La situation du studio Bones ces dernières années pourrait être résumée en un mot simple : morosité. Après avoir fait son chemin au début des années 2000 à coup d’animes incontournables (Cowboy Bebop Heaven’s Door, Wolf’s Rain, RahXephon), le studio s’est lentement dirigé vers l’anecdotique. La licence Fullmetal Alchemist fut essorée jusqu’à la dernière goutte, la tentative de résurrection de Eureka Seven un échec ; s’en suivit alors des animes de mecha douteux et tout un tas d’adaptations de LN et de mangas de seconde zone.
Il fallait impérativement au studio se refaire une réputation, retrouver un certain prestige quitte à laisser tomber le public otaku qu’il tentait vainement de draguer. Et qui de mieux pour cette tâche que celui qui fut l’instigateur de la création du studio ? Car en effet, Bones est né d’une scission du studio Sunrise par l’équipe qui avait produit la série Cowboy Bebop en 1998. Une série de… Shinichiro Watanabe.
Watanabe qui n’a pas trop eu l’occasion de s’exprimer ces dernières années, son style fortement influencé par l’Occident n’étant pas du goût des japonais. Il accepta néanmoins de relever le défi ; mais plutôt que de simplement sortir un Cowboy Bebop 2, ce que la plupart des gens lui demandaient, le réalisateur accoucha d'un projet pour ainsi dire jamais vu dans l’animation japonaise : une série télé de SF dont chaque épisode serait traité par un réalisateur/scénariste/directeur artistique différent. Chacune des équipes aurait carte blanche pour laisser exprimer sa créativité et ses thèmes, avec le renfort des animateurs de Bones pour donner à l’ensemble la qualité technique nécessaire.
Pour assurer à ce projet fou de ne pas passer inaperçu, Bones s’associa avec la chaîne de télévision américaine Adult Swim (filiale de Cartoon Network) pour diffuser la série aux États-Unis en version doublée en anglais en même temps que la diffusion japonaise. Le nom de Watanabe suffit à lui ouvrir toutes les portes, et le co-financement Japon/USA permit à Bones de s’affranchir de l’influence toxique des producteurs japonais obsédés par l’argent des otakus.
Pour quel résultat ?
Watanabe présentait sa série comme un "Mushroom Samba à chaque épisode", et pour le coup les promesses sont tenues. Sur 26 épisodes, la série ne développe aucune trame, aucune intrigue ; chaque épisode raconte une étape du vagabondage des trois personnages dans un univers SF pulp dopé aux substances. Il y a bien un prétexte pour lancer les récits (Dandy est un chasseur d’aliens qui recherche les espèces encore inconnues) mais il est souvent oublié ou laissé en suspens. L’intérêt de Space Dandy réside dans la surprise. A quelle sauce sera mangé le spectateur cette fois-ci ? Quelle nouvelle trouvaille les équipes nous ont-elles préparé ? Où vont-ils chercher tout ça ? Sachant que de nombreuses grandes signatures de l’industrie ont participé au délire, les amateurs d’animation pure et dure trouveront forcément leur compte. Les autres risquent en revanche de se retrouver un peu perdus ; c’est le genre de production élitiste dont le ticket d’entrée est très élevé.
La série se présente comme une comédie, un truc définitivement pas sérieux et qui joue à fond la connivence en cassant le quatrième mur dès le premier épisode. Seulement, l’humour de la série laisse à désirer, versant souvent dans le pur n’importe quoi, et des gags basiques porté par des personnages très faibles. Dandy, le héros éponyme, est un incompétent grossier et antipathique qui n’a pas le début du charisme des héros habituels de Watanabe. Étant le seul fil rouge entre les épisodes, ceux-ci ne doivent leur réussite ou leur échec qu’au script et à la direction artistique eux aussi fortement inégaux.
Dans une telle configuration, plutôt de poursuivre classiquement cette critique, je vais directement vous dire quels épisodes me semblent les plus intéressants à repêcher dans ce joyeux bordel.
