YASUKE — Black Sword Matter

» Critique de l'anime Yasuke par Deluxe Fan le
09 Mai 2021
Yasuke - Screenshot #1

Lorsque N*****x débuta ses investissements dans l’animation japonaise il y a quelques années, les réactions furent ambivalentes. Pour certains il s’agissait de l’opportunité pour les studios de s’extraire du système délétère des comités de production japonais qui placent tout le pouvoir entre les mains des producteurs, diluant la responsabilité et la prise de risque, transformant la japanime en une vaste entreprise de marketing auto-alimentée. Pour d’autres, l’entrisme de N*****x n’est qu’une énième offensive du Grand Capital américain pour imposer son modèle et sa mentalité à une culture qui jusque-là lui faisait l’affront de lui résister encore.

Les années ont passé et le bilan de N*****x en japanime est pour le moins mitigé. N*****x est à son meilleur lorsqu’il s’agit de financer ou promouvoir des séries originales ou portées par des créatifs forts, comme c’est le cas avec les séries de Science Saru (Devilman Crybaby, Japan Sinks) ou de Trigger (BNA, Cyberpunk Edgerunners), des animes qui ne verraient sans doute pas le jour en passant par les canaux habituels nippons qui refusent tout investissement s’il n’y a pas marqué "isekai" sur la boîte. Ces projets ne constituent toutefois que les arbres qui cachent la forêt. L’essentiel des animes estampillés N*****x sont des produits vite consommés vite oubliés, à l'image d'un public qui accorde plus d’importance à la nouveauté qu’à la qualité ; il faut bien justifier ces 15,99€ par mois après tout, même si c’est dégueulasse. On aura donc droit à des resucées de vieilles licences profanées à coup d’images de synthèse (GitS SAC_2045, Les Chevaliers du Zodiaque…) et à des adaptations de seinen prometteurs mais là aussi massacrés par la 3D cheap de Polygon Pictures (Sidonia, Levius…) voire des animes en 2D mais lestés par des choix de production à côté de la plaque (Goshufukudo). La qualité coûte du temps et de l’argent et ce n’est pas ce que N******x est venu chercher dans cette industrie.

Yasuke - Screenshot #2L’annonce de Yasuke était porteuse d’un certain espoir. Une collaboration américano-japonaise, six épisodes de trente minutes, un samurai black, Takeshi Koike au chara-design, on pense forcément à la grande époque de l’OAV roi, celle des animes qui en avaient sous le pantalon. L’époque des Animatrix, l’époque des Afro Samurai. Toutefois il ne suffit pas d’avoir les bonnes références pour s’élever à leur niveau.

Le personnage de Yasuke a réellement existé ; il s’agit d’un esclave africain amené au Japon par des missionnaires portugais, et entré au service de Oda Nobunaga qui l’aurait anobli durant la période Sengoku, faisant de lui le premier et dernier samurai étranger (avant Tom Cruise et Keanu Reeves évidemment). Les sources écrites le concernant sont rares ce qui autorise de combler avec légendes et fiction, comme le fait cette série d’ailleurs. Si on aborde l’histoire d’un point de vue américain, l’intérêt thématique est évident. L’actualité montre que la question raciale se pose encore régulièrement aux États-Unis et l’idée de traiter cette histoire d’un esclave noir admis il y a quatre siècles dans la noblesse du pays le plus connu pour son isolationnisme et son ethno-nationalisme, il y avait de quoi faire.

