Yasuke : Mappa no seppuku

» Critique de l'anime Yasuke par Châtaigne le
29 Avril 2021
Yasuke - Screenshot #1

Bienvenue et installe-toi, aujourd'hui ça parle de fantasy samurai, sauf que le samurai, c'est un black. C'est l'histoire de Yasuke, un esclave noir devenu samurai aux ordres de Nobunaga (forcément), dans un Japon alternatif en lutte pour recouvrer son unité et son indépendance. Il fait la rencontre d'une jeune fille très malade qu'il décide d'aider, sans savoir ce qu'elle représente.

Yasuke était la première opportunité depuis longtemps pour le studio Mappa de soutenir une œuvre originale, avec une direction forte, très loin de ce qu'avait pu donner Taisô Samurai par exemple, pâle clone de Yuri!!! on Ice. Si l'on se réjouissait autant de voir un projet de cette envergure, c'est avant tout parce que le studio a considérablement changé en quelques années. Revenons un petit peu en arrière.


En 2011, décidément année de malheur pour le Japon, le studio Madhouse était englouti par Nippon Television, ou NTV pour les intimes. Madhouse, qui avait été fondé à la chute de Mushi Production par une bande d'amis tellement anecdotique qu'ils n'ont eu absolument aucune influence sur l'industrie (Masao Maruyama, Osamu Dezaki, Rintaro ou Yoshiaki Kawajiri pour n'en citer que quelques uns), s'effondrait donc sous le poids des billets et Masao Maruyama prenait la fuite pour fonder son nouveau havre de paix : Mappa.

Yasuke - Screenshot #2Il faut bien comprendre ce qu'avait été Madhouse et ce que voulait à son tour être Mappa : un endroit où les créatifs pouvaient laisser (à peu près) libre court à leur imagination. Il suffisait alors de convaincre Masao Maruyama, qui est certes une personnalité très bornée et assez insupportable (comme à peu près tous les grands pères de l'animation japonaise), mais qui a pour lui une ouverture et une curiosité exceptionnelles. Pour Mappa, tout a très bien marché jusqu'en 2016-2017, moment où Yuri!!! on Ice a eu un succès foudroyant et où Manabu Ootsuka, son producteur, a pris les devants.

A partir de 2017, les choses sont devenues incontrôlables avec un producteur complètement taré et aveugle aux manettes. Une aubaine folle pour les investisseurs. Le studio est passé d'un nombre raisonnable de production, avec entre deux et trois séries par an, à plus d'une demi-douzaine de séries chaque année. Pendant ce temps, Masao Maruyama avait de nouveau fui pour fonder le studio M2 où il est actuellement surtout occupé à produire l'adaptation de Pluto.


Il est bien en-dehors des limites de cette critique de s'intéresser au miracle qui fait que Mappa tient encore la route. Ce qu'il faut surtout retenir, c'est que d'un point de vue créatif, le studio est une carcasse vide. C'est une grosse machine de production qui fait principalement de la sous-traitance et ne possède quasiment pas d'équipes de production propres, hormis sur certains postes comme le compositing ou la 3D (et on ne peut pas dire que ce soit sur ces points que Mappa brille). Voir arriver une série de l'envergure de Yasuke laissait donc la place à beaucoup d'espoirs car c'était en quelque sorte l'instant de vérité : est-ce que Mappa était toujours capable, comme lors de ses premières heures, d'accompagner pleinement et fidèlement un projet original dans ses ambitions ? La réponse est négative et sans appel.

Yasuke - Screenshot #3

On connaît déjà le cadre de l'histoire, comme il a été repris cent fois par cent animes plus mauvais et oubliables les uns que les autres. Cette fois-ci cependant, Thomas LeSean oblige, nous voici avec une sorte de mashup fourre-tout de la totalité ou presque de ce que peut proposer l'animation japonaise. Aussi, à l'histoire de samurai s'ajoutent des méchas (des grands, des gros, des petits, des real, des gigantesques : y'en a pour tous les goûts), des mutants à la sauce X-MEN qui font des pfiouuuuh! éclair lumière, de la magie de kikoo et quelques vieilles prophéties avec même un poil de romance. Et honnêtement, ça fait déjà trop, beaucoup trop pour un seul anime. Il y a des choses qui ne devraient pas avoir de rapport, comme l'ananas et la pizza, ou le mécha et Nobunaga. Dès le départ, c'était proche du carton rouge.

