Philosophie & Mécanique

» Critique de l'anime Patlabor (Film 2) par Cyann le
14 Décembre 2014

Récemment animé par un sentiment de nostalgie fort et soudain, j'ai décidé de m'attaquer à des vieux classiques. Patlabor 1 et 2 (dont je n'ai pas encore vu la série à ce jour) sont deux films réalisés par une partie du staff de réalisation de la série originelle et surtout par Oshii Mamoru. Si ce nom vous dit quelque chose, c'est parce que l'on parle d'un grand maître de l'animation japonaise de science-fiction qui a réalisé entre autre Ghost in the (fucking) Shell. Ces oeuvres merveilleuses, aussi difficiles à accéder que puissantes dans leur portée, comptent parmi les films (au sens large du terme) les plus intelligents que j'ai pu voir. Mais il s'agit aussi de l'auteur à l'origine de l'excellent Sky Crawlers ou encore Jin Roh! Autant vous dire qu'avec un tel tableau de chasse, Oshii Mamoru pèse dans le milieu de l'animation japonaise. Et il pèse non seulement par de grands talents scénaristiques et philosophiques mais également par une mise en scène qu'on lui sait propre et très contemplative. Ghost in the Shell autant que Jin Roh et autres, sont construits autour de ces moments de calme, où l'auteur prend le temps d'installer une ambiance poétique, mélancolique et parfois sévère avec le monde qu'il tâche de décrire.

Si Oshii Mamoru est aussi bon à mon sens, c'est parce qu'il a su inclure dans la majorité des œuvres que j'ai regardé, des moments qui étaient riches de sens au sein de scènes du quotidien. Mais il est aussi un peu philosophe et propose des œuvres intelligentes où les protagonistes posent des questions qui ont le mérite d'exister. Les réflexions qu'il aborde sont souvent très axées autour du progrès, de la perte de ce qui était, au profit de ce qui sera, de l'humanité (c'est un peu le propos central de Ghost in the Shell), de la guerre et ainsi de suite.

Patlabor 2 (que nous appellerons Patou par sympathie) est un film qui s'inscrit clairement dans l'ensemble des œuvres produites par Oshii Mamoru. C'est un film très bien réalisé, très bien mené, et particulièrement attachant. Développons nos propos à l'envie, en s'attachant d'abord à la partie purement esthétique et technique avant de se concentrer sur les points de fond.

La technique

Même en 720p, Patou a vieilli. Vraiment vieilli. Les animations de mécha sont parfois un peu baveuses, et certains décors de fond sont un peu... moches. Sauf que, c'est à la fois logique, et pas si gênant. C'est logique, parce que le bougre n'est pas tout jeune (21 ans tout de même à l'heure de l’écriture de cette critique). Ce n'est pas si gênant parce que si certains décors peuvent ne pas être aussi travaillés, Oshii Mamoru n'aura pas fait l'erreur de bâcler les phases contemplatives. Ça non! C'est la preuve ultime qu'une réalisation "à l'ancienne" avec des animations et des dessins un peu vieillis peut encore rendre des résultats fabuleux. L'attention qui est portée aux détails est admirable. Un savant dosage qui généralement allie une musique envoûtante (Kawai Kenji aux manettes, forcément), un dialogue de fond qui pose des discussions aux cadres parfois très larges, des décors qui sont souvent ambiguës, en transition entre le vieux et le neuf. Tout cela crée l'alchimie signée Oshii Mamoru.

J'ai démarré le film sur un coup de tête, sans m'assurer de voir qui en était le réalisateur. Tout le long du film je n'ai pu m'empêcher de remarquer des similitudes avec Ghost in the Shell. Ce n'est pas pour rien effectivement. On pourrait même jurer que les deux films évoluent dans le même monde, celui très personnel et particulier de l'auteur et de l'équipe qui a travaillé parfois sur les deux films.

