Nadia et le Secret de l’Eau Bleue – Le Monde de Nemo

» Critique de l'anime Nadia et le Secret de l'Eau Bleue par Deluxe Fan le
28 Septembre 2014
Nadia et le Secret de l'Eau Bleue - Screenshot #1

Durant ce mois de septembre, la chaîne Nolife organisa quatre soirées consacrées à une diffusion commentée des 39 épisodes de la série culte Fushigi no Umi no Nadia (Nadia et le Secret de l’Eau Bleue). L’occasion de redécouvrir cette série dont l’impact fut considérable dans l’élaboration d’une esthétique moderne de l’animation japonaise.

Nadia c’est le genre de série où l’histoire est aussi intéressante devant l’écran que dans les coulisses. La genèse du projet est un récit à lui tout seul. Tout commence dans les années 70 par un projet de Hayao Miyazaki, qui voulait réaliser une série d’aventure à destination de la jeunesse. L’anime devait être réalisé par Miyazaki lui-même, mais rien ne fut finalement produit et après le succès de son Nausicäa en 1984, Miyazaki préférera se consacrer au longs-métrages. Il réutilisera d’ailleurs certaines des idées de ce projet pour Laputa, le premier film du studio Ghibli… Mais ça c’est une autre histoire.

Nadia et le Secret de l'Eau Bleue - Screenshot #2NHK, la télévision d'état japonaise, avait toutefois conservé les droits sur le projet de Miyazaki, et décida d’en faire une série "éducative" pour enfants. En 1990, La chaîne le confia à un jeune studio, Gainax, qui n’avait encore jamais réalisé de série télé. Le réalisateur choisi fut Hideaki Anno, un jeune animateur qui avait travaillé avec Miyazaki sur Nausicäa. La dream team Gainax fut mobilisée sur le projet : Anno à la réalisation, Shinji Higuchi et Mahiro Maeda au storyboard, Yoshiyuki Sadamoto au chara-design et Shiro Sagisu à la musique.

La série en elle-même porte clairement la marque de Miyazaki ; une histoire d’aventure dans un ton steampunk, qui prend ses racines dans la fin du XIXe siècle. D'ailleurs le Vingt Mille Lieues Sous les Mers de Jules Verne est explicitement cité comme source originale au début du générique. Un genre de SF old-school très éloigné des épopées spatiales et des robots géants qui obsèdent Anno.

Nadia et le Secret de l'Eau Bleue - Screenshot #3Nous sommes donc en 1889, lors de l’exposition universelle de Paris. Jean, un gamin passionné par la science, y rencontre une acrobate employée par un cirque ambulant. Nadia, c’est son nom, porte un pendentif en cristal bleu appelé l’Eau Bleue, et qui recherché par une bande de roublards qui enlèvent la jeune fille. Jean, qui est tombé fou amoureux de cette gymnaste venue d’Afrique, parvient à la sauver et iront ensemble voguer sur l’océan au-devant du danger et de l’aventure.
Au cours de leur périple ils tomberont sur le Nautilus, un sous-marin à la technologie avancée et commandé par le charismatique capitaine Nemo (incarné en japonais par le légendaire doubleur Akio Ohtsuka). Les enfants embarqueront dans le navire et affronteront leurs redoutables ennemis de Néo-Atlantis.

Durant cette partie de l’arc du Nautilus, qui correspond aux épisodes 9 à 22, la série prend un tour particulier et l’influence de Gainax se fait plus nettement sentir. Les scénarios s’intéressent aux aventures sous-marines du Nautilus et à ses combats permanents contre Néo-Atlantis et les forces de la nature, dans un schéma qui rappelle pas mal les space-opéras de Leiji Matsumoto. Absolument passionnant, cet arc se conclut par le climax des épisodes 21 et 22 qui constituent le pivot de la série.

