès des fans, qui ont voulu voir les histoires les plus populaires, celles avec le plus d’action ou d’humour, plutôt que d’autres qui auraient été plus intéressantes à adapter.
Vous comprenez maintenant pourquoi Keiichi Sisgawa a insisté pour que l’on qualifie cette nouvelle série de version alternative plutôt que de suite. Lui-même avait compris que sans le talent de Nakamura à la réalisation, le résultat serait drastiquement différent au point de modifier la nature même de la série. Kino 2003 était une série austère, aux accents mystiques et à la réalisation tortueuse qui invitait le spectateur à se poser des questions. Kino 2017 est un anime feel-good, une série qui se consomme sans difficulté et qui ne cherche pas à provoquer autre chose que du divertissement. Cela ne veut pas toutefois dire que c’est nécessairement moins bien, mais vu le peu d’émoi suscité par cette nouvelle série par rapport à l’aura de la première, on peut dire sans trop s’avancer que les attentes du public de Kino n’ont pas été remplies.
Sur le net on a pu dire que l’échec de ce nouveau Kino viendrait du fait que la formule a mal vieilli, et que Kino ça n’était pas si génial que ça finalement. Je ne suis pas d’accord avec cette opinion. Allez (re)voir la série de 2003 et vous constaterez qu’elle dispose toujours d’un puissance évocatrice incroyable par rapport à ses moyens techniques limités, et que son récit est toujours pertinent. Ce que nous n’avions pas compris, c’est à quel point sa qualité tenait autant au récit qu’elle racontait qu’à sa réalisation et ses choix artistiques. En cela, même si je n’ai pas aimé la nouvelle série, je lui suis reconnaissante de m’avoir ouvert les yeux sur quelque chose que je tenais pour acquis depuis mon arrivée sur Anime-Kun. Tout comme l’odyssée de Kino, la critique d’anime est un voyage perpétuel, une découverte sans fin.