Pour conclure cette partie, il faut avouer que le grain est là. Le chara-design est franchement passable en revanche, mais il provient d'une série qui existait déjà avant, qui elle-même provient d'un manga préexistant. C'est un point à nuancer cependant. Le chara-design de certains héros est déplaisant certes, mais d'autres bénéficient d'un soin extraordinaire qui déteint encore aujourd'hui, avec les productions plus récentes. Représenter un japonais normalement, c'est-à-dire coller au phénotype habituel et attendu du japonais, c'est une exception dans l'animation. Point de gros yeux, les nez sont là, et ça, c'est exceptionnel. C'est aussi une preuve supplémentaire que cet animé se prend au sérieux (à raison). Globalement j'ai toujours autant de sympathie pour ce style graphique qui nous plonge dans une période entre-deux, dans une transition progressive qui détruit l'ancien pour faire de la place au neuf. Les lumières, les décors, les "figurants", tout contribue dans un ensemble très homogène, cohérent et crédible, à l'établissement d'une atmosphère prenante. Donc oui, c'est un peu daté à certains moments, mais c'est drôlement beau.

Le reste (et surtout le fond)

Ici, trois principaux points peuvent être abordés : l'histoire, la mise en scène et l'écriture des personnages.

Histoire et sous-texte

L'histoire, le scénario en somme, est plutôt bien écrit, il est bien amené et reste cohérent du début à la fin. Sauf que, d'une part je trouve qu'il aura manqué à certains moments des explications plus approfondies sur le développement qui précède à la fin. A un moment, tout semble arriver en même temps, comme si le film s'était retenu pendant une heure et que d'un coup, il fallait tout balancer. Mais le propos est tout de même bien servi par une histoire qui se permet d'être un tantinet complexe. Il ne s'agit pas/jamais d'un méchant absolu, d'un antagoniste débile qui menace la société et qu'un héros va renverser. Toute la maturité des films de Oshii Mamoru est ici présente sans concessions. La résolution du problème principal implique émotionnellement des personnages qui sont plus ou moins liés à l'antagoniste. Cette résolution n'est pas facilitée par des élites qui bloquent les solutions proposées, ou qui dans les cas plus graves, amplifient le problème. L'antagoniste n'est que celui qui va semer le chaos pour démontrer l'absurdité du gouvernement (oui oui, un Joker avant l'heure). Il y a des discussions stratégiques, des discussions politiques, peu d'action, beaucoup d'enquête, et pas mal de dialogues qui posent des questions diverses.

Les sous-textes, qu'ils soient franchement explicites ou plus discrets sont légion. C'est l'intérêt d'un film pareil, qui arrive à dire beaucoup en répartissant les propos sur plusieurs fronts. Ainsi, il y a une véritable question sur le progrès qui se pose à travers l’ambiguïté urbaine du Tokyo presque dystopique à ce stade. Mais pas seulement, l'ensemble du film se propose d'évoquer une définition de ce qu'est la paix, de ce qu'est la guerre, des responsables potentiels de cette dernière, et de la place du gouvernement dans les conflits internes au pays. Il critique ouvertement les Etats-Unis et leur présence sur le territoire japonais, mais attaque sans difficulté l'administration de son propre pays. En jouant sur cet ensemble de notions, le film ne propose pas un gloubiboulga de notions étranges et imperméables les unes aux autres. Au contraire, il apporte des pistes de réflexion. Si à la fin, par le biais de son personnage principal, Oshii Mamoru répond à l'ensemble des questions qu'il a posé en proposant son avis, je continue de croire que l'ensemble est fait pour laisser la question ouverte au spectateur curieux.

