Je vais m’atteler à un exercice que je vous déconseille de reproduire chez vous : la critique à chaud. Car je viens de terminer The Tatami Galaxy, et j’ai pas mal de choses à dire.
En avant-propos, je dirais que j’ai toujours été circonspect devant ce que certains appellent l’ « animation expérimentale ». Je ne suis évidemment pas réfractaire à une dose d’originalité et d’inventivité, et j’apprécie les animés ambitieux. Cependant, et quel que soit le type d’art, j’ai du mal avec les œuvres qui se complaisent dans l’obscurité, la symbolique à outrance, voire la pure incompréhensibilité (on a tous le souvenir d’un animé/manga sur lequel on s’est arraché les cheveux tellement on y comprenait que dalle, et c’est de ça dont je parle.) Et quand Kazé afficha sur son site de simulcast à la page The Tatami Galaxy « l’animation autrement, une sélection exceptionnelle d’œuvres expérimentales », je sortis les griffes. Mais connaissant l’éditeur et son catalogue, je me disais qu’il n’allait pas non plus proposer un truc trop compliqué (non non, ce n’est pas du dénigrement commercial).
Et j’avais raison. Malgré ses graphismes atypiques, The Tatami Galaxy est un animé très abordable, et qui peut se révéler assez intelligent pour qui se penche dessus.
L’histoire s’avère simple. Elle reprend le principe des mondes parallèles, dans lesquels le protagoniste revit toujours la même période de sa vie mais avec un choix de vie différent à chaque épisode. Ici, on suit un jeune homme durant ses deux premières années à la fac de Kyôto. Les différents choix de vies sont représentés par le choix d’un club universitaire dans lequel notre héros veut pouvoir exprimer tout son talent et profiter de sa vie estudiantine. Ainsi, à chaque épisode, le protagoniste va vivre une vie différente, comme dans un jeu de rôle (ou un dating-sim).
Ce principe, bien que très classique, est ici exploité à son plein potentiel. Le comique de répétition marche à plein régime, avec des gimmicks tordants (comme celui de la vieille voyante qui ne cesse d’augmenter ses tarifs). L’anime utilise aussi des procédés qui font mouche, comme le « narrateur Kyonesque ». Il s’agit du fait d’utiliser, pour raconter l’histoire, un narrateur-personnage dont on ne connaît rien (pas même le nom), et de lui faire dire tout ce qui lui passe par la tête. On a alors l’impression d’être très proche du personnage en question (puisqu’il s’adresse directement à nous), et comme celui-ci est impersonnel car sans aucun background, l’identification est amplifiée. S’additionnant au scénario et aux graphismes, ces divers détails rapprochent l’animé de l’excellence.
Parlons-en du scénario. Comme je l’ai dit il est simple, mais pour le comprendre il est quand même nécessaire de terminer la série. Les épisodes 6, 7 et 8 doivent par exemple être vus consécutivement, bien qu’ils racontent chacun une histoire différente (vous verrez c’est spécial mais diablement bien pensé). J’ai trouvé la série plutôt bien écrite, quoique un peu prévisible (j’ai compris la prédiction de la voyante dès le premier épisode). Les personnages se valent tous, même ce protagoniste impersonnel dont je vous parlais. Mes préférences vont à Ozu et à Akashi, même si cette dernière est vraiment sous-exploitée dans la série, et malgré le fait qu’elle s’habille très mal.
La thématique de la série ? Je dirais que l’on peut y voir un peu ce que l’on veut. Mon collègue précédent parlait de l’émancipation et de l’esprit critique. Pour ma part j’y ai vu un message assez réactionnaire envers ce que propose l’animation aujourd’hui. Pour rappel, le héros fait des choix différents à chaque épisode, mais il termine toujours de la même façon : esseulé et bardé de regrets. Cela va tout à fait à l’encontre de ce prêchent les shônens dans lesquels le héros réussit toujours à infléchir le destin en sa faveur. Dans The Tatami Galaxy, ne vous attendez pas à ce que le héros finisse par faire le bon choix de vie ; il n’existe pas de « bon » choix. On a qu’une seule vie, et si le Destin, le Karma ou Dieu a décidé de vous la mettre profond, ben vous l’aurez profond, quoi que vous choisissiez. Un message pessimiste qui peut ne pas sauter aux yeux (d’autant que je me fourvoie peut-être complètement), mais qui a le mérite de ne pas se cacher sous une symbolique lourde ou une mise en scène boursouflée.