Épisode 01 – Le Départ : rétrospectivement le premier épisode est le plus faible, mais il est nécessaire ne serait-ce que pour être correctement présenté aux personnages et au style de la série.
Épisode 02 – Les Nouilles : le combo Sayo Yamamoto/Dai Satô fait des merveilles dans un épisode à l’écriture carrée et efficace.
Épisode 06 – Le Surf : un scénario qui part sur des bases éprouvées pour se terminer sur une séquence finale géniale qui vaut tout l’épisode.
Épisode 09 – Les Plantes : Eunyong Choi à la réalisation et Aymeric Kevin aux décors pour cet épisode à l’esthétique forte et aux relents de weed.
Épisode 10 - Le Jour sans Fin : un classique de la SF revisité de manière inventive et qui met en avant le personnage délicieusement pathétique de Meow.
Épisode 11 – La Bibliothèque : Écrit par le romancier de SF Toh Enjoe, un épisode bizarre à la direction artistique très recherchée.
Épisode 13 – Les robots : un scénario mignon qui met en avant le personnage de QT, et qui se termine sur une séquence mémorable de Nakamura.
Épisode 16 – Les Poissons : un épisode d’anthologie signé Maasaki Yuasa qui pousse le délire à des sommets inexplorés. L’animation, à laquelle on retrouve entre autres Shinya Ohira, tient du génie.
Épisode 18 – La Pêche : un script simple mais sympathique soutenu par une direction artistique excellente produite entièrement par une seule personne, Kitakiya Oshiyama.
Épisode 20 – Les Limbes : un scénario étrange écrit par Watanabe, dans un monde à l’esthétique superbe, un épisode de très haut niveau cinématographique.
Épisode 23 – Le Rencard : un autre épisode mignon avec le personnage de Scarlet, dans un ton romantique plutôt bien négocié.
Épisode 24 – Les Univers : Toh Enjoe de retour dans un épisode de SF très perché qui ferait honneur à Docteur Who.
Épisode 26 – May be Continued : Animation furieuse pour un final blindé de références. L’errance cosmique de Dandy n’aurait pas pu mieux de conclure.
De manière générale, la série oscille entre le génial et le moyen, et ses efforts constants pour ne jamais tomber dans la banalité lui permettent de sortir aussi bien des épisodes brillants que des fiascos gênants, avec heureusement une plus forte tendance au bon qu’au bof. Le point le plus constant dans l’excellence est la musique, composée par un collectif de plus de vingt artistes soigneusement sélectionnés par Watanabe. On y trouve des vétérans (Yoko Kanno) et des jeunes prometteurs (Kensuke Ushio), mais c’est surtout l’excellent générique de Yasuyuki Okamura "♪Viva Namida" qui emporte la palme.
Pour conclure, le seul vrai reproche qu’on pourrait formuler à cette série qui mérite complètement le qualificatif d’expérimental, c’est qu’elle est inoffensive. C’est très bien et très beau, mais la série ne prend jamais le risque d’essayer de provoquer une quelconque émotion chez le spectateur. C’est le genre de série que j’ai admiré en la regardant, mais que je ne suis pas arrivé à aimer comme j’aime certains autres travaux de Watanabe - le fait qu’il n’ait pas été présent sur l’essentiel de la série n’a finalement pas d’importance. Cela dit, contrairement aux prétentieux de Trigger et autres, Watanabe n’a jamais laissé entendre qu’il allait sauver la japanime ou quoi que ce soit ; il a simplement fait son petit délire avec ses potes, jouant de sa réputation pour faire parler d’un anime qui sans ça serait passé à trappe (la série a joui de très bonnes audiences aux États-Unis et a été largement ignorée par le Japon, comme prévu). On retiendra donc une série suffisamment à contre-courant pour être notable, avec quelques fulgurances brillant dans la cacophonie comme les étoiles dans l’espace. 7,5/10