Yasuke - Screenshot #3Il est donc d’autant plus curieux de voir que la série choisit d’incorporer de la fantasy dans son histoire, et pas à petites doses. Dès les premières minutes du premier épisode on a des mages onmyoji qui tirent des lasers contre des robots géants, le tout sous le commandement de généraux doués de pouvoirs télékinétiques qui se battent contre les sorciers. Un peu plus tard le déballage continue avec une femme qui se transforme en ourse, un mecha doué de conscience et un chaman qui se bat avec son stand de Jojo’s Bizarre Adventure. Un espèce de grand fourre-tout qui sape toute tentative de la série de raconter quoi que ce soit de pertinent. Si l’idée était de proposer Yasuke comme un exemple de l’acceptation de la différence, ça ne fonctionne pas ici car l’univers fictif prend largement le pas sur la vraisemblance historique. Il y a bien quelques scènes où des samurais traditionalistes interpellent Yasuke sur le fait qu’il ne sera jamais considéré à sa juste valeur en raison de la couleur de sa peau, mais cela sonne faux parce que fondamentalement ce n’est pas ce que la série raconte. Quand tu as des robots géants qui tirent des lasers et des sorciers avec des pouvoirs magiques, un renoi qui se balade j’ai envie dire c’est pas le truc le plus ouf du monde quoi.

Yasuke - Screenshot #4Du coup ça raconte quoi finalement Yasuke ? Un homme taciturne tourmenté par son passé qui doit aider une petite fille à voyager à travers le coin pour trouver la solution au problème du monde. Attends c’est pas le scénario de The Last of Us, du film Logan, du film Light of my Life, et d’à peu près toute la fiction américaine depuis dix ans ? Bien sûr que si, mais il ne fallait pas en attendre bien plus d’un récit écrit par les algorithmes de N*****x. Le seul intérêt c’est que par rapport à ce qui se fait dans l’animation japonaise actuelle c’est plutôt rafraichissant, le héros n’est pas un adolescent autosatisfait mais un adulte en quête de rédemption ; mais s’il s’agit de remplacer les clichés japonais par d’autre clichés en provenance d’Amérique, ce n’est pas forcément meilleur.

L’animation est produite par le studio Mappa, qui a récemment montré qu’il connaît son affaire en matière d’animes sur le Japon féodal (Dororo) et en matière d’anime de baston (Jujutsu Kaisen). Ceux qui espèrent trouver ici une performance technique digne des OAV de la grande époque seraient néanmoins avisés de reconsidérer leurs attentes. A vrai dire les combats sont plutôt sympas, notamment dans les premiers épisodes avec un Yasuke qui doit affronter seul des adversaires tout droit sortis de Metal Gear Solid, ça donne des séquences assez inattendues. Par la suite c’est beaucoup moins stimulant lorsque les combats se résument à des mechas énormes en 3D qui prennent tout l’écran et des tirs de lasers de DBZ. En vérité c’est surtout le style graphique qui interpelle, au niveau du design et même de la mise en scène ça ne fait pas vraiment "anime japonais" on se croirait plutôt devant un de ces cartoons américains qui cherchent à singer l’animation japonaise tel que le récent Castlevania. Le générique de l’anime, sorte de trip psychédélique où le réalisateur défoncé à la beuh vomit ses couleurs fluos à l’écran sur un son RnB hors-sujet représente bien la proposition esthétique de la série ; des Américains trop contents de faire joujou avec la culture et le savoir-faire japonais et qui font absolument n’importe quoi au point que ça en devient étrange et donc presque intéressant à regarder.

Mélanger la culture japonaise et américaine pour raconter quelque chose de pertinent et en faisant un anime de haute qualité au passage c’est possible, cela a déjà été fait par le passé. Nul doute que LeSean Thomas et ses potes avaient les bons modèles en tête mais quelque part en chemin ils ont été arrêtés dans leur élan, peut-être par leur propre pusillanimité, qui les a empêchés de raconter quelque chose et tout recouvert sous des lasers et des robots géants pour achever de ridiculiser l’ensemble. On n'exigeait pas que ce Yasuke soit un pamphlet politique, juste un bon anime aurait suffi, mais pour N*****x c’était déjà trop demander.

Verdict :5/10
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A propos de l'auteur

Deluxe Fan, inscrit depuis le 20/08/2010.
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