Alors qu'aujourd'hui, la tendance est au visuel explosif, au scénario paillette et au lyrisme grandiloquent, Nausicaä rappelle qu'une œuvre lyrique ne l'est pas seulement parce qu'elle s'inscrit dans une mouvance ; elle l'est surtout parce que son sujet, ses personnages et son traitement forment une alchimie unique, transcendant à la fois le support et son scénario, pour toucher chez le spectateur quelque chose de plus fondamental, de plus subjectif.
Si Nausicaä avait été une superproduction hollywoodienne de la période Péplum, le monde entier la citerait probablement comme une référence esthétique. Datant de 1984, le film est incroyablement en avance sur son temps. Le traitement visuel ne rivalise pas encore avec les productions de Ghibli à venir (Tonari no Totoro, pour ne citer que lui), mais déjà on reconnait le style de Miyazaki, avec des décors qu'il veut très réalistes, et des personnages aux traits simples ; à la fois expressifs et malléables.
Mais c'est surtout la thématique du film qui, dix ans avant le protocole de Kyoto, semble réellement avant-gardiste. On sait que le Japon possède un regard très particulier sur tout ce qui concerne la nature (cf. la structure géographique du pays), et ici, Miyazaki l'intègre dans une fresque épique digne du Seigneur des Anneaux, ou des anciennes légendes gaéliques.
Ainsi, il y a mille ans, le monde industriel, pollueur, technologique, narcissique et égoïste, s'est autodétruit en construisant des Dieu-guerriers qui, en l'espace de sept jours, sont parvenus à détruire les grandes civilisations de l'époque. Depuis, l'homme subsiste, perdure et lutte pour survivre face au Fukai, une forêt toxique peuplée d'insectes gigantesques s'attaquant à quiconque les agresse, eux ou les végétaux qu’ils protègent.
Alors que pour la plupart des royaumes, il s'agit de vaincre cette végétation et ses gardiens, Nausicaä, princesse du petit peuple de la Vallée du Vent, conçoit la problématique de l'humanité différemment.
Elle est en fait la représentante, avec Yupa, autre personnage central, de l'empirisme et de ses vertus.
Plutôt que de vouloir inlassablement reproduire l'histoire, en cherchant à dominer le monde une fois de plus, Nausicaä cherche davantage à trouver un équilibre, à coexister avec la forêt et ses insectes. Cette sagesse, que l'auteur tient particulièrement à lui offrir, est stigmatisée par l'essence même de son personnage. Ce n'est pas un hasard que ce soit elle qui entrevoit cet avenir ; tout chez elle symbolise la clairvoyance, le respect, la compréhension. Dès les premières scènes, on l'observe, sûre d'elle et ouverte aux autres. Elle incarne cette image du joueur de go qui, ayant calculé à l'avance les coups adverse, sait à quel moment il faudra perturber l'équilibre de la partie pour que tout se termine bien. Mais il ne faut pas oublier qu’elle est aussi une jeune enfant qui cherche sa place.
Le film débutera donc réellement au moment où Nausicaä réalisera elle-même l'importance de sa quête. Bien plus vite que prévu, elle doit suivre le chemin du guerrier, alors qu'elle cherche depuis son plus jeune âge à résoudre les problèmes par le dialogue, la raison, la science, le savoir.
Ce manichéisme entre la brutalité irréfléchie des peuples puissants et la sagesse des habitants de la Vallée du Vent est très marqué au cours du film. Miyazaki parvient très bien à exhiber les côtés les plus répugnants de l'Homme, et tend à donner à l'altruiste éclairé le rôle du martyr ; le rôle de celui qui devra mourir pour que les autres entrevoient le changement.
Nausicaä est en ce sens un personnage extrêmement charismatique. Son physique et ses talents au combat ne sont pas ce qui fait d'elle une princesse respectée ; c'est au contraire son extraordinaire capacité à comprendre le fonctionnement des choses et leur équilibre qui la rend unique. Yupa et la vieille conseillère (ou sorcière) de la Vallée du Vent sont d'ailleurs très rapidement persuadés du rôle crucial que jouera la princesse dans l'avenir de la race humaine.
Contrairement au manga, composé de sept tomes relativement denses, le film de Nausicaä (dans sa version longue de deux heures) pourrait paraitre expéditif et même trop simpliste. En effet, il a fallu pour Miyazaki condenser une œuvre colossale pour la faire rentrer dans un format classique. Au final, on saute énormément d'étapes dans les évolutions de Nausicaä, mais l'auteur parvient tout de même à capturer la nature de son héroïne fétiche, en reproduisant littéralement certaines scènes du manga qu'il a probablement considéré comme incontournables pour donner toute son étendue à la princesse. Cela dit, si vous ne connaissez pas l'œuvre originale, qui est simplement bouleversante d'intelligence, de poésie et d'esthétique, le film vous conviendra parfaitement et introduira bien la thématique centrale des œuvres du futur studio Ghibli.
Les musiques et le visuel accompagnent à merveille le scénario, rajoutant un surplus de puissance aux envolées lyriques des "grandes" scènes. Les insectes, gigantesques et inexpressifs, demeurent les gardiens silencieux d'un monde plus complexe qu'il n'y parait, en même temps qu'ils prennent la place du juge, de l'observateur inactif, contemplant en quelque sorte la repentance de l'espèce humaine.
Un film beau, lumineux, qui instruit autant qu'il sublime une réalité que beaucoup ne veulent pas voir. Bien plus qu'un simple anime, une œuvre d'anthologie qu'il ne faut manquer sous aucun prétexte, quels que soit l'âge et l'expérience.