L'histoire en elle-même s'articule sous forme de permanents aller-retours entre le présent et le passé. D'ordinaire, je suis de ceux qui sont assez allergiques au flashback car ils sont souvent une facilité scénaristique. Ici, on se trouve sur un entre-deux. Ce n'est pas tant une facilité scénaristique car la série n'a franchement rien à raconter. Mais ce n'est pas non plus un exercice de style. Étrangement, il se trouve que ce ping-pong scénaristique n'est ni agréable, ni désagréable. On le supporte. Il cache un peu le vide on va dire.

Yasuke - Screenshot #4Parce ce que l'on supporte moins par contre, c'est la vacuité scénaristique de ces six épisodes. Le niveau n'est même pas bas : on creuse. Même Precure réussit à être plus profond que ces six épisodes au niveau de son scénario. Ici les gentils sont très gentils, les méchants sont très méchants et il faut bien les hectolitres de sang déversés à l'écran et les scènes de torture sadique pour se rappeler que nous ne sommes pas devant un dessin animé pour gamins de cinq ans, où les gentils sauvent le monde en faisant de grands sourires. Les trois demi-renversements surprendront probablement uniquement ceux qui se seront endormis en cours de route, et encore.


Le format très inhabituel aurait pu prêter à confusion. Ces six épisodes d'une petite trentaine de minutes, en dehors du carcan traditionnel des séries télévisées, auraient pu rappeler sans peine l'âge d'or des OAVs, avec une animation concentrée jusqu'à la moindre goutte, peaufinée, différente de ce que nous pourrions attendre d'une série télévisée. Bien entendu, tu t'en doutes, il n'est question de rien de tout ça. Malgré un (tout petit) pic vers le milieu de la série, le dernier épisode est presque hilarant tellement il est mauvais. On obtient quelque chose d'extrêmement morcelé car la qualité de production varie énormément entre les épisodes, et même souvent à l'intérieur même d'un épisode comme si on avait recollé les morceaux.

Yasuke - Screenshot #5L'animation, quand elle est bonne, est noyée dans un compositing baveux et incompétent typique de Mappa. On ne compte pas non plus les scènes insuffisamment corrigées, ce qui donne des dessins tremblants, des proportions parfois incorrectes, un manque de consistance dans le character design, etc. C'est fade, sans passion, sans énergie. Les scènes de grande bataille font la part belle à une animation du pauvre renforcée par une caméra hollywoodienne qui ne sait pas quoi faire d'elle. Le tout est ponctué par des travelling immondes qui servent surtout à mettre en avant une CGI inintéressante et grossière.

Au moins, la série réserve de temps à autres quelques belles scènes de combat en duel, plus rares cependant que ce que l'on pouvait présager pour un anime de samurai. La qualité des combats est néanmoins comme tout le reste : extrêmement variable et va du très bon à l'assez médiocre. Si l'on peut souffrir les écarts de qualité entre les combats sur un shounen fleuve, c'est assez inacceptable sur une série de six pauvres épisodes. Certains sont parfois assez intéressants à regarder, mais le manque de soin général mitige ces moments de grâce, notamment à cause d'une fluidité qui n'est pas au rendez-vous, faute de suffisamment d'intervalles. Très clairement, les rares combats dignes d'intérêt ne valent absolument pas selon moi les trois heures que dure cette mascarade. Si tu as vu les trailers, sois averti que tu as un peu fait le tour de ce que la série avait de mieux à offrir niveau baston.

