Pour beaucoup d’entre nous, le premier contact avec l’animation japonaise s’est fait par les animes-jouets, ces séries pour enfants apparues à partir de la fin des années 90 et conçues pour promouvoir des franchises de jeux vidéo et de produits dérivés. Pokémon en est le plus célèbre exemple, suivi de Yu-Gi-Oh, puis Beyblade, puis Digimon, puis Duel Masters, puis Dragon Drive, puis Bakugan, puis Cardfight Vanguard, et ainsi de suite.
Ces séries répondent toutes au même cahier des charges ; créer de la narration autour d’un jeu qui par lui-même n’en contient pas ou peu, attirer du public vers une marque, et si possible le faire le plus longtemps possible pour fidéliser le client. On est dans ce que la japanime a de plus mercantile, la frontière entre art et produit s’estompe, il ne s’agit plus de raconter une histoire mais d’installer des habitudes consuméristes dans l’esprit des enfants, avec la complicité des chaînes de télévision qui diffusaient ces séries à longueur de journée seulement entrecoupées de coupures publicitaires. Bien sûr que nous aussi nous aurions préféré découvrir l’animation japonaise avec Cowboy Bebop et Princesse Mononoke, nous aussi on aurait aimé prendre les gens de haut parce qu’ils regardaient les aventures de Sacha et Pikachu, mais nous avons commis l’erreur de naître au mauvais moment.
Medarot (connu chez nous sous le titre Medabots) est une de ces franchises cross-média apparues très tôt lors de la mouvance des animes-jouets. Il s’agit au départ d’un jeu vidéo créé par l’éditeur japonais Imagineer et produit par le développeur Natsume, sorti en 1997 sur Game Boy en deux versions exactement comme Pokémon deux ans plus tôt. Des mangas, des maquettes et des produits divers furent évidemment commercialisés, mais pas grand-chose n’est parvenu jusqu’à nous. Les jeux Medarot sortent encore de nos jours, mais en vingt ans seuls trois jeux sont sortis hors du Japon et dans une indifférence assez générale ; tout le monde n’a pas la puissance marketing de Nintendo pour imposer ses marques dans le monde entier. Le produit Medarot le plus connu et de loin est la série animée de 1999, qui a été diffusée chez nous sur France 3 entre autres. C’est de cela dont on va parler ici, sachant que je vais m’intéresser uniquement à la version originale japonaise ; j’ai beau avoir grandi avec les versions françaises de Pokémon et Yu-Gi-Oh, j’ai assez vite appris à m’éloigner de ces "adaptations" de l’époque qui censuraient, réécrivaient et manipulaient les œuvres originales selon le bon vouloir des distributeurs occidentaux qui n’y comprenaient rien.
Depuis de nombreuses années le monde entier tourne autour des Medarots, des sortes de robots de compagnie autonome dont on peut modifier les parties pour améliorer leurs capacités. Cela donne lieu à un sport très populaire, le Robattle, qui consiste à faire s’affronter des Medarot dans des combats spectaculaires. Pas de panique cependant, l’IA du Medarot est contenue dans une Médaille qui peut facilement être transférée d’un robot à l’autre. On peut donc joyeusement envoyer les Medarot s’entre-détruire sans risquer de perdre son amitié !
Ikki Tenryô est un garçon de primaire passionné de Robattle, mais qui ne possède pas son propre Medarot. Un jour il trouve par hasard une Médaille, qu’il décide d’insérer dans le corps d’un vieux modèle de Medarot qu’on lui prête. C’est ainsi que démarre l’aventure de Ikki et son compagnon, Metabee…
Ce qui est crucial de comprendre avec Medarot, c’est que l’anime a été réalisé par un certain Tensai Okamura, dont le nom ressort régulièrement dans les années 90. Okamura débute comme animateur chez Madhouse où il bosse sur plusieurs OAVs de Kawajiri, puis il collabore sur quelques films plus ou moins connus tels que Ghost in the Shell, Mon Voisin Totoro on encore Jin-Roh. Après un passage chez Gainax pour produire les storyboards d’une petite série méconnue (Neon Genesis Evangelion) il se fixe chez Bones où il devient réalisateur à plein temps en produisant quelques séries telles que Wolf’s Rain et ensuite Darker Than Black. Je dois dire que c'est pas le CV le plus dégueulasse que j'ai jamais vu.
C’est au milieu de cette riche carrière que Tensai Okamura réalisera les 52 épisodes de Medarot, au sein du studio Bee Train qui à l’époque venait tout juste de se scinder de Production IG. Faut bien se rendre compte du truc, une série d’anime-jouet pour gosses réalisée par un mec qui vient de Madhouse et qui a fait des storyboards pour Evangelion quoi. Rien que cela devrait susciter l’intérêt, et une fois la série vue on constate que l’intérêt est complètement justifié.
S’il fallait résumer Medarot en un mot, c’est l’intensité. Cela a beau être une série publicitaire pour un franchise de jouets, tout ce que la série fait elle le fait en poussant les curseurs au maximum. Ce n’est pas juste une série marrante, c’est une série hilarante. La mise en scène n’est pas simplement dynamique, c’est hystérique. Tout en se conformant à son statut de série pour gosses compatible avec la diffusion le mercredi après-midi sur la télévision publique, l’anime ne cesse de pousser gentiment sur les bords pour explorer son esthétique.