On en arrive à la forme. Je n’ai jusqu’à présent jamais cité le nom de M. Yuasa ; parce que je ne le connaissais pas, ce monsieur, ni lui ni son travail. Et pour une première fois, je dois dire que je suis impressionné.
La première chose qui saute aux yeux, ou plutôt aux oreilles, c’est le débit de parole du héros. Lorsque j’écrivais plus haut qu’il disait tout ce qu’il lui passait par la tête, c’est vraiment tout ! Si vous connaissez Excel Saga, sachez qu’il parle encore plus vite qu’Excel (si si c’est possible). Une grande partie de l’humour de la série vient d’ailleurs du fait d’imaginer la tête des responsables du sous-titrage devant le torrent intarissable de paroles. Ce n’est qu’un détail, mais la série regorge de ce genre d’éléments qui finissent par lui donner une vraie identité. Ce qui m’a principalement plu, ce sont les nombreuses idées que la série apporte au point de vue graphique, comme l’idée de mêler animation et prises de vues réelles à de nombreuses reprises. « Déjà vu ! », me direz-vous (et vous aurez raison), mais ces idées s’insèrent si bien dans l’ambiance délirante de la série qu’elles se remarquent plus qu’ailleurs, où elles ne seraient que des effets de style. De même, dans l’épisode 6, j’ai apprécié l’idée de l’auteur de modifier le chara-design en direct, en fonction de état d’ébriété ou d’excitation sexuelle des personnages, ce qui a pour effet de renforcer l’effet comique de la scène. Mention spéciale enfin pour l’opening de la série, absolument génial autant au point de vue visuel que sonore (vous connaissez certainement Asian Kung-fu Generation, ils ont fait un tas de génériques d’animés).
Mais la série a aussi quelques défauts. Je note surtout le manque d’ambition de l’histoire. Celle-ci tourne essentiellement autour de la vie sentimentale du héros, à croire qu’au Japon un étudiant c’est comme un lycéen : ça na pense qu’à ça. C’eût pu être moins consensuel, plus osé, que cela ne m’aurait pas gêné. Et puis la fin, enfin, ne se départit pas de quelques uns des défauts inhérents au genre que j’ai mentionnés en introduction.
Le héros se paie même le luxe d’interpeller le spectateur en lui disant, je cite approximativement : « nous n’allons pas terminer cette histoire, car il n’y a rien de plus ennuyeux qu’une histoire d’amour qui se termine bien ». J’aurais voulu lui répondre que pire encore sont les histoires d’amour qui ne se terminent pas, mais bon, on ne peut pas tout avoir…
Au final, que retenir de tout ceci ? Sur le fond, le thème des boucles temporelles et des mondes parallèles est utilisé de manière très subtile et intelligente. Le ton humoristique et décalé de la série est servi par des graphismes résolument atypiques et des procédés graphiques éculés mais finement utilisés. De plus la série dispose de bons personnages loin des stéréotypes et hilarant de surcroît, ce qui rajoute à leur crédibilité et à leur attrait.
Peu importe que vous connaissiez M. Yuasa ou pas. Si vous devez ne voir qu’un seul animé estampillé "expérimental" dans votre vie, The Tatami Galaxy devrait faire l’affaire. 8,5/10
Les plus
- Histoire originale et finement racontée
- Réalisation de folie, inventive et dynamique
- Personnages hilarants, situations tordantes
Les moins
- onze épisodes seulement