La mise en scène

Je l'ai déjà évoqué dans les aspects techniques donc j'irais un peu plus vite. Globalement, il est question ici du rythme du film. Clairement, il s'agit d'un film en partie contemplatif. C'est la pâte du créateur sans aucun doute et qui en inspirera plus d'un. Le film prend le temps de poser les bases, cela a pour effet de renforcer l'humanité des personnages, de faire apparaître leurs émotions de façon plus évidente encore, et de plonger le spectateur dans une ambiance, celle vécue par le personnage. Il s'agirait d'une forme d'hypnose (j'exagère) que cela ne m'étonnerait pas. L'immersion est renforcée par une vision très aboutie artistiquement des tableaux proposés. Globalement quand le film a décidé d'être en mode "action", une trame de fond travaillée continue d'exister mais l'accent est mis sur les animations pour rendre le tout fluide. Quand en revanche, il est en phase "d'enquête" quasiment chaque tableau, chaque passage est joliment travaillé. Entre ces deux modes il en existe d'autres, bien entendu, mais je schématise. En gros le travail de mise en scène est en cohérence avec celui plus technique pour proposer un ensemble travaillé, ergonomique et cohérent.

Une remarque subsidiaire enfin : l'un des gimmicks des deux films Patlabor, c'est les oiseaux. Et la mise en scène qui en découle est on-ne-peut-plus mystérieuse pour moi. Il n'en demeure pas moins que l'antagoniste est toujours accompagné par des oiseaux, et je suppose que cela a un sens.

L'écriture des personnages

Deux choses à ce sujet. Premièrement je pense qu'il est vraiment bon d'avoir vu la série auparavant afin d'avoir un peu plus d'affection pour les personnages. L'ensemble est rendu accessible grâce au premier film plutôt ouvert aux profanes, mais le second se base sur les acquis du premier, et va beaucoup plus vite. Avoir vu la série confère un bonus d'attachement aux personnages, même s'ils sont bien écris.

Deuxièmement, certes ils sont bien écris sauf que... il n'y a fondamentalement que quelques individualités dans ce film. Si dans le premier, il y avait un grand nombre de personnages différents qui avaient chacun une profondeur particulière, dans le second, il y a principalement trois ou quatre individualités qui sont bien travaillées et le reste est écrit comme un groupe. Je m'explique : les personnages principaux, ceux qui ont un rôle plus que simplement fonctionnel à jouer dans l'avancement de l'histoire, bénéficient d'un grand investissement, tant en terme de mise en scène qu'en terme d'écriture, de dialogues et ainsi de suite. En revanche les personnages secondaires sont des "groupes" qui sont plutôt bien écrit mais dont chaque personnage n'est finalement qu'une facette d'un personnage plus large. Ainsi il y a les "élites", "l'unité 2" avec des caractéristiques, des points particuliers, un caractère et ainsi de suite. Donc "l'unité 2" qui réunit les spécialistes de méca policiers est chaleureuse, solidaire, entreprenante et marrante. Mais les personnages comme Noa, qui sont un peu plus détaillé dans le premier film, sont engloutis dans cette identité de groupe. Finalement je pense que cela porte un coup à la nuance que les films de l'auteur proposent généralement, surtout quand il s'agit du groupe "élite" qui est vachement simpliste : ils sont fiers, arrogants et un peu bêtes parfois...

La conclusion (enfin!)

Je considère Patlabor 2, au même titre que le premier du nom, comme une oeuvre particulièrement intéressante à voir. La portée des discussions, la mise en scène, et ce que le film arrive à transmettre par de simples moments contemplatifs : tout est au niveau de ce que Oshii Mamoru a produit et produira après ce film. Il y a une ambiance mélancolique et puissante à souhait. Des personnages classes, une atmosphère tantôt agréable, tantôt étrange... Oshii Mamoru sait nous faire voyager dans des mondes proches de nous et nous pose des questions intéressantes en remplissant dès lors le cahier des charges fondamental de la science-fiction : interroger le futur, pour répondre au présent. Mais par dessus tout, Patlabor (1 et 2) sont des films humains et mature. Et ça, vu le paysage audiovisuel actuel, c'est déjà un exploit!

Verdict :9/10
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A propos de l'auteur

Cyann, inscrit depuis le 28/07/2010.
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