Nous les garçons, nous avons tous nos petits fantasmes. Certains préfèrent les filles avec une couleur de cheveux spécifique, d'autres appréicent les mises en situations un peu particulières. D'autres enfin ont des fétiches beaucoup plus exotiques. Ainsi, certains hommes trouvent leur plaisir dans la contemplation de robots géants de dix-huit mètres de haut qui se tapent dessus avec des sabres lasers multicolores. Ces gens-là, les méchaphiles, forment une communauté silencieuse qui erre dans la sphère des fans d'animes à la recherche de titres susceptibles d'assouvir leurs déviances. Voici leur dernière trouvaille...
Mobile Suit Gundam Thunderbolt est au départ un manga de Yasuo Otagaki, un auteur qui fait autorité dans le milieu des méchaphiles. Son précédent manga Front Mission Dog Life & Dog Style s’était notamment fait remarquer pour son ton adulte et crasseux, et le voir travailler sur la licence Gundam avait de quoi faire gonfler le slip des amateurs, surtout dans l’éventualité d’une adaptation animée.
Concernant l’histoire, je pourrais faire tout un paragraphe sur la place qu’occupe Thunderbolt dans la saga Gundam mais je sais très bien que vous vous en foutez complètement. De toute façon ça n’a pas d’importance, le contexte choisi (le début de l’Universal Century) ne sert que d’excuse pour expliquer que deux factions ennemies se fassent la guerre à coups de robots géants. L’anime se déroule dans le Secteur Thunderbolt, un amas de ruines spatiales qui sert de route de ravitaillement pour les flottes de Zeon, et que la Fédération Terrestre cherche à reprendre. Les régiments de Zeon stationnés sur place sont composés de rebus de l’armée ; vieillards, gamins inexpérimentés et estropiés de guerre. Abandonnés par leur hiérarchie, ils vont devoir se défendre face aux assauts de la Fédération, qui est par ailleurs équipée d’un tout nouveau mecha, le Full Armor Gundam.
L’histoire de Thunderbolt tient sur un timbre et n’est qu’une excuse pour justifier des combats de robots ultra violents dans une ambiance sale et désespérée. Les machines en elles-mêmes sont extrêmement puissantes, et le spectateur méchaphile jouit de cette destruction, de cette surpuissance des robots qui tirent des méga-lasers pour annihiler toute résistance et pulvériser des mechas par dizaines. Les personnages - qui sont tous adultes - sont quant à eux définis par leur fanatisme, leur soif de destruction et la jouissance (ou le dégoût) qu’elle leur apporte. Le protagoniste du côté de la Fédération, Io Flemming, prend son pied en pilotant le Gundam et en shootant ses adversaires impuissants. Chez les Zeon, le sniper Daryl Lorenz n’hésitera pas à se faire amputer les membres (!) pour gagner plus de puissance et faire jeu égal avec son rival. On est clairement ici dans une glorification des valeurs viriles de force, de pouvoir, de domination et de sacrifice ; très loin du message universaliste et pacifiste du Gundam habituel.
Cela dit, une posture adulte n’est justement rien d’autre qu’une posture à condition que la forme suive. Et dans le cas de Thunderbolt, les choses sont un peu plus mitigées.
Commençons par ce qui saute aux yeux ; la direction artistique de cette série est fabuleuse. Le studio Sunrise prouve une nouvelle fois sa maîtrise totale de la question du robot géant, et démontre qu’il leur est tout à fait possible de créer de vrais morceaux d’animation japonaise si tant est qu’on leur en laisse la possibilité. Le chara-design détaillé et son aspect crayonné rappelle les standards de la bande-dessinée européenne, et les mechas comme les vaisseaux sont bien évidemment animés à la main, avec parfois de vrais petits exploits techniques comme cette déjà fameuse séquence en vue subjective dans le premier épisode. Le jeu des lumières et des couleurs est également très recherché, contribuant à créer l’ambiance enténébrée et mélancolique d’un film noir. Qu’il soit possible qu’en 2015-2016 il reste au Japon des gens capables de mettre en forme ce genre d’anime est sidérant lorsque l’on voit l’état de fadeur de la plupart des animes produits de nos jours.
Un autre élément important de Thunderbolt est la bande-son composée par le saxophoniste Naruyoshi Kikuchi, qui est connu pour son travail sur la série Lupin III Mine Fujiko. L’OST se compose de chansons typées soul-blues à l’américaine, et les combats sont accompagnés de morceaux jazz façon jam session. L’anime justifie d’ailleurs ce choix musical par le fait que les personnages principaux écoutent du jazz dans leur cockpit pendant qu’ils se battent dans l’espace – une astuce intra-diégétique hors de propos dans un univers tel que celui de Gundam, mais qui fonctionne parfaitement à l’écran. Voir des soldats s’entretuer à bord de robots géants de l’espace sur une bande-son de jazz-club enfumé à quelque chose de très spécial et réjouissant, une sorte d’élégance mélancolique qui se superpose à l’horreur et à la douleur de la guerre.
Je disais plus haut que l’histoire dans un anime n’a aucune importance, ce qui est vrai ; mais la mise en scène en revanche est une composante cruciale, et c’est là où Thunderbolt se plante. Sunrise a choisi avec cette série d’inaugurer un nouveau modèle, en réalisant quatre épisodes de quinze minutes diffusés sur le net. Un choix qui permet au staff de se libérer des contraintes de la diffusion télé tout en s’assurant une audience nombreuse et réactive. Malheureusement, ce format étriqué oblige Thunderbolt à trancher dans le lard de sa narration, ce qui conduit à des transitions abruptes et à un développement de personnages expédié. Les meilleurs animes (de robot ou non) ne sont ni les mieux écrits ni les mieux réalisés, mais ceux où les personnages donnent l’impression d’avoir une épaisseur, une chaleur. Avec ses dialogues décomplexés et son imagerie brutale, Thunderbolt se situait sur la bonne voie mais au moment de concrétiser il lui a manqué le plus important.
Thunderbolt est probablement la plus belle proposition artistique de l’animation japonaise de ces deux dernières années. Cette manière de raconter une histoire violente et dramatique tout en restant cool et classieux constitue exactement le genre d’ambiance que je recherche. Toutefois, l’anime souffre de ne pas avoir été considéré par Sunrise que comme autre chose qu’un amuse-gueule entre deux projets plus importants, et restera pour l’éternité une sorte de one-shot réservé à une niche de fans (quoique, les chiffres de vente de la version blu-ray au Japon s’annoncent spectaculaires). Par-delà toutes ces considérations, et en laissant de côté le fait que le manga original est toujours en cours, je recommande Thunderbolt à ceux qui recherchent des expériences animées un peu plus radicales que la soupe habituelle du genre. La série sera d'ailleurs prochainement compilée dans un long-métrage intitulé December Sky qui contiendra quelques minutes d'animation supplémentaires ; l'occasion idéale de la découvrir.