Malgré un temps conséquent consacré aux animes , il m’est arrivé plus d’une fois de réaliser que mes connaissances du medium demeuraient limités : que recouvre le terme d’ « anime » au juste ? comment sont-ils crées ? Glanage et lurk sur le web peuvent aider à répondre à ces questions mais il est certain que cette industrie reste bien mystérieuse pour la plupart d’entre-nous. Une chose est claire en revanche, les témoignages et les news chocs à son sujet ont donné à ce monde une image bien sombre au fil des années.
L’annonce d’un anime sur le milieu des productions de séries animées pouvait donc être accueilli comme une nouveauté d’un grand intérêt. Mais alors, pourquoi ce ton de comédie et pourquoi nous présenter cinq demoiselles pétillantes d’énergie ? Où sont les visages déprimés, les animateurs sous-payés et mourant de faim ? Alors qu’on nous psalmodient régulièrement la mort prochaine de l’industrie tels des millénaristes, voilà qu’on nous balance un anime tout en frivolités et bien loin de ces problèmes. Et pourtant, malgré mon appréhension de départ, Shirobako a réussi à convaincre, que dis-je, me conquérir.
Pour l’essentiel, l’anime reste de bout en bout une comédie de bureau mettant en scène des employés dans le milieu de l’animation, leur train-train quotidien et leurs déboires au sein du studio fictif Musashino. Shirobako ne cherche pas non plus à éblouir par sa philosophie ou ses drames, et refuse tout autant l’approche purement académique du sujet. Au contraire, les allégories loufoques font partie du paysage et le début de l’épisode 1 donne d’ailleurs le ton avec sa séquence de course d’autos, digne d’un Initial D.
Plutôt que d’expliquer de manière systématique et exhaustive comment un anime est réalisé, Shirobako tente avant tout de recréer une atmosphère de travail énergique, avec ses idiots incompétents qu’on a envie de frapper, les parlottes entre collègues, les mauvaises décisions des chefs et le rythme impossible auxquels les employés doivent faire face (bonjour les fins de journée à plus de 23h00). L’anime prend aussi un plaisir sadique à nous bombarder d’informations tout de go en plus de nous présenter presto une bonne partie du personnel du studio : autant dire que l’effet déboussolant est particulièrement efficace. Cette méthode permet de souligner, de manière fofolle et avec humour la plupart du temps, toute la frénésie et les difficultés qui peuvent survenir à chaque étape de la production.
Même si la série adopte une démarche plutôt légère et évite certains sujets polémiques, elle reste l’occasion rare d’en apprendre plus sur le domaine et ses acteurs. Crée par des personnes vivant dans le milieu, on peut dire que Shirobako connaît son sujet et regorge de détails intéressants en plus de mettre à l’honneur certaines activités souvent ignorées. L’anime ne renie pas son aspect pédagogique et propose une mise en situation constante ainsi que des séquences d’exposition qui permettront aux néophytes, et moins néophytes, d’apprendre sur le tas. Les experts en la matière quant à eux, se contenteront des nombreuses blagues et références concernant le milieu de l’animation : personnages modélisés à partir de personnalités réels, noms de titre, touches d’ironie et autres.
Shirobako n’est pas seulement informatif mais est également rempli de scènes visiblement reprises d’anecdotes et du vécu de ses créateurs. Il y a dans ce partage d’expériences un témoignage aussi captivant que sincère : sur les espoirs et les déceptions, les ambitions comme les erreurs. Shirobako en humanisant un processus dont nous sommes largement détachés, donne une leçon d’empathie louable dans un monde où la véhémence des critiques a parfois de quoi violer les conventions de Genève. Evidemment, il ne s’agit pas tant d’accepter de la bouse en boîte par gentillesse que de comprendre que chaque produit est le résultat de réflexions et d’efforts non négligeables, fournis bien souvent par des passionnés dans un environnement impitoyable.
Pourquoi des personnes continuent à travailler dans des conditions bien peu favorables, comment voient-elles leur avenir ? Ce genre de question est posé dans Shirobako et même si la série se veut être optimiste, on peut apprécier l’honnêteté avec laquelle il répond à ces interrogations, sans jouer la carte de l’apologie ou de la victimisation. Une autre question assez centrale est l’état de l’industrie à l’heure actuelle, un sujet casse-gueule mais traité avec une relative subtilité en confrontant différents points de vue de différentes générations d’animateurs : on peut voir ainsi des discussions, toujours intéressantes, par exemple sur l’apparition progressive de l’image de synthèse, les problèmes de coopération pour les adaptations d’oeuvres, ou des réminiscences de « la belle époque », pas si belle que ça.
Les cinq héroïnes de départ laissent très rapidement la place à un large panel de personnages. En terme de variété, de personnalité et de capital sympathie, Shirobako affiche pour ma part un quasi sans faute. Rien d’extraordinaire à l’échelle individuelle mais leurs interactions sont franchement excellentes, surtout grâce à des dialogues bien sentis. La plupart des employés sont utilisés judicieusement, non seulement car leur différente spécialisation professionnelle permet de couvrir des couches variées de la production de séries, mais aussi parce que les troubles auxquels ils doivent faire face servent à des développements personnels. Parmi ce casting très équilibré, Aoi Miyamori, l’une des cinq protagonistes, endosse timidement mais sûrement le rôle de personnage principal et synthétise toute la sensibilité, tout le dynamisme, et toute la folie (elle a un sacré grain) qui caractérisent le studio Musashino.
L’anime se distingue aussi au niveau technique par une réalisation intelligente et soignée. Même si visuellement le résultat n’est pas exceptionnel, l’aspect graphique est mis au service de la narration, et ce de manière efficace : qu’il s’agisse de montrer les changements apportés à une séquence après un épisode de dur labeur, la réalisation d’une scène ambitieuse ou les souvenirs de vieilles séries par des séquences animée à l’ancienne, Shirobako n’emprunte pas de raccourcis et prend soin d’apporter à sa présentation les petites touches qui comptent.
Selon moi, la plus grande force de Shirobako est avant tout d’être une oeuvre inspirée, passionnée. Que ce soit par l’effort ou le talent, les nombreuses facettes de la série sont généralement réussies et visent à rendre l’expérience plus que quelconque. Plus simplement dit, Shirobako est, au delà du genre et des attentes, une oeuvre de qualité, parsemée de bons moments : le genre d’expérience mémorable qui vous donne un sentiment de satisfaction une fois terminée.
Il est évident à lire cette critique que mon appréciation tient beaucoup de mon intérêt pour le monde de l’animation en lui-même mais au-delà de son thème, Shirobako m’a autant amusé que touché grâce à ses personnages colorés : des victimes des tribulations universels du monde du travail et aussi des humains fictifs à la poursuite de leur rêve. L’équilibre entre légèreté et réalisme permet également d’apprécier l’anime autant comme un divertissement que pour ses réflexions.
Shirobako aurait-il gagné en substance et en impact s'il avait adopté une autre approche ? Peut-être, mais malgré mes premières réserves, cette série s’est révélée être un coup de coeur et une très bonne surprise que je recommande autant pour les nouveaux venus que les habitués d’animes. Un anime que je regarderai à nouveau avec grand plaisir.