Certains auront longtemps attendu cette critique. Je m’excuse platement auprès d’eux : j’avais besoin de me recueillir un peu avant de savoir que penser de cette série.
Le monde est une scène. Une scène immense dont le metteur en scène, contemplatif, est une girafe à la voix profonde. Une scène sur laquelle il faut donner de soi. Se donner, entièrement. Vaincre l’autre, même si c’est un ami ; détruire ses ambitions, ses rêves ; caresser la folie et ses désirs les plus profonds.
Un groupe de jeunes filles qui rêvent toutes de devenir des stars. Inutile de préciser l’influence d’Ikuhara : elle est évidente, elle envahit même chaque plan. Le destin, la revue Takarazuka, l’ambiguïté homosexuelle. Pour tous ceux qui l’ignoreraient encore, Tomohiro Furukawa, réalisateur de la série, est un des petits protégés d’Ikuhara, le réalisateur d’Utena. Ersatz ? Hommage ? Les deux, sans doute. Mais pas seulement.
L’histoire est simple. En fait, elle tient sur un post-it. Deux amies séparées dans l’enfance vont être réunies par le destin — et dans la douleur s’il vous plaît. Car l’école dans laquelle toutes ces jeunes filles tentent de poursuivre leur rêve est aussi le théâtre d’une scène très particulière, celle des « auditions », vouées à déterminer qui sera la star ultime, celle qui pourra choisir la scène du destin. Au cours de ces auditions, tour à tour, les jeunes filles s’affrontent, croisent le fer à la fois pour régler leurs différends et pour arracher à l’autre sa part de talent, de rêves, se hisser à ses dépens tout en haut, jusqu'à toucher le ciel.
Utena ? Oui, certainement. La ressemblance des procédés est évidente. Mais la finalité n’est pas la même. Pas exactement la même. S’il y a toujours le fantasme d’une réunion promise dans des temps lointains, on remarquera que l’objet des affrontements se recentre sur les protagonistes. Rarement un dispositif d’Ikuhara a été aussi explicitement métaphorique.
Mais le tout va bien plus loin que la simple métaphore.
La fiction et la réalité sont les deux faces d’une même pièce. Voilà comment on pourrait comprendre Revue Starlight. Lorsque Karen, la protagoniste principale, décide de rejoindre les auditions contre l’avis de son amie d’enfance, Hikari, elle rompt le cours normal du destin.
Que vous le vouliez ou non, Revue Starlight est une tragédie baroque brechtienne. Il faudrait être totalement stupide pour le nier. Tout pousse vers la distanciation, ce principe du théâtre épique qui tend à rompre l’illusion théâtrale à tout prix. Furukawa connaît le théâtre occidental, c’est évident. Il le connaît même très bien. C’est parfois un peu poussif — la série aime à glisser des citations plus ou moins identifiées tout du long — mais cela frôle parfois le génie : la conclusion du dernier épisode est magistrale.
Il m’est très difficile d’en dire plus : car une analyse plus poussée nuirait à qui souhaiterait regarder la série. Non pas qu’elle étale des éléments importants, mais plutôt car cette analyse, c’est finalement ce que la série attend du spectateur.
Certes c’est un ersatz. Certes, c’est un mauvais Ikuhara. Certes, c’est maladroit, parfois grossier, poussif. Mais on ne peut pas passer à côté d’un ensemble si engagé : car il ne manque pas de cohérence. Les séries qui veulent raconter quelque chose, et qui veulent le raconter avec panache, sont si rares que la moindre étincelle doit être encouragée.
Ne vous laissez pas tromper. Ce n’est pas un anime d’idols moe. Ni même un anime d’idols moe un peu bizarre. C’est beaucoup plus que ça. Si vous donnez sa chance à la série, allez au moins jusqu’à la moitié. Le ton est léger, mais ce n’en est pas moins terrifiant. Car si Furukawa a bien compris quelque chose de la dramaturgie d’Ikuhara, c’est que la folie et la cruauté humaines sont d’une beauté sans pareille.