Se ressasser un malheur passé est le plus sûr moyen d'en provoquer un nouveau...
Ou du moins c’est ainsi que je me risquerai à translater du Shakespeare.
Zetsuen no Tempest est une œuvre de qualité certaine en surface, mais dont le manque de profondeur me fera vite tourner la page.
-- FORME
Une véritable tragédie shakespearienne, c’est à cela que l’anime aspirait. La barre était un peu trop haute.
Les personnages sont plongés malgré eux au cœur d’une intrigue incroyable qui les dépasse totalement, et tenteront tant bien que mal de « donner un sens à cette absurdité ». Car voilà le thème de ZnT, l’Antagoniste redoutable : c’est l’absurde, l’absolu, le démesuré, en un mot, ce panthéon de dieux sadiques et désinvoltes qui foutent le bordel dans les tragédies en regardant pépère galérer les personnages, avec leurs lunettes 3D et un cocktail à la main.
Les symboles shakespeariens sont nombreux : tempêtes, îles, vengeances, magie, amours dissimulés, petits soucis de famille qui tournent au bain de sang. Les personnages bouleversés sont soumis à leurs déviances, abandonnés dans un monde où l’appui théologique n’est plus qu’une illusion.
Après ce long visionnage, j’ai toujours du mal à comprendre l’intérêt des personnages à tant vouloir défier l’illogique, à vouloir rétablir l’ordre, dans ce monde où la magie et les divinités existent concrètement. Certes, l’esthétique de l’ordre est toujours recherché comme le dénouement salvateur depuis les tragédies grecques, mais cet anime présente tant d’incohérences farfelues qu’au bout d’un moment, le spectateur abandonnera volontiers l’idée que toute chose peut avoir un sens. On est loin du système minutieux de l’ « échange équivalent » de l’alchimie.
L’histoire laisse beaucoup de place aux fausses pistes, aux raisonnements foireux, aucune interprétation n’est épargnée. Il faut envisager TOUTES les possibilités pour percer le mystère complexe du meurtre d’Aika.
Du coup, les coups de théâtre éclatent à profusion, la plupart étant parfaitement inutiles, mais c’est pour mieux justifier le réalisme de l’œuvre : les personnages sont libres dans cette pièce, ils ne suivent pas un script précis donné à l’avance, mais improvisent maladroitement avec ce qu’ils ont. Ironiquement, malgré toutes ces explications données, de nombreux plot twist n’ont aucun sens et m’ont souvent fait doucement rigolé.
-- PERSONNAGES
Deux personnages principaux très attachants, et peu stéréotypés. Ils forment à eux deux l’éternel duel tragique de la passion contre la raison. Nous avons d’un côté le colérique Mahiro, haineux, extraverti, et toujours en quête de sa revanche ; contre le rationnel Yoshino, posé, lucide, discret. Ces deux électrons cohabitent parfaitement malgré leurs différences et ont une influence réciproque qui fait avancer l’histoire d’une manière très intelligente.
Entre ces deux caractères opposés vient s’incruster le fil directeur qui nouera les destinées ensemble, à la manière d’un Mawaru Penguindrum : la sœur mourante. Voir ici carrément crevée.
Aika est la Bovary de l'histoire: passionnée de Shakespeare, elle finira pas ne voir la vie que comme une pièce de théâtre, prisonnière d'une destinée qui n'est donc pas la sienne, mais celle des personnages qu'elle lit. Elle représentera le personnage qui ne peut se libérer de sa condition, et vivre comme elle l'entend.
Cette tragédie a cela d’original qu’elle évite le manichéisme pour montrer le véritable ennemi : les forces supérieures. Chaque personnage a sa logique, ou ses raisons d’agir, mais aucun n’est fou à lier ou stupidement méchant : ils sont conscients d’être les joujoux des dieux et ne l’acceptent pas. C’est donc une sorte de méta-tragédie qui unifie l’humanité, les personnages, contre le metteur en scène capricieux. J’ai beaucoup apprécié ce décalage par rapport aux tragédies shakespeariennes, on sent que le scénariste a voulu passer un message.
-- DEFAUTS
Mais ce message… est malheureusement bien mal transmis.
ZnT fait preuve d’un manque désolant de subtilité. Tout nous est prémâché et remâché à chaque épisode, en répétant des citations de Shakespeare sans arrêt pour bien nous rappeler : « Attention ! Ici il faut réfléchir ! Cet anime est intelligent ! ».
A force d’analyser toute situation à 100%, les personnages nous empêchent un peu de réfléchir par nous-mêmes. Tous les possibles d’interprétations semblent s’épuiser par eux, et on remarque bien vite que ZnT est loin d’être aussi intelligent qu’il ne veut se faire.
La deuxième partie de l’anime plonge ainsi dans les profondeurs du pathos tragique, en donnant un décalage bien trop épique à la situation. Les personnages finissent à se réduire à un simple rôle, perdant leur originalité et leur mystère, et sortant ainsi de la méta-tragédie des premiers épisodes pour redevenir acteurs. Bon ok, c’est la fin du monde, mais quand même, restez humbles quoi les mecs.
Finalement, seule la princesse gardera cette liberté d’action qui la rend si humaine et si imprévisible, déchirée par ses passions au milieu de la scène, sous les projecteurs des dieux.
La fin est trop « contée », comme pour conclure maladroitement une tragédie de série B, en mettant tous les comédiens sur la même scène munis chacun d’une réplique bidon.
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Zetsuen no Tempest reste un assez bon anime, avec beaucoup d’ornement (une qualité digne des studios BONES ; une BGM monumentale, notamment cette reprise symphonique de la sonate de Beethoven), mais bien peu de réflexion proposée au bout du compte.