Nadia et le Secret de l'Eau Bleue - Screenshot #4Et là, c’est le drame. Excédé par les délais insurmontables de la NHK et son contrôle permanent sur la production, Anno fait un caprice et se retire momentanément de la réalisation. L’intérim est assuré par un Shinji Higuchi dépassé ; l’animation est presque entièrement délocalisée en Corée, chez un studio de jeunes apprentis animateurs inexpérimentés choisis par la NHK dans le cadre d’un partenariat éducatif. Ces sous-traitants qui considèrent la série comme un brouillon d’entraînement rendent des plans dégueu à Gainax qui ne peut que les corriger en urgence, ce qui finit par épuiser Sadamoto qui finit lui aussi par baisser les bras.

Cette partie de Nadia connue sous le nom de l’arc de l’île (épisodes 23 à 34) s’est donc rendue célèbre par son animation lacunaire (certains plans ne sont même pas coloriés correctement), ses scripts bidons et ennuyeux qui jettent le discrédit sur les personnages aux prix de gags miteux. Gainax avait tellement honte de ce qu’ils faisaient que les storyboards étaient signés sous pseudonymes ; et lors de la diffusion française, certains plans furent censurés tellement l’animation était dégueulasse… Quant à la NHK, elle vit ses audiences plonger mais ne pouvait rien faire car leur contrat avec Gainax les obligeait à diffuser tout ce que le studio leur envoyait.

Nadia et le Secret de l'Eau Bleue - Screenshot #5La série aurait pu courir droit à la catastrophe, mais heureusement Anno décide de revenir cinq épisodes avant la fin pour offrir à la série la conclusion qu’elle mérite. Et cette fois il ne se retient plus et transforme la série en ce qu’il a toujours voulu qu’elle soit, un space-opéra aux enjeux énormes et aux scènes d’actions intenses (certaines séquences des derniers épisodes sont des reprises au plan près de Uchû Senkan Yamato). Le drama devient insoutenable et les personnages sont entraînés dans cette conclusion douce-amère qui marqua durablement les gamins installés devant leurs postes de télé à l’époque… Une franche réussite.

Pour prendre un peu de recul, on peut dire que Nadia représente la passation de pouvoir entre la vieille garde de l’animation japonaise (Tomino, Miyazaki) et la jeune génération menée par Gainax. Hideaki Anno reprend un script de son mentor Miyazaki pour en faire quelque chose de différent, dans lequel on retrouve ses obsessions pour la science-fiction des années 70-80, mais aussi la modernité et l’esprit d’avant-garde qui caractérise les futurs créateurs d’Evangelion. Cela est particulièrement visible avec les personnages, dont le traitement est radicalement en opposition avec la norme de l’époque.

Car Nadia c’est aussi les débuts du fan-service, dans la forme qu’on lui connaîtra à un degré extrême aujourd’hui. Le personnage de Nadia est une fille caractérielle et capricieuse, qui mène son entourage par le bout du nez - en particulier ce pauvre Jean dont les efforts pour lui plaire ne seront souvent pas récompensés. Ce genre de personnage féminin « moderne » tranche radicalement avec l’archétype de la fille subordonnée au héros mis en place par Tomino, ou de la fille parfaite et idéalisée de Miyazaki. Le public otaku sera réceptif à cette nouvelle vision de la femme en japanime et propulsera Nadia au rang de personnage préféré des lecteurs d’Animage – top qui avait été mené durant des années par Nausicäa, le personnage de Miyazaki, bouclant ainsi la boucle.

La série ayant été diffusée sur la chaîne publique NHK, elle toucha une audience très large à travers tout le Japon et connut un grand succès, faisant entrer Gainax dans la cour des grands. Un succès qui, comme souvent, n’a pas été forcément calculé à l’avance ; conflits internes, soucis de production, divergences artistiques… Nadia est autant la somme de ses talents que des faiblesses, mais c’est justement cette sincérité qui toucha le public et lui permit d’accéder au rang de série culte. Les productions formatées d’aujourd’hui ne risquent pas de lui faire de l’ombre un quart de siècle plus tard.

Verdict :8/10
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A propos de l'auteur

Deluxe Fan, inscrit depuis le 20/08/2010.
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