Cela débute avec son univers insensé dans lequel des enfants de neuf ans vont au Franprix acheter des robots autonomes qui ont des mitrailleuses automatiques attachées aux bras et qui peuvent tirer des missiles ou des lasers, pour aller ensuite essayer leur arsenal dans le jardin à côté de l’école. Ou alors cette étrange disparité technologique dans laquelle les gosses peuvent téléporter leurs Medarot à tout moment sur simple pression sur leur montre connectée, mais ils utilisent encore des téléphones à clapet et regardent la télévision sur un écran à tubes cathodiques. C’est une science-fiction sélective, où le progrès technologique ne profite qu’à la société de jouets et ses produits et laisse le reste du monde végéter dans sa fin de vingtième siècle.
En même temps, cet univers s’ancre dans une réalité bien concrète, ce qui explique sans doute pourquoi la franchise a eu du mal à percer au-delà du Japon. Lorsque l’on regarde l’univers de Pokémon, on y voit un monde idyllique où tout le monde ne vit que pour et par les Pokémon, les humains vivent en harmonie avec la nature et les différences culturelles et sociales n’existent pas ; un genre de paradis woke pour écolo-féministes. A l’inverse le monde de Medarot c’est clairement le Japon des années 90, le Japon de la bulle économique et des classes moyennes supérieures. Le design des Medarots répond aux sensibilités japonaises, Metabee par exemple est basé sur le scarabée-rhinocéros Kabutomushi, insecte répandu au Japon mais qui n'existe pas de ce côté de la planète. A un moment dans la série il y a un épisode entièrement consacré à la préparation des takoyaki, un plat que personne ne connaît ici en France en dehors des plus gros weebs. Il y a quelques mois j’ai accompagné une certaine personne du forum d'Anime-Kun dans un restaurant parisien spécialisé dans la cuisine du Kansai, on a commandé des takoyaki et elle m’a dit qu’elle n’en avait jamais goûté et qu’elle ne savait même pas ce dont il s’agissait. Preuve que même avec dix ans d’expérience sur un site spécialisé en japanime on peut ignorer les bases la culture nippone, alors je n’imagine pas les gamins qui regardaient France 3 à l’époque, ils devaient rien comprendre au truc ou alors c’était fortement "adapté" pour passer à l’écran.
L’intrigue en elle-même suit les rails de ce genre de série, le héros qui débute avec ses Robattle de quartier, puis se bat contre les meilleurs du pays, avant un ultime tournoi contre des adversaires venus du monde entier. La grande différence avec d’autres séries de ce type c’est que héros n’a pas forcément envie d’être un jour le meilleur dresseur qui se battra sans répit. Ikki est un gosse ordinaire qui vit tranquillement avec sa maman et son papa, les circonstances vont faire que le monde entier (voire au-delà) va venir lui chercher la merde et qu’il va être entraîné dans ce bordel. Pareil pour Metabee, c’est loin d’être une simple mascotte, il passe son temps à trash-talk tout le monde et à se comporter comme un sale gamin. L’ensemble de la série baigne dans le burlesque, absolument rien n’a vocation à être pris au sérieux, mais les émotions qui animent les personnages sont sincères et on a envie de les voir triompher. Même lorsque le récit s’engage vers quelque chose d’un peu plus écrit et élaboré dans la deuxième moitié, cela reste marrant jusqu’à un final bien WTF comme on aime. Sur les cinquante-deux épisodes je ne me suis jamais ennuyé, alors que je suis sûr que si tu regardes les premières saisons de Beyblade aujourd’hui tu t’endors devant quoi. Mention spéciale à Mr. Uruchi, c’est exactement le même gag pendant toute la série j’ai rigolé à chaque fois.
La direction artistique de l’anime est intéressante, notamment le chara-design cartoonesque très simplifié, qui détonne avec les codes esthétiques de la fin des années 90 qui au contraire mettaient en avant des designs recherchés dans le but de les rendre attractifs en termes de produits dérivés et de marketing. Ce point en particulier a beaucoup gêné les spectateurs français de l’époque, qui y voyaient quelque chose de bâclé, alors que c’est tout le contraire. Okamura a choisi un design simple afin de privilégier le mouvement, l’animation, qui constitue le cœur de sa mise en scène. L’influence de Gainax suinte de partout, et se fait littérale dans l’épisode 14 qui a été réalisé par Hiroyuki Imaishi, futur homme fort du studio susnommé, et dont le style est immédiatement reconnaissable. Le design des Medarots eux-mêmes est inégal, les principaux robots sont superbes avec cet aspect à la fois mignon et badass qui caractérise le creature-design japonais de l’époque, tandis que les robots "secondaires" sont moins attirants. Un élément majeur de la franchise est la possibilité pour les Medarots de changer des parties de leur corps en achetant des pièces détachées ou en les remportant sur l’adversaire ; c’est une mécanique de jeu qui a l’air sympa mais qui n’est quasiment pas exploitée dans la série, un peu comme Sacha qui ne fait pas évoluer ses Pokémons.
Si Medarot parvient à être encore aujourd’hui une série parfaitement valable là où beaucoup d’autres anime-jouets sont inregardables passé l’âge de douze ans, c’est que Okamura s’est emparé de ce matériel pour en faire une véritable série comique, et y a apposé une patte artistique et une mise en scène relevée qui impose son rythme au spectateur. Drôle, prenante et stylisée, cette série oubliée mérite amplement de figurer parmi les pièces de choix de l’Âge d’Or de l’animation japonaise.