Yasuke - Screenshot #6

L'histoire est portée par des personnages pas vraiment mémorables. Une poignée de personnages sont plutôt très bien designés mais la majorité est inégale. Le character design de Takeshi Koike ne peut pas faire de miracles lorsque le reste de l'équipe créative n'a pas la compétence nécessaire pour en faire quelque chose. Après tout, Takeshi Koike avait toujours profité du savoir-faire de réalisateurs hors-pair et d'équipes fortes, quand il n'avait pas lui-même la main en tant que réalisateur. Ici, il fait plus office de guest et il est évident que son implication a été mineure et s'est limitée aux personnages principaux. La série oscille donc entre un character design assez caractériel d'une part, et insipide de l'autre. Finalement, la présence de Takeshi Koike au character design devient davantage un poids qu'une bénédiction, puisque le contraste joue grandement en la défaveur de l'anime et ne fait que renforcer l'impression de fadeur qui en découle.

Il faut rajouter à ce contraste décevant le doublage du personnage principal, qui peine à convaincre. On comprend assez rapidement qu'il révèle moins la barrière linguistique que l'inexpérience de son acteur et certaines séquences sont assez pénibles à entendre. Heureusement, le reste du casting essaie comme il peut de donner la réplique, même s'il ne réussit pas à faire de miracle. Le doublage anglais, pour en avoir écouté un demi-épisode, n'est pas beaucoup plus réjouissant et sonne assez régulièrement à côté de la plaque. L'argument du premier rôle doublé par un acteur noir, qu'il s'agisse de la version japonaise ou de la version anglaise, n'est qu'un argument marketing pour calmer les ardeurs des réseaux sociaux dans ce contexte post-Black Lives Matter et n'a pas bénéficié du soin nécessaire. Petite anecdote amusante cependant, le doubleur de Nobunaga, Takehiro Hira, tient le rôle à la fois dans la version japonaise et anglaise.

Yasuke - Screenshot #7Parmi les personnages toutefois, le duo formé par Yasuke et Saki fonctionne assez bien même s'il est trop peu développé. Paradoxalement, l'anime consacre beaucoup de temps à la construction du personnage de Yasuke, mais laisse de côté ce qui en faisait un personnage vraiment intéressant : c'est-à-dire son lien avec le vivant, le présent, représenté par Saki.


Pour compléter le petit tour d'horizon technico-artistique, je salue quelques layouts qui sont vraiment très bons et tranchent avec la banalité de l'ensemble. Dommage qu'ils soient si peu nombreux. Ils font vraiment plaisir lorsqu'ils arrivent, surtout que l'on se prend sans cesse en pleine tête des textures immondes (surtout sur le premier épisode) collées sur une barque, un ponton, ou un décor et qui font ressortir la pauvreté grossière de l'image. Sans compter un certain nombre de problèmes techniques où l'animation ne colle pas à la topographie des arrière-plans. Heureusement, la musique est plutôt bonne et réussit à donner un peu de profondeur à l'ensemble comme elle ne se cantonne pas à un simple son hip-hop pour sonner afro-américain. Ouf, enfin un bon point.


Yasuke est une série tout-à-l'égout qui se donne des allures premium. Mappa montre qu'ils sont devenus absolument incapables de donner vie à un projet original, même en ayant un soutien fort de la part de Netflix. C'est techniquement souvent à la limite du correct, surtout considérant qu'il ne s'agit que de six épisodes produits pour Netflix, c'est-à-dire dans des conditions de production que l'on sait désormais bien plus avantageuses que celles d'une série télévisée.


En résumé : Yasuke pourrait te plaire si tu aimes :

  • L'historique panaché avec à peu près tout ce qui existe en animation japonaise
  • Les combats au katana au point de vouloir regarder tout ce qui existe dans la catégorie
  • Perdre ton temps

Par contre, ce n'est probablement pas le meilleur choix si tu as envie :

  • D'une histoire qui tient la route et qui raconte quelque chose
  • D'un anime de samurai qui a du style


Malgré ses airs d'oeuvre originale, Yasuke est la confirmation que tout ce qu'il restait de l'esprit de Masao Maruyama en Mappa est bien mort. Yasuke est une énième série de commande, vide et assez mal produite, d'autant plus par rapport aux standards habituels du studio.

Verdict :4/10
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A propos de l'auteur

Châtaigne, inscrit depuis le 11/